Unité N°1: Saison 2
 
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Unité N°1: Saison 2

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Dr Sordin Molus
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  • Épisode 5: C'est beau une ville la nuit...

    Nébuleuse d'Athéna – Système Tomaros – Planète Lusia –
    Capitale planétaire de Monoi, sur le toit de l'Hôtel Siari

  • Sur la vaste plate-forme à ciel ouvert perchée tout au sommet de l'Hôtel Siari, Guerdan venait tout juste de recevoir sur son Omitech les premières notes du message convenu pour l'informer du succès de l'opération menée au 60e étage, lorsque la ceinture d'explosifs de l'Asari masquée en face d'elle se mit soudainement à clignoter et à lancer des trilles de plus en plus rapprochés et menaçants. La pseudo-Oriasin sursauta de surprise, baissa vivement la tête vers l'engin de mort tout en palpant fébrilement sa taille, puis releva sa visière aveugle vers Guerdan en la suppliant d'une voix étranglée:

    –- Aide-moi...!

    Au lieu de quoi, la Spectre la repoussa d'une violente Projection biotique, l'envoyant bouler le plus loin possible d'elle, avant de se jeter elle-même face contre terre. L'amplitude de la déflagration parvint pourtant à la surprendre, trop puissante pour ne provenir que de la seule ceinture de la terroriste qui lui faisait face. Le souffle arracha Guerdan du sol et l'envoya rouler sur plusieurs mètres, au point qu'elle craignit un moment de basculer dans le vide derrière elle.


    Contusionnée, assommée, désorientée, tentant douloureusement de reprendre son souffle au travers du voile d'épaisse poussière qui recouvrait à présent la terrasse, l'Asari mit quelque temps avant de parvenir à relever les yeux. Son ouïe, un moment saturée par le fracas de l'explosion, commençait à renaître sur un sifflement atroce. L'obscurité de la nuit était retombée sur le jardin d'agrément désormais privé d'éclairages, ce qui n'aidait guère la Spectre à se repérer. Mais progressivement, elle parvint enfin à mesurer l'ampleur de la catastrophe.

    La première chose qu'elle vit fut le lourd nuage noir en expansion au-dessus de ce qui avait été le salon d'honneur "Rêve d'Alune": le résidu de l'énorme boule de feu qui venait d'éventrer le grand dôme vitré où les Matriarches du Conseil de Serrice avaient été retenues en otages. De ce lieu, il ne restait plus rien... Toutes les verrières en avaient été soufflées, et la structure même de l'édifice s'était effondrée sur ses propres bases. Personne ne pouvait avoir survécu dans ce brasier! Pour atteindre une telle puissance détonante, il avait bien fallu que toutes les Matriarches, en plus des extrémistes qui les surveillaient, aient été pourvues des mêmes ceintures explosives, tout comme Guerdan en avait envisagé l'hypothèse – et que tous ces dispositifs se soient amorcés puis déclenchés exactement au même instant, à partir d'un unique signal...

    Il n'était guère besoin d'être matriarche pour deviner d'où était venu ce signal. D'où, ou plus précisément de qui. Deux larges entonnoirs aux bords noircis situaient de manière macabre les endroits précis où la terroriste "Oriasin" et sa voisine de droite avaient été pulvérisées par l'explosion de leurs ceintures. Mais comme Guerdan s'y attendait, aucun cratère fumant n'avait en revanche creusé le revêtement de la terrasse du côté où s'était tenue la dénommée "Bathyll", sur laquelle la Spectre avait gardé un œil. De toute évidence, le véritable cerveau de l'opération venait de solder ses comptes avec des complices trop crédules, embarquées dans une aventure dont elles n'avaient pas compris les enjeux.

    Atterrée, Dame Qoliad continuait de faire le bilan du désastre. Derrière elle, la navette de police qui l'avait acheminée sur la plate-forme supérieure avait disparu. Voilà donc de quelle façon la responsable de tout ce chaos avait planifié depuis le début de fuir le lieu de ses méfaits! L'une des deux chasseresses asari qui avaient escorté Guerdan était allongée sur le rebord de la terrasse en surplomb, un poignard planté dans le cou presque jusqu'à la garde, au défaut de l'armure. Convulsant faiblement dans une mare de sang mauve, la malheureuse était visiblement en train de vivre ses derniers instants. L'autre guerrière avait disparu, vraisemblablement précipitée dans le vide... Déesse! Une combattante capable de se débarrasser aussi prestement de deux redoutables chasseresses de la Garde de Serrice, même en tenant compte de l'avantage du choc et de la surprise, était de toute évidence une adversaire de première force...

    Un bruit de turbine en rapprochement tira Guerdan de ses pensées. Elle put bientôt voir une navette d'assaut Kodiak aux couleurs bleu et blanc de la Marine de l'Alliance venir se ranger sur le bord de la plate-forme: la canonnière d'attache du SSV Citadel, dont la Spectre avait confié les commandes au lieutenant-major da Costa. Par la trappe latérale grande ouverte, Guerdan entendit faiblement la voix moqueuse du pilote N7, qu'elle perçut bien plus clairement sur son communicateur encore ouvert:

    –- Taxi, M'dame?

    L'adrénaline reprenant le dessus, la Spectre fut sur ses pieds en un coup de reins, et se rua aussitôt vers la navette. Elle venait tout juste d'embarquer d'un bond puissant lorsque Damon referma le panneau d'accès sur ses talons, et poussa les propulseurs à plein régime. Tandis que Guerdan se jetait dans le siège voisin de celui du lieutenant, ce dernier s'était déjà lancé à la poursuite du véhicule de police détourné dont il avait verrouillé l'acquisition radar. L'engin volant avait profité de la confusion pour se glisser dans le flot des véhicules civils qui circulaient toujours en dehors du périmètre sécurisé autour de l'Hôtel Siari. Mais il en fallait plus pour semer un pilote du calibre de Damon...

    Sans quitter des yeux l'interface holographique de ses commandes de vol, l'officier humain entreprit de justifier ses récentes prises d'initiative auprès de sa supérieure asari:

    –- Avec cette série d'explosions et le dégagement thermique qui en a résulté, j'ai brutalement perdu tout contact visuel sur la cible. Il n'y avait plus rien que je puisse faire depuis mon poste de tir – et plus moyen de te joindre non plus. Alors j'ai décidé de mon propre chef de prendre en chasse cette navette en fuite dès que je l'ai repérée. J'ai quand même préféré passer te prendre quand tes signes vitaux m'ont confirmé que tu étais à nouveau opérationnelle, ajouta l'Humain en brandissant son Omnitech.
    –- Tu as bien fait. Cette salope nous a piégés, tous piégés! Elle a éliminé les Matriarches, ce dont elle avait sans doute toujours eu l'intention, mais elle s'est aussi débarrassée de toutes ses complices! Cette sale petite ordure avait vraiment tout prévu dès le départ: un feu d'artifice assez ravageur pour détourner l'attention générale et lui permettre de s'enfuir seule, et tout ça sans laisser en vie qui que ce soit derrière elle qui aurait pu nous parler! Par la Déesse, j'en ai croisés, des criminels; mais des comme elle, qui soient à la fois aussi intelligents, calculateurs, sans aucun état d'âme – et castagneurs de première bourre, en plus! – ça non, pas souvent!...

    Pendant que la Spectre vidait ce qu'elle avait sur le cœur, Damon continuait la poursuite au travers de la nuit noire et des lumières de la cité. De l'avis de la plupart de ses utilisateurs humains et autres, l'UT-47A Kodiak était une navette d'assaut certes dotée d'un blindage très sécurisant, mais à peu près aussi réactive en vol qu'une enclume! Le lieutenant-major da Costa était pourtant l'un de ces rares virtuoses pilotant à l'instinct qui parvenaient à tirer le meilleur de ce gros pavé volant. Se frayant un passage parmi l'intense circulation aérienne de la métropole asari, en coupant la route de plusieurs engins civils par les manœuvres les plus audacieuses, le pilote N7 put assez rapidement remonter son retard sur le véhicule détourné.


    La lourde navette militaire humaine ne passait cependant pas inaperçue dans le trafic, et la fuyarde ne tarda pas à réaliser qu'elle était pourchassée. Son propre aéronef changea brusquement de file de circulation, et s'engouffra dans un tunnel urbain traversant de part en part toute une succession de gratte-ciels, avec le Kodiak sur sa trace. Alors qu'elle abordait la sortie du tunnel, la criminelle déchaîna le feu des armes légères embarquées sur la navette de police, visant la motrice d'un petit convoi de barges sur champs gravitationnels, juste devant elle. Les rafales hachèrent le flanc droit de l'engin de tête, surchargeant ses stabilisateurs. La fugitive parvint à dépasser la motrice juste avant que celle-ci ne parte en embardée et n'aille percuter le bord du tunnel, ses remorques venant ensuite s'encastrer successivement les unes dans les autres en un amoncellement monstrueux. Les véhicules civils les plus proches du convoi vinrent s'écraser de plein fouet sur l'amas de métal tordu, et les suivants ne purent faire autrement en dépit de leurs tentatives désespérées de freinage ou de dérapage. L'hydrogène des propulseurs de plusieurs des engins impliqués dans ce carambolage dantesque commençait déjà à s'enflammer, alors que le Kodiak arrivait à pleine vitesse sur les lieux du drame. Dans le poste de pilotage, Guerdan se recula au fond de son siège en agrippant ses accoudoirs:

    –- Attention! Camion! CAMION!!
    –- J'ai vu. Et hop!...

    En une fraction de seconde, Damon avait repéré une échappatoire que bien peu d'autres pilotes auraient envisagée. Renversant brusquement l'équilibrage des amortisseurs gravitationnels de la lourde navette d'assaut, l'Humain convertit en avantage l'inconvénient de sa masse lorsqu'il la fit basculer sur la tranche, tout en la laissant poursuivre sa course sur le même vecteur inertiel. De la sorte, l'engin parvint à s'insérer de justesse dans une étroite ouverture entre l'empilement d'épaves et la paroi du tunnel, tandis que son blindage absorbait l'impact des multiples fragments d'acier volant en tous sens, trop lents pour être stoppés par ses barrières cinétiques. Et c'est tel un phénix que la navette émergea de la boule de feu qui venait d'obstruer la sortie du tunnel aérien, sans avoir subi aucun dommage sérieux... Comme après la plupart de ses exploits aériens, Damon opta pour l'expression désinvolte d'un triomphe faussement modeste:

    –- Et voilà... Apu, camion! Bon ça y est, j'ai reciblé notre fugitive. On l'aura bientôt rejointe...
    –- Là!
    aboya Guerdan. Elle quitte sa file de circulation... Shoote-la, maintenant!

    Avec une maestria consommée, le pilote humain plongea et passa sous le véhicule isolé, de sorte que ses tirs de bas en haut ne risquent pas de causer de dommages collatéraux sur l'agglomération de Monoi. Une correction rapide, et le Kodiak lâcha sa première salve double sur la petite navette citadine. Le premier tir frôla celle-ci par la droite, et le second en fit sauter la portière gauche, côté conducteur, qui passa à trois mètres au-dessus des têtes de Damon et Guerdan.

    Tous deux eurent alors une belle surprise, en s'apercevant que le visage furieux qui se tournait vers eux depuis l'ouverture du véhicule n'était pas celui d'une Asari, mais d'une Drelle, à la peau verte et écailleuse et aux yeux d'un noir profond – une femelle, reconnaissable entre autres aux larges renflements de muqueuses pourpres à la base de son cou, dépassant de l'armure prune qu'elle avait desserrée. Le bras de la criminelle émergea à son tour de l'habitacle lorsqu'elle lança une Déchirure en direction du Kodiak. Quoiqu'un peu déstabilisé par ce type de frappe inusité en combat aérien, Damon esquiva facilement le flux bleuté qu'il avait vu venir de loin.

    –- T'as vu ça?! C'est une Drelle! commenta l'Humain sans crainte d'énoncer des évidences. Une Drelle biotique...
    –- Une Drelle biotique avec un pied dans la tombe
    , compléta Guerdan d'une voix sinistre. Je t'ai dit de me flinguer cette navette!

    Alors que le Kodiak se réalignait pour une seconde salve, le véhicule de police volé plongea soudain des cieux nocturnes vers la ville en contrebas. Redressant au niveau des étages intermédiaires des immenses buildings de la cité verticale, l'engin entreprit de remonter à grande vitesse la ligne de ces édifices imposants, en frôlant leurs verrières au point d'en faire éclater plusieurs dans son sillage. Pas question de tirer sur la fuyarde dans ces conditions: pour l'heure, Damon ne pouvait rien faire de plus que de lui coller au train – ce à quoi il s'employait consciencieusement, semblant même y trouver un réel plaisir ludique. Sur son siège, Guerdan marmonna pour elle-même:

    –- La Drelle, "Bathyll"... Je suis certaine de l'avoir déjà vue quelque part. Peut-être bien sur le fichier des criminels les plus recherchés...
    –- Tu veux vérifier ça sur ton Omnitech?
    –- Pas le temps: elle ne devrait plus tarder à... Vérole d'azure, mais qu'est-ce qu'elle fiche?!


    La navette de la Drelle ne virevoltait plus, semblant avoir renoncé à toute manœuvre d'esquive. Elle s'était alignée dans l'axe longitudinal d'une des nombreuses terrasses qui bordaient les côtés d'un petit bâtiment en forme de pyramide à degrés, droit devant, et commençait déjà à ralentir nettement, cependant qu'elle se mettait à descendre suivant un angle relativement plat. La fugitive crasha délibérément son véhicule aérien sur la terrasse, dérapant sur toute la longueur du terre-plein en projetant en tous sens étincelles, pièces de métal et morceaux de béton. Ce qui restait de la navette de police acheva sa course en percutant violemment l'extrémité de la terrasse, après avoir semé derrière elle à peu près toute sa moitié arrière. La terroriste drelle sortit de l'épave tronquée en titubant légèrement, avant de pénétrer à l'intérieur du bâtiment par la première entrée accessible depuis le balcon. Sa manœuvre d'une audace calculée avait transformé la piste d'atterrissage improvisée en un champ de débris enflammés, impropre à tout autre tentative d'approche. Damon survola au ralenti le site du crash, en cherchant en vain des yeux une solution à ce nouveau problème:

    –- Plus moyen de poser le Kodiak! Une idée?...
    –- Largue-moi sur le bord du balcon, juste ici
    , rétorqua la Spectre en passant de son siège à la trappe latérale de la navette. Va poser ton fer à repasser volant à l'écart, et reste en contact, au cas où elle choperait un autre véhicule et que j'aie besoin que tu passes me reprendre plus loin. Je suis bien assez grande pour rattraper à pied cette peste verte et me la faire à moi toute seule!

    Sur ces mots décidés, Guerdan sauta de la navette, se réceptionna d'une roulade sur le sol de la terrasse au milieu des flammes, et se lança aussitôt à la poursuite de la fugitive. Elle n'eut pas grand mal à remonter sa trace au travers d'une succession de bureaux déserts; mais elle s'aperçut alors vite que le choix de ce bâtiment en particulier ne devait vraisemblablement rien au hasard. Les sous-sols de ce petit immeuble administratif donnaient directement sur une station du réseau de métro sur champs gravitationnels de Monoi: un lacis de tunnels s'étageant sur plusieurs niveaux sous la surface de la cité, l'endroit idéal pour une criminelle en fuite cherchant à semer ses poursuivants.

    Bien sûr, c'était vers cette station que descendait l'ascenseur emprunté par la terroriste "Bathyll", juste avant l'arrivée de Guerdan. Cette dernière prit donc la cabine suivante afin de la rejoindre. Une fois sur place, la Spectre retrouva rapidement la trace de la fugitive: une Drelle armée, revêtue d'une armure de couleur prune de sinistre mémoire ici sur Lusia, et remontant à fond de train les couloirs du métro, c'était un type de rencontre assez inhabituel sur un vieux monde policé de l'espace asari pour attirer l'attention des civiles présentes dans la station. Celles-ci désignaient donc spontanément à Dame Qoliad la direction vers laquelle la fuyarde s'était éloignée, dès qu'elles apercevaient l'emblème des Spectres sur les épaulières de son armure noire. C'est en descendant une longue série d'escaliers mécaniques vers les niveaux inférieurs que Guerdan renoua le contact visuel sur sa cible. La Drelle accéléra sa course dès qu'elle se vit prise en chasse par une Spectre enragée lancée sur ses talons.

    La Foudre de guerre asari, experte du combat à distance par vocation, ne s'était jamais spécialement entraînée dans l'art de consacrer sa puissance biotique à amplifier la célérité de ses mouvements – art dans lequel sa jeune congénère Feylin Adamas, au contraire, était passée maîtresse. En donnant tout ce qu'elle avait, tout juste arrivait-elle à ne pas se laisser distancer par la fugitive drelle, qui maintenait sur elle une avance de plusieurs dizaine de mètres. À cette heure de la nuit, la veneuse et sa proie ne croisèrent dans les couloirs du métro que quelques rares Asari, en robes de soirée ou au contraire en combinaisons de techniciennes, qui se plaquaient craintivement contre les murs au passage des deux sprinteuses armées; aucune policière hélas parmi elles, dans une cité ordinairement aussi tranquille que Monoi. Leur présence interdisait en outre à Guerdan de faire usage d'une arme, ou d'attaques biotiques trop dévastatrices.

    –- Tu n'as donc pas fini de me faire courir, sale garce? fulminait la Spectre asari. J'ai 600 ans au compteur, moi, bordel! Je m'en vais te flinguer les genoux, tu cavaleras moins vite!...

    La Drelle se jeta brusquement dans un petit passage de service latéral, menant sur une succession de corridors d'entretien tournant rapidement en chicanes, qui empêchaient l'Asari derrière elle d'ajuster son tir. Au détour d'un croisement, la poursuite déboucha cependant sur une assez longue coursive rectiligne, entièrement déserte, et Guerdan y vit l'opportunité qu'elle attendait depuis un moment: ce couloir de tir parfait allait enfin lui donner le délai nécessaire pour concentrer sa puissance biotique, afin de déployer un champ de Stase sur la fuyarde devant elle. La Spectre descendit encore dans son élan une dernière courte volée de marches, lorsqu'elle se sentit soudain saisie, pétrifiée par une sensation de froid intense – puis plus de sensation du tout! Tout juste eut-elle le temps de percevoir un sifflement et d'articuler:

    –- Par la D...!?

    Un agent de terrain aussi aguerri que Dame Qoliad aurait dû remarquer depuis longtemps que la Drelle semblait étonnamment familière avec la disposition des lieux, empruntant à chaque bifurcation une voie plutôt qu'une autre sans l'ombre d'une hésitation – comme s'il s'agissait là d'un des itinéraires de repli prévus à l'avance que la Spectre aurait elle aussi planifiés dans ce genre d'opération. De ce constat, un agent de terrain aussi aguerri que Dame Qoliad aurait extrapolé que la fugitive pourrait avoir placé sur un tel itinéraire les mêmes pièges, destinés à neutraliser d'éventuels poursuivants la serrant de trop près, qu'elle-même aurait disposés dans les mêmes circonstances. Mais trop aveuglée par la colère pour justement penser en agent de terrain aguerri, Guerdan venait de donner pile dans un de ces pièges: un dispositif détonant non létal, à effet dirigé – en l'occurrence, une explosion cryogénique qui congela presque instantanément l'Asari sur place, la figeant dans sa course en un monument de glace, une sorte d'allégorie du style: "La fureur dupée par la ruse"!

    Les terminaisons nerveuses de Dame Qoliad ne retrouvèrent que très progressivement leur sensibilité: toujours incapable d'esquisser un mouvement, la Spectre pouvait néanmoins ressentir à nouveau la morsure du gel, et sa vision commençait également à se rétablir. C'est alors qu'elle put constater avec horreur que la Drelle avait cessé de fuir: elle avait même fait demi-tour, et marchait à présent droit vers elle d'un pas tranquille! Guerdan n'avait cependant d'yeux que pour le pistolet lourd plaqué contre la cuisse de la criminelle, sur lequel celle-ci gardait la main posée. L'état de cryogénisation de la Spectre fragilisait à l'extrême la structure de son organisme: du fond de son esprit engourdi par le froid, Guerdan se voyait déjà passer de l'état de statue de glace à celui de petit tas de glaçons! Mais contre toute attente, la Drelle se contenta de pointer vers l'Asari deux doigts joints en forme de pistolet, et de mimer le départ d'un coup. Puis juste avant de se détourner pour reprendre sa course, elle lui lança avec un sourire canaille:

    –- On se reverra, Bleuette!

    Si l'ardeur d'une humiliation aussi cuisante que celle qu'elle ressentait en cet instant précis avait pu dégeler sa prison de glace, Guerdan aurait déjà été libre! Mais c'est toujours maintenue dans l'impuissance la plus frustrante qu'elle dut se contenter de regarder son ennemie disparaître au loin au détour d'un couloir...

    * * * * * *

    Le Kodiak qui ramenait Dame Qoliad, avec le lieutenant-major da Costa aux commandes, vint se poser sur le vaste parvis de l'Hôtel Siari à présent sécurisé. À bord de la navette, aucune parole n'avait été échangée au cours de ce vol de retour: la honte, l'amertume, et la colère muette de Guerdan avaient à tel point irradié dans la cabine de pilotage durant tout le trajet, que Damon avait jugé prudent de ne pas être l'étincelle qui mettrait le feu aux poudres. La Spectre semblait toutefois avoir retrouvé quelque contenance lorsqu'elle descendit de la navette, et se dirigea avec le pilote humain sur ses talons vers les groupes de militaires réunis au pied de l'hôtel, dans la lumière des réverbères.

    Le lieutenant T'Saral, l'officier asari en charge du peloton de la Garde de Serrice, écoutait attentivement les rapports d'Elara et Fédrisse, les deux chasseresses qui avaient accompagné l'équipe d'infiltration. Dame Qoliad put capter quelques bribes de phrases alors qu'elle passait à leur hauteur. Le visage de T'saral semblait très assombri: elle venait de perdre deux de ses commandos, tuées par la Drelle sur la plate-forme où elles avaient escorté Guerdan, et cette dernière pouvait donc parfaitement imaginer ce que le lieutenant devait ressentir. Mais pour l'heure, la Spectre devait elle aussi débriefer sa propre équipe – Feylin, Lenks et Andrak –, au sujet de leur mission dans l'hôtel. Elle se rapprocha donc de la jeune Asari, de l'Ingénieur galarien, et du grand Butarien qui s'étaient mis un peu à l'écart du groupe des chasseresses:

    –- Contente de vous revoir tous en bonne santé.... On m'a informé de la présence d'une... disons d'une interférence au cours de votre mission; mais une interférence qui vous aurait sauvé les miches à plusieurs reprises! Un élément imprévu, avec le même genre d'armure noire que la mienne... Ça vous parle?
    –- Ah ça oui!
    répondit Feylin avec enthousiasme On l'a tous vue, Lenks, Andrak et moi: une combattante extraordinaire! Une furtivité sans égale; mais quand on la voit, quelle présence! Oh, on l'a reconnue, aussi! Et par la Déesse, Guerdan, tu ne devineras jamais qui...!
    –- Là-haut! Regardez!
    s'écria soudain l'une des chasseresses en armures grises en levant l'index, désignant la galerie qui surplombait l'entrée principale de l'hôtel.

    Un pied relevé sur la balustrade, l'Asari en armure noire, objet de toutes les discussions, était en train de contempler de son visage toujours aussi inexpressif le groupe disparate assemblé sur le parvis nocturne en contrebas. Ayant obtenu l'attention souhaitée, l'inconnue se laissa tomber directement du haut de la galerie, dix mètres au-dessus, en ralentissant sa chute d'une brève impulsion biotique juste avant de fouler le sol avec une grâce indéniable.

    Lorsque ensuite elle s'avança directement vers Guerdan, Damon fut d'abord tenté de pointer son arme et de lui intimer l'ordre de s'arrêter. Puis il se sentit vaguement ridicule en s'apercevant qu'Andrak, Feylin, le lieutenant T'Saral, et toutes les Asari présentes semblaient considérer la nouvelle venue avec respect et déférence. Celle-ci vint se placer face à sa congénère Spectre, revêtue de la même armure noire, sans nulle émotion lisible sur le visage d'aucune d'entre elles. C'est l'inconnue qui prit la parole la première:

    –- Salut à toi, Guerdan. Ça fait plaisir de se revoir enfin...
    –- Euh, "Guerdan"?!
    intervint Damon. C'est pas si courant que tu dispenses quelqu'un de te donner du "Dame Qoliad"! Moi, il m'aura fallu quatre missions avant que...
    –- Il y a Dame et Dame
    , le coupa la Spectre sans décoller son regard de celui de sa vis-à-vis. Cette matriarche-là a bien deux gros siècles de plus que moi. Et pourtant, elle a d'elle-même renoncé au titre de Dame, le jour où elle a prêté allégeance au Code des probatrices asari. Agents, je vous présente Sialan T'Ribas... mon ancien maître d'armes!

    [...]

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  • Épisode 6: Le crime a un visage...

    Nébuleuse d'Athéna – Système Tomaros – Planète Lusia –
    Frégate furtive SSV Citadel, à quai au spatioport de Monoi –
    Attente en salle de réunion...

  • Un peu plus de deux heures venaient de s'écouler depuis la fin tragique de la prise d'otages de l'Hôtel Siari. Les cinq membres de l'Unité N°1 avaient tous regagné leur vaisseau d'attache, la frégate de classe Normandy SSV Citadel, toujours amarrée au spatioport de la capitale planétaire. La probatrice asari Sialan T'Ribas avait exprimé le souhait de se joindre à eux – une demande inhabituelle à tous points de vue, mais à laquelle Dame Qoliad avait bien voulu accéder. Après tout, Guerdan devait bien cela à son ancienne instructrice, sans l'intervention de laquelle plusieurs de ses agents seraient certainement restés sur le carreau ce jour-là... Sitôt à bord, la Spectre s'était rendue dans la petite cabine d'holo-conférence attenante à la passerelle de commandement: elle était parfaitement consciente qu'elle allait avoir de nombreux comptes à rendre, au sujet des terribles événements qui venaient de se dérouler sur Lusia. Sialan s'était proposée pour l'accompagner, afin de porter témoignage de sa propre version des faits. Guerdan ne s'était guère faite prier pour accepter: la caution morale apportée par la présence d'une probatrice est toujours bonne à prendre dans ce genre de situation.

    Quant aux quatre autres membres de l'équipe – le lieutenant de l'Alliance Damon da Costa, la chasseresse asari Feylin Adamas, l'Ingénieur galarien Sudaj Lenks, et le chasseur de primes butarien Andrak Atkoso'dan –, ils avaient reçu quartier libre à bord pour une heure, avec instruction toutefois de se rendre ensuite en salle de réunion. L'Asari, le Galarien, et le colosse butarien en avaient profité pour passer faire un saut rapide à l'infirmerie, afin d'y faire examiner les diverses ecchymoses reçues lors de leur mission d'infiltration dans l'hôtel. Tous trois s'étaient sentis rassurés lorsque le docteur Hésap Avidar, au bout de quelques tests, avait été en mesure de leur certifier qu'ils ne garderaient aucune séquelle de leur récente plongée brutale au travers d'un puits d'ascenseur. Feylin et Lenks avaient tous deux noté, lors de l'examen, que la Butarienne avait eu bien du mal à détacher ses mains des bras puissants et des larges muscles dorsaux d'Andrak – tout comme l'imposant chasseur de primes avait semblé incapable de détacher ses deux paires d'yeux de celles de la praticienne. Le Galarien était demeuré aussi impassible qu'à l'accoutumée; mais la jeune Asari, elle, n'avait su résister à l'envie de leur adresser un sourire complice.

    Il y avait maintenant une bonne heure que les quatre agents attendaient le retour de leur patronne Spectre... La petite salle de réunion du SSV Citadel était située vers la poupe du Pont principal de la frégate, assez proche de la cabine d'holo-conférence. L'endroit n'était que rarement employé: Dame Qoliad préférait d'ordinaire tenir chapitre avec son équipe dans ses quartiers privés, sur le Pont supérieur. Il est vrai que la vaste cabine de la Spectre asari, meublée de confortables sofas et décorée dans le plus pur esprit de l'esthétique thessienne, incitait davantage aux échanges d'idées que cette pauvre pièce unifonctionnelle, aux murs de métal nu ternes et déprimants, chichement meublée d'une simple table longue imitation bois pourvue d'une liaison com et d'un projecteur holographique.


    Tous les regards se tournèrent vers la porte coulissante lorsque Guerdan pénétra en coup de vent dans le local sécurisé, avec la probatrice T'Ribas sur ses talons. Le visage couturé de la Spectre paraissait encore très tendu. Elle fit taire d'un simple lever de l'index les questions qui s'apprêtaient à naître sur les lèvres de ses agents, tandis qu'elle se dirigeait d'un pas vigoureux vers la console de communications située à l'extrémité de la table centrale. L'hologramme en pied d'un Galarien d'âge vénérable, mais portant encore beau dans son uniforme de service, se matérialisa bientôt au milieu de la pièce: l'amiral Padias Eldon, responsable des services de renseignement du Ministère de la Défense Concilien, et superviseur des cellules spéciales d'enquête et intervention telles que l'Unité N°1. Bref, le supérieur direct de Dame Qoliad et de ses agents. Soucieux comme à son habitude de ne pas gaspiller la moindre minute de son précieux temps, l'amiral galarien entama directement la visioconférence sur un ton vif et empressé:

    –- Salutations, agents. Je suis heureux de vous revoir tous indemnes. Ah, mon cher Andrak, j'espère que votre bras se rétablit au mieux?
    –- Mes respects Monsieur
    , répondit aimablement l'intéressé. Et bien, je peux témoigner qu'une chute libre de 60 étages ne correspond guère au traitement kinésithérapique le plus recommandé. Mais il ne devrait pas y avoir de séquelles graves...

    Le contraste était parfois saisissant, pour les non-avertis, entre le physique intimidant du géant butarien, si typique du muscle à louer des Systèmes Terminus, et l'extrême civilité, digne d'un diplomate du Présidium sur la Citadelle, avec laquelle il lui arrivait de s'exprimer....

    –- Tant mieux, tant mieux, reprit l'amiral. En tout cas, c'était vraiment courageux de votre part, d'avoir intégré cette mission en dépit de votre état. Ceci dit, il est inutile de nous voiler la face: cette dernière opération a été un véritable fiasco! Le traumatisme sur Lusia va très au-delà des énormes dégâts matériels et du bilan en vies perdues, tant en ce qui concerne le massacre de l'Hôtel Siari que le carambolage massif du tunnel aérien. Toutes les honorables Matriarches du Conseil de Serrice ont été tuées; aucune des terroristes n'a pu être capturée vivante; et parmi elles, la Drelle qui semble être à l'origine de tout ce chaos est même parvenue à prendre la fuite... Seule consolation: on ne déplore aucune victime parmi les otages civiles séquestrées dans l'hôtel. Je sais déjà que vous avez tous fait votre possible, et que vous n'êtes en rien responsables de ce revers cuisant. Mais celui-ci aura des répercussions inévitables...

    Le monologue volubile de l'amiral s'interrompit un court moment, durant lequel l'avatar holographique du vieux Galarien sembla furtivement scruter les réactions de chacun des membres de l'Unité N°1 à ses dernières phrases. Mais comme il s'y était attendu de la part de tels agents d'élite, il ne parvint pas à détecter chez eux le moindre signe d'abattement ou de résignation; leurs attitudes décidées et leurs regards ardents reflétaient au contraire la plus sourde détermination, une soif de revanche unanime. Satisfait de ce constat, l'amiral reprit d'un ton alerte:

    –- En fait, je sors tout juste d'un entretien holo avec le Conseil. Y ont également pris part Dame Qoliad et la probatrice T'Ribas depuis votre vaisseau, ainsi que le lieutenant T'Saral, de la Garde de Serrice, depuis le centre des opérations de Monoi. La conseillère asari bouillonne encore de fureur, et cherche des responsables au désastre sur Lusia. Je ne vous étonnerai pas en vous disant que le lieutenant T'Saral a tenté de vous faire porter le chapeau, en incriminant votre – je cite – "gang d'aliens incontrôlables"! Fort heureusement, le témoignage de la probatrice T'Ribas en votre faveur a très vite calmé le jeu, et a pu convaincre la conseillère Tevos de votre efficacité. D'ailleurs, le lieutenant T'Saral n'a plus pipé mot par la suite... Au nom des services de renseignements de la Flotte concilienne, je tiens donc à vous remercier, Dame T'Ribas, pour avoir préservé l'honneur et la réputation de mes agents.
    –- 'Probatrice T'Ribas' suffira, amiral
    , répondit Sialan avec humilité. J'accepte vos remerciements; mais je n'ai fait que restituer l'exacte vérité telle que je l'ai vécue – ainsi que m'y astreint mon allégeance au Code de Probation. Voyez-vous, la société asari est ainsi faite: il ne viendrait à l'idée d'aucune des nôtres, et certainement pas à celle d'une matriarche de haut rang telle que la conseillère Tevos, de remettre en question la parole d'une des sœurs de mon Ordre. Et pour ce qui est du lieutenant T'Saral, soyez sûr également qu'aucune Asari n'irait se risquer à s'enferrer dans un mensonge éhonté en présence d'une probatrice...
    –- Merci encore cependant, probatrice T'Ribas
    , réitéra l'holo de l'amiral galarien avant de se retourner vers Guerdan et son unité. Toutefois Dame Qoliad, agents, il va vous falloir maintenant mettre les bouchées doubles pour rattraper cet échec, et pour découvrir qui est derrière cette atrocité. C'est désormais votre mission prioritaire...
    –- Avons-nous déjà quelques pistes à explorer, amiral?
    demanda la Spectre asari, les mains sur les hanches.
    –- Notre meilleur indice à l'heure actuelle est un message Extranet, envoyé hors système depuis le central de sécurité de l'Hôtel Siari, durant son occupation par le "Tribunal des Demoiselles". La majeure partie de la transmission a pu être restaurée depuis l'historique des serveurs de l'hôtel. D'après le volume de communications, on suppose qu'il s'agit d'une holo-conférence entre la meneuse des extrémistes asari – une Drelle, comme nous le savons maintenant – et le véritable commanditaire de cette opération, instigateur et financier de tout ce foutoir. Cependant, le niveau d'encryptage de ce message nous pose beaucoup plus de problèmes que prévu; et nous n'avons donc actuellement pas davantage de visibilité sur les contenus de cette transmission, que sur les identifiants des relais de communication par lesquels elle aurait transité...
    En revanche, nous avons pu très facilement associer un nom aux captures d'images de la fugitive drelle. Votre intuition était juste, Dame Qoliad: Bathyll Rakhtar, c'est ainsi qu'elle s'appelle, est bien entrée depuis peu dans le bas du Top 30 des criminels galactiques les plus recherchés. Les événements de ces dernières heures l'ont assurément faite grimper d'un coup d'une bonne vingtaine de places au classement!

    La projection en pied de l'amiral au-dessus de la table fut remplacée par un holo tournant du visage de la Drelle que Guerdan avait affrontée sur Lusia, tandis que de son débit torrentiel, le Galarien déclinait en voix off le pedigree de la meurtrière de masse de l'Hôtel Siari:

    –- Bathyll Rakhtar est née voici 29 ans sur Kahjé, le monde océanique des Hanari. C'est dès l'âge de 6 ans que ses parents l'ont faite entrer au service de la Primauté Éclairée, en vertu du Synacte – cet étrange code de conduite qui assujettit de leur plein gré la plupart des Drells à leurs hôtes aquatiques. Les malheureux enfants qui commencent une formation à un si jeune âge sont généralement voués à devenir les exécuteurs des basses œuvres des Hanari: ceux qui atteignent le terme de leur impitoyable formation comptent parmi les assassins les plus dangereux et les plus inventifs de la galaxie. Mais certains d'entre eux y perdent une part de leur équilibre mental en même temps que leur innocence; ce fut malheureusement le cas pour Rakhtar...
    L'entraînement sévère de la Drelle lui a permis de développer ses capacités biotiques, en même temps que des talents d'exécutrice qui faisaient l'admiration de ses formateurs. Toutefois, Rakhtar a montré des signes d'instabilité de plus en plus nets au fil de ses missions, avant de déraper totalement lors de la dernière d'entre elles, causant un véritable carnage sur le monde butarien de Lorek. Plutôt que de faire face aux conséquences de ses actes, elle a préféré déserter et entamer une carrière d'assassin freelance dans les Systèmes Terminus. Elle a eu la peau des trois agents d'élite drells que les Hanari avaient lancés sur sa trace – au sens propre: cette malade les a tués, écorchés et éviscérés, et je préfère vraiment ne pas savoir dans quel ordre! Depuis et jusqu'à une date récente, les Hanari ont préféré renoncer à la poursuivre activement.
    Au fil des années, Bathyll Rakhtar s'est taillée un sérieux palmarès. Elle a déjà massacré des Humains au service de mouvements terroristes butariens, et des Butariens au service de mouvements suprémacistes humains. Elle a assassiné des dalatraces galariennes pour le compte d'autres dalatraces rivales, ainsi que certaines de ces dernières lorsqu'elles ont essayé de la doubler. Oh, et puis elle est aussi tenue pour responsable des meurtres de plusieurs hauts fonctionnaires hanari opérant en dehors de l'espace de la Primauté Éclairée – apparemment cette fois-ci pour son propre compte. Elle semble avoir la revanche chevillée à l'âme... Elle devait d'ailleurs aussi avoir gardé une solide dent contre ses propres parents, dont le choix de carrière a fait d'elle la machine à tuer qu'elle est devenue, puisqu'ils ont compté parmi ses toutes dernières victimes en date: un raid de représailles en plein cœur de Kahjé voici trois mois, qui a fait pas mal de victimes collatérales.


    –- Une jeune personne des plus attachantes, apprécia d'un ton sarcastique Damon le Sniper N7. J'aimerais bien lui dédier une nouvelle encoche sur la crosse de mon Veuve Noire...

    Andrak profita de l'interruption de l'Humain pour poser une question qui semblait lui brûler les lèvres depuis un certain temps:

    –- Mais pour quelle raison une telle furie aurait-elle délibérément épargné Dame Qoliad, alors qu'à deux reprises elle l'a tenue à sa merci? Sur la plate-forme de l'hôtel, et dans la coursive du métro? Cela n'a pas de sens...
    –- C'est une question pertinente, mon cher Andrak
    , répondit la voix agile de l'amiral. Une question à laquelle n'existe malheureusement encore aucune réponse satisfaisante; car pour ce qui est de son profil, la Drelle est bel et bien ce qu'il convient d'appeler une psychopathe patentée. Tuer semble être un besoin compulsif chez elle, quelles que soient la cause pour laquelle elle se bat ou la somme qu'on lui propose. Et l'état de plusieurs de ses victimes qui ont pu être retrouvées prouve également une très nette tendance au sadisme, lorsqu'elle dispose du temps et des moyens pour mettre ses fantasmes en œuvre...
    –- Qu'on se retrouve à nouveau face à face elle et moi
    , gronda Guerdan, et je te lui en donnerai, moi, des fantasmes! De quoi faire valser sa libido jusqu'à la galaxie d'Andromède!...

    L'holo de Bathyll Rakhtar s'éteignit alors d'un seul coup, lorsque la liaison avec l'amiral fut brutalement interrompue. Les regards se tournèrent aussitôt vers la personne la plus proche de la console de communications à ce moment précis: Sialan T'Ribas, qui tenait d'ailleurs encore l'index posé sur la commande d'entrée des transmissions. La probatrice asari fixait à présent Guerdan d'un regard glacial, particulièrement dérangeant. Chacun des agents présents ne put d'ailleurs s'empêcher de ressentir une sourde inquiétude, devant le ton lourd de menaces qu'employa la vénérable chasseresse en s'adressant à son ancienne élève:

    –- Ça je n'en doute pas, Guerdan... Je n'ai même absolument aucun doute quant à tes plans en ce qui concerne la Drelle. D'ailleurs, j'aimerais m'entretenir avec toi à ce sujet, dans un autre endroit. Ta grande cabine du Pont supérieur ferait parfaitement l'affaire. J'aimerais aussi que toute ton équipe soit présente...

    Les quatre agents en question s'attendaient déjà à entendre leur si prévisible patronne fustiger l'indélicatesse de leur invitée par l'une de ces réparties cinglantes dont elle avait le secret – lorsqu'ils s'aperçurent que Guerdan s'était figée dans une attitude défensive telle qu'aucun d'entre eux ne pouvait se rappeler l'avoir jamais vue adopter, en n'importe quelle autre circonstance: un regard fuyant, une posture ramassée évoquant... eh bien oui, évoquant une proie acculée! Un court instant, Feylin aurait même juré l'avoir vue... tressaillir!? Mais non, une telle chose était impossible, ce devait être son imagination... Sur le bord de table près de la main de la probatrice, un voyant clignotait: le signal d'une communication entrante; l'amiral cherchait vraisemblablement déjà à rétablir le contact.

    –- Nous sommes à bord de mon vaisseau, Sialan, finit par répondre Guerdan avec véhémence. Une frégate du Conseil, sous mon commandement! Tu n'as aucun ordre à m'y donner! Et d'ailleurs nous sommes actuellement en situation de crise, au cas où tu ne l'aurais pas remarqué, et nous avons bien autre chose à...
    –- J'insiste!...»
    l'interrompit fermement Sialan, avant d'ajouter sur un ton plus neutre: «...Si cela te convient.

    Chez les probatrices asari, ces vénérables représentantes de la culture raffinée de leur peuple, l'abord direct et pragmatique s'accompagnait presque toujours d'une authentique courtoisie dans les échanges verbaux – même vis-à-vis de leurs ennemis les plus abjects. Damon se dit que cela devait être assez déstabilisant, que l'adversaire qui s'apprête à liquéfier vos organes vitaux d'une violente explosion biotique, s'adresse à vous l'instant d'avant comme à une relation d'affaires tout à fait respectable. L'Humain espérait juste ne jamais se faire une ennemie mortelle d'une probatrice telle que Sialan T'Ribas.

    Sans quitter cette dernière du regard, Guerdan trancha finalement, d'une voix sans doute moins assurée qu'elle n'en aurait eu l'intention:

    -- Je doute que l'amiral ait apprécié d'avoir été aussi brutalement déconnecté; et je doute encore plus qu'il apprécie d'avoir été mis en attente, lorsque nous rétablirons le contact! Mais comme tu as sauvé mon équipe aujourd'hui... et aussi en souvenir de tout ce que je te dois... je vais donner instruction de le faire patienter encore quelque temps. On monte chez moi, tous! Je t'accorde cinq minutes, Sialan. Cinq! Et pas une seconde de plus...

    [...]

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  • Épisode 7: Sombres secrets, siècles sanglants

    Nébuleuse d'Athéna – Système Tomaros – Planète Lusia –
    Frégate furtive SSV Citadel, à quai au spatioport de Monoi –
    Dans les quartiers privés du capitaine, Dame Guerdan Qoliad

  • Sitôt entrés dans la cabine de leur supérieure, Andrak Atkoso'dan, Sudaj Lenks, Damon da Costa et Feylin Adamas étaient allés prendre place sur les canapés élégants et les confortables fauteuils du coin salon, ainsi qu'ils le faisaient presque rituellement lors d'à peu près chaque briefing de mission. Mais pour cette fois-ci, Dame Qoliad vint s'asseoir à leurs côtés, puisqu'en l'occurrence, ce n'était clairement pas elle qui dirigeait les débats: ce rôle revenait à la probatrice Sialan T'Ribas, l'ancien maître d'armes de Guerdan, qui demeura debout face aux cinq membres de l'Unité N°1.

    Depuis qu'elle était montée à bord du Citadel, leur invitée surprise faisait preuve d'un comportement de plus en plus déconcertant, très au-delà des excentricités habituelles que la sagesse galactique prête généralement à cette secte étrange des probatrices asari. Pour autant, Sialan T'Ribas bénéficiait d'une cote plutôt favorable auprès des agents conciliens: après tout, Andrak avait déjà eu l'occasion de coopérer avec cette vénérable justicière, dans leur croisade commune contre l'esclavagisme sur Oméga; et Lenks lui avait dû la vie sauve à pas moins de deux reprises, lors de leur périlleuse mission d'infiltration dans l'Hôtel Siari. Au final, chacun était impatient de comprendre où leur mystérieuse invitée comptait en venir au juste – chacun, sauf peut-être...

    –- Bien, débuta Guerdan d'un ton autoritaire. Maintenant que tu nous as tous sous ta botte comme tu l'avais demandé, Sialan, veux-tu enfin nous dire ce qui nécessitait d'interrompre aussi brutalement une importante réunion de gestion de crise? Allez, j'attends!...


    La fougue de la Spectre ne put totalement abuser les quatre agents placés sous ses ordres. Tous, même Andrak qui n'avait rejoint l'Unité N°1 que depuis quelques mois, connaissaient trop bien leur patronne asari pour ne pas avoir remarqué chez elle de nombreux signes de nervosité, faisant écho à la réaction insolite qu'elle avait déjà eue un peu plus tôt en salle de réunion. Leur curiosité n'en fut que davantage titillée. Pourtant, la probatrice prit le parti de faire durer le suspense:

    –- Commençons par le commencement, Guerdan: quelques mises au point très simples, d'abord... Tu es bien une Sang-pur, n'est-ce pas?

    Feylin frissonna d'inconfort à l'énoncé de ce nom, bien qu'elle n'ignorât rien de l'ascendance de Guerdan. Dans la bouche d'une Asari, ce nom de Sang-pur, une naissance issue de l'union fusionnelle de deux partenaires asari, était bien trop souvent craché à la face comme une insulte cinglante. Une telle parenté, considérée comme appauvrissant la diversité génétique de l'espèce, était devenue aussi rare qu'elle était culturellement dépréciée; car depuis des siècles, le sens commun chez les Asari valorisait les apports qu'étaient censées engendrer les unions avec d'autres races stellaires. Ainsi, le père de Feylin elle-même était un négociant volus. C'était un embobineur éhonté, elle était la première à l'admettre bien qu'elle l'ait peu connu; mais c'était probablement de lui qu'elle avait hérité l'entregent et les talents de conciliatrice qui avaient tiré plus d'une fois son équipe du pétrin.

    Dans la bouche de la probatrice T'Ribas, toutefois, ce nom de Sang-pur sonnait comme le simple constat d'une situation bien connue, le préambule à des révélations autrement plus intéressantes. C'est d'ailleurs sans animosité que Guerdan répondit simplement:

    –- Je n'en ai jamais fait secret, Sialan... Cela m'a d'ailleurs valu bien assez de brimades de la part de mes condisciples de l'Académie: une basse revanche pour toutes les fois où j'humiliais ces crâneuses à l'exercice! Mais je ne vois pas ce que...
    –- Passons à un autre point si tu le veux bien
    , poursuivit la probatrice sans paraître accorder plus d'importance que cela à la réplique de la Spectre. Voici plusieurs millénaires que la nanochirurgie réparatrice permet d'effacer toute trace des cicatrices telles que celles qui défigurent ton visage, que j'ai connu si radieux dans ta jeunesse. Pourtant, tu persistes à les conserver avec orgueil... Je me suis longtemps demandée pourquoi...
    –- Cela pourrait t'étonner, Sialan
    , l'interrompit calmement Guerdan, mais je tiens énormément à ces cicatrices. Chacune d'entre elles, quand je les regarde, m'évoque une erreur qui aurait pu me coûter la vie, et que je ne commettrai jamais plus. Tiens, la longue saignée, là, sur toute la jugulaire, me rappelle: «Attends-toi à ce que le danger vienne de là où tu ne l'attends pas!» La trace de cet impact qui m'a ouvert le nez et la pommette, elle, elle me dit: «Un Krogan sans armes est une arme!» Cette grande couture sur le front, ma préférée: «Tire toujours la première!» Et la petite, juste à côté: «Dans le doute, tire encore!»

    Sialan T'Ribas planta un regard pénétrant dans celui de son ancienne disciple. Le ton badin de leurs premiers échanges avait totalement disparu, lorsque la probatrice reprit la parole après un instant de silence qui parut s'étendre, à tous points de vue, sur la durée d'une période de glaciation:

    –- Et bien moi, vois-tu, j'ai fini par me demander si ce choix esthétique discutable n'aurait pas eu pour visée essentielle de te rendre aussi peu attirante que possible? De ne risquer de susciter ni intérêt charnel, ni avances que tu aurais eues du mal à gérer? En tout cas, il semblerait que ce plan ait plutôt bien réussi; car je sais, de sources sûres, que depuis que nous nous sommes séparées voici près de cinq siècles, tu n'as jamais eu d'amant, de quelque espèce que ce soit, ni régulier, ni même passager dont j'aurais pu retrouver la trace. J'en ai acquis l'absolue certitude, car crois-moi, j'ai très scrupuleusement retourné chaque pierre dans ton sillage.
    –- Tu as... QUOI ?!?

    Guerdan s'était levée d'une détente. Le premier choc passé, l'Asari enfouit lentement son visage dans ses mains, qui bouillonnaient déjà de volutes bleues. Sa voix exprimait cependant davantage accablement et consternation que fureur lorsqu'elle articula:

    –- Sialan, par la Déesse... N'as-tu jamais entendu dire que chier dans les bottes d'un agent Spectre était un crime passible de la peine de mort... avec beaucoup de chance?!

    Toutefois, lorsque le visage couturé de la Spectre asari finit par réémerger de ses paumes, chacun des agents présents put noter les signes avant-coureurs d'une de ces colères homériques que tous à bord avaient appris à redouter presque autant qu'un retour des Moissonneurs: cicatrices dilatées, mâchoire contractée, et embrasement spectaculaire d'ondes bleutées semblable à celui d'un vieux réacteur à ézo au bord de l'implosion! Le ton qu'employa Guerdan avait très nettement changé, lui aussi:

    –- Tu n'as toujours pas digéré que "ton élève préférée" n'ait jamais cédé à tes avances, c'est ça? Après tous ces siècles, tu n'as toujours pas digéré ça, fichue vieille peau?! Tes cinq minutes tirent sur leur fin, Sialan.... Vas-tu donc finir par dire ce que tu me veux, merde?! Crache le morceau; ou bien alors, lâche-moi l'azure!...

    Andrak Atkoso'dan plaida lui aussi, quoiqu'avec davantage de déférence, pour que leur invitée mette enfin un terme rapide à ce moment qui devenait extrêmement gênant pour tous:

    –- En quoi l'examen aussi minutieux qu'indiscret de la vie privée de Dame Qoliad vous est-il d'un quelconque intérêt, vénérable probatrice?
    –- Oui, où voulez-vous en venir exactement?
    renchérit d'un ton vaguement inquiet Feylin Adamas, la troisième Asari présente dans la pièce.

    Feylin était assise juste à côté de Guerdan, et Andrak crut avoir été le seul à remarquer qu'elle commençait imperceptiblement à prendre ses distances d'avec sa congénère. Le Butarien, par sa grande connaissance des plus sombres arcanes de la culture asari, commençait également à comprendre ce que la probatrice sous-entendait. Et il n'aimait pas du tout, du tout le tour que tout ceci prenait.

    Le mouvement de recul de Feylin n'était cependant pas passé inaperçu de la probatrice, puisque c'est à elle que cette dernière s'adressa, de sa voix la plus persuasive:

    –- Je crois qu'en fait, tu commences très bien à discerner où je veux en venir, jeune chasseresse. Réfléchis. Une Asari de Sang-pur, qui depuis toujours semble fuir les rapports charnels, comme si rien de bon ne pouvait en sortir... Est-ce que ça commence à t'évoquer quelque chose? Oui, peut-être bien... Pourtant, cette hypothèse te semble encore inacceptable; c'est normal. Après tout, Guerdan est pour toi une sorte de modèle inaccessible, n'est-ce pas? L'icône parfaite de l'héroïne asari... Moi, elle est la meilleure élève que j'aie jamais eue, l'orgueil de ma vie. Il m'aura fallu longtemps avant que mes premiers doutes ne naissent. Il m'aura fallu plus longtemps encore pour que ma conscience cesse de rejeter ces doutes, cesse de nier les évidences qui s'accumulaient de plus en plus devant mes yeux. Et bien plus longtemps encore pour parvenir à collecter et compiler toutes les preuves et témoignages à même de confondre celle qui, entretemps, s'était hissée au rang d'agent Spectre de la Citadelle. Mais à présent, ma certitude est pleinement établie... Oui jeune Feylin, je vois que tu m'as comprise... Ta patronne vénérée dissimule depuis des siècles le plus terrible fléau qui puisse corrompre le sang d'une Asari, le plus ignoble secret qui puisse torturer son âme: elle est une démone Ardat-Yakshi !!

    L'accusation de la probatrice fit l'effet d'une grenade sonique dans la cabine – en cela que le silence qui y tomba d'un coup fut d'une telle opacité, que chacun à bord aurait pu croire avoir subi le choc d'une charge assourdissante. C'est Feylin, que Sialan avait identifiée avec justesse comme celle parmi les agents de l'Unité N°1 qui idolâtrait le plus sa supérieure, qui fut la première à réagir lorsqu'elle bégaya d'une voix paniquée:

    –- P-par la Déesse!... Vénérable probatrice, avec t-tout le respect que je vous dois, c'est... Vous vous trompez! C'est impossible! Totalement impossible! Dame Qoliad est un agent Spectre, tout de même! Personne n'est jamais devenu Spectre sans avoir subi une enquête extrêmement minutieuse sur tous ses antécédents...

    Sialan T'Ribas, elle, ne regardait pas la jeune Asari. C'était Guerdan qu'elle s'attachait à détailler; Guerdan qui s'était rassise sans un mot, avec autant de lenteur et de précaution que si ses chevilles menaçaient de se briser sous son propre poids; Guerdan dont seules les lèvres frémissaient, et dont les yeux demeuraient baissés, fixant ses mains jointes posées sur ses genoux, comme si elle tentait désespérément de contrôler le tremblement qui semblait prêt à s'emparer d'elles.

    –- Je dois bien reconnaître, reprit la probatrice à l'adresse de son ancienne élève, que tu as toujours su couvrir tes traces à la perfection. Ça oui, on peut dire que tu m'auras donné du mal, Guerdan! Mais il faut aussi admettre que les circonstances auront un temps joué en ta faveur. Voici vingt ans, les massacres et les destructions de données engendrés par l'invasion des Moissonneurs ont ruiné nombre de pistes que je suivais, et de témoignages que j'avais réunis. Je me suis trouvée obligée de reprendre presque tout à zéro. Heureusement, ta nomination à la tête d'une unité spéciale t'a obligée à renoncer aux méthodes radicales qui t'avaient si bien réussies, lorsque tu opérais en tant que Spectre solitaire. Cela m'a permis de collecter de nouvelles preuves bien plus rapidement que par le passé.
    En fait, j'étais justement de passage dans ce secteur, en route vers Digeris afin d'y relever tes traces les plus fraiches sur ton lieu de passage le plus récent, lorsque j'ai été informée de la prise d'otages sur Lusia. Que veux-tu, le métier de probatrice a ses priorités... Je savais que je pourrais me faufiler dans l'hôtel en profitant du travail de l'unité d'infiltration que notre chère conseillère Tevos n'allait pas manquer de faire dépêcher sur les lieux; mais quelque part, j'espérais un peu que ce serait de ton équipe justement qu'il s'agirait...

    Devant l'absence totale de réactivité de la Spectre à ses propos, la probatrice se tourna vers les quatre agents, toujours assis dans les fauteuils et canapés du coin salon, mais dont l'expression des visages était progressivement passée de la stupéfaction et du déni à la plus profonde perplexité:

    –- Oui, j'accuse votre supérieure d'avoir à son actif des dizaines, sans doute des centaines de victimes, terrassées par l'acte infâme de la fusion mortelle telle que la pratiquent les Ardat-Yakshi. Pourtant, il y a une chose très importante que vous devez savoir à propos de son mode de... chasse, si j'ose dire. C'est qu'à ma connaissance, elle ne s'en est jamais prise – d'une – qu'à des criminels endurcis, la lie de leurs espèces, – et de deux – qui devaient mourir de toute façon, soit que leur fin ait été discrètement décidée par avance en haut lieu, soit que leur disparition se soit avérée nécessaire à la poursuite de la mission.
    Si tel n'avait pas été le cas, si Guerdan avait sciemment détruit ne serait-ce qu'une vie innocente, soyez sûrs qu'alors je l'aurais déjà mise hors d'état de nuire depuis bien longtemps, avec ou sans preuves, Spectre ou pas! Il m'aura fallu de longues années avant de décider si cette sélectivité de sa part procédait d'une démarche éthique pleinement assumée, ou bien s'il ne s'agissait là que d'une simple manœuvre de dissimulation, d'un choix purement pragmatique de n'éliminer que des individus qu'après tout chacun était bien content de voir disparaître, et dont personne n'enquêterait sérieusement sur les circonstances de la mort... Mais à la longue, j'ai fini par accorder foi à la première hypothèse.
    Fouillez dans vos souvenirs
    , poursuivit Sialan en dévisageant tour à tour chacun des agents de l'Unité N°1. N'y aurait-il pas eu, au cours de vos missions, des situations où votre patronne bien-aimée se serait isolée avec un quelconque criminel, qui comme par hasard devait justement mourir aussitôt après? et où vous n'auriez pas été en mesure d'identifier sur le corps la cause du décès, à savoir les signes caractéristiques de l'hémorragie cérébrale massive qui l'aurait foudroyé?

    Sudaj Lenks s'apprêta à ouvrir la bouche. Il était évident que la mémoire eidétique du Galarien en faisait l'élément de l'équipe le plus apte à ressusciter les détails oubliés, ceux qui sur l'instant avaient pu sembler sans importance pour les uns ou les autres. Pourtant, il fut battu sur le fil lorsque ce fut Feylin qui évoqua la première, d'une voix blanche, l'un des souvenirs communs de l'équipe juste avant l'arrivée d'Andrak:

    –- Vasan Erdrast... L'esclavagiste butarien qu'on avait interrogé sur Oméga. Personne n'a vu comment il est mort avant que Dame Qoliad ne fasse disparaître son corps au fond d'une crevasse... (1)

    Là, un moment de silence bouleversé aurait logiquement dû suivre cette confirmation des allégations de la probatrice. Mais les souvenirs de Lenks continuaient à remonter à la surface de manière si précise, si vivante, qu'il ne put en différer le récit. Les grands yeux du Galarien s'étrécirent lorsqu'il dévisagea Guerdan toujours murée dans son silence, allongeant vers elle un doigt accusateur alors qu'il déblatérait d'un ton suspicieux:

    –- Avant ça, il y avait eu cette mission sur Daratar: localisation, infiltration et neutralisation d'une base pirate. Mal tourné, un vrai massacre... On tenait le terrain, mais le feu se rapprochait des réservoirs d'hydrogène de la base: explosion imminente, d'où évacuation urgente! Plusieurs pirates gisaient encore en vie dans coursives et hangars, blessés, mourants... Condamnés. Pouvait rien faire pour eux. Après qu'on soit sortis, tu as insisté pour retourner seule dans base en flammes malgré danger. Tu es parvenue à ressortir juste avant déflagration, et destruction intégrale des structures. Plus de traces; bien arrangeant... Tu as toujours refusé nous dire pourquoi tu étais retournée là-dedans. Mais à la lumière révélations de la probatrice... je parierais que pour au moins l'un des pirates, ce n'est pas l'explosion qui l'a tué, n'est-ce pas? Et puis il y a aussi eu cette autre fois sur...
    –- Assez...

    La brève interjection par laquelle Dame Qoliad venait d'émerger de son mutisme, n'avait le ton ni de la colère, ni du déni, ni même de la défensive. Juste celui de... la lassitude; d'une immense lassitude. Soumise aux accusations de son ancien mentor, confrontée aux preuves circonstancielles resurgies des souvenirs de ses propres équipiers, la Spectre ne cherchait même pas à nier les terribles charges portées à son encontre, ni à esquiver les conséquences d'actes si odieux. Pour la première fois de mémoire d'agent, Guerdan parut faire bien plus que ses 644 ans lorsqu'elle gémit d'une voix incroyablement accablée:

    –- Je n'aurais jamais cru parvenir à dissimuler si longtemps cette tare abjecte, à survivre durant tous ces siècles avec le fardeau d'un tel mensonge... Je me suis toujours attendue à être découverte, confondue, mise à nue pour ce que je suis réellement; je savais que cela finirait par arriver, un jour ou l'autre. Pendant un demi-millénaire, j'ai vécu dans la peur de voir venir ce jour. Et maintenant qu'il est arrivé... je ne ressens plus au final qu'un profond soulagement!... Je crois que je suis juste fatiguée de me cacher...

    C'est à ce moment que Damon da Costa, resté silencieux jusqu'alors, mais qui semblait de plus en plus perdu depuis quelque temps, finit par se décider à déplier son bras et à interrompre les conversations:

    –- Hum, excusez-moi de jouer le péquenaud terrien de service, là, mais... C'est quoi au juste, ça, une Ardat-Yakshi?!

    À bien y réfléchir, il était en fin de compte assez prévisible que le jeune officier de l'Alliance soit le seul dans cette cabine qui ignorât tout de cette affection génétique sur laquelle les Asari s'étaient attachées à préserver le secret depuis des millénaires, le déshonneur de tout un peuple face au reste de la galaxie. Andrak Atkoso'dan, lui, avait connu le rare privilège de pouvoir partager de longues et enrichissantes conversations ouvertes avec plusieurs sœurs de l'Ordre des probatrices asari; or l'une des motivations occultes qui avaient présidé à la fondation de cet Ordre millénaire était justement la traque et l'éradication du fléau des Ardat-Yakshi. Quant à Sudaj Lenks, sa longue carrière dans les services secrets de l'Union galarienne l'avait initié à pratiquement toutes les cabales les plus sordides de cette galaxie.

    C'est donc par courtoisie que Sialan T'Ribas entreprit d'expliquer en détail à l'Humain ce qui constituait l'un des secrets honteux les mieux dissimulés de la culture asari:

    –- Une Ardat-Yakshi – Démone des Vents nocturnes, en langue traditionnelle thessienne – est une Asari de Sang-pur victime d'une altération génétique incurable, qui l'empêche de s'accoupler sans provoquer de graves lésions sur le système nerveux de son partenaire – allant jusqu'à la mort dans les occurrences les plus aiguës, comme c'est le cas pour Guerdan. Les plus dangereuses d'entre elles vivent en marginales solitaires, en prédatrices condamnées à une chute inexorable, toujours plus incapables de résister aux pulsions qui les contraignent à prendre les vies de leurs amants éphémères... Ces succubes cultivent par ailleurs une capacité proprement effrayante à soumettre la volonté de leurs proies à la leur, ce qui leur assure un vivier inépuisable.
    Il en est peu parmi elles qui aient l'audace et l'intelligence nécessaires pour se cacher en pleine lumière comme l'a fait votre patronne Spectre durant tant de siècles; peu également qui parviennent à contrôler leurs pulsions avec la maîtrise d'elles-mêmes dont Guerdan a su faire preuve. Mais en définitive, c'est aux probatrices telles que moi qu'il revient de débusquer et de pourchasser ces aberrations; de les acheminer vers une réclusion perpétuelle dans un monastère isolé sur quelque monde perdu, si elles acceptent de coopérer; ou bien de les exécuter sur place sans aucun état d'âme, si cela s'avère impossible...
    –- Et qu'as-tu donc prévu en ce qui me concerne, Sialan?
    demanda Guerdan d'un ton qui aurait sans doute voulu feindre l'indifférence. Le monastère, ou l'exécution?

    La probatrice prit le temps de se ménager une courte pause théâtrale, un effet dramatique avant de laisser finalement tomber:

    –- Le sursis... Un délai très temporaire, rassure-toi. Quant à ce qui suivra... Cela dépendra de toi. Mais je préférerais très sincèrement que tout se déroule sans violence...

    Face à l'expression de surprise des quatre agents, et au regard incrédule de la Spectre, Sialan T'Ribas poursuivit d'une voix apaisante:

    –- Comme je te l'ai déjà dit, je t'ai très longuement observée, Guerdan; j'ai détaillé chacun de tes pas, afin de pouvoir étayer mes accusations à l'encontre, tout de même, d'un agent Spectre au service direct du Conseil. J'ai même eu accès à tes rapports de missions les plus confidentiels, et je préfère ne pas préciser par quels biais – disons juste qu'un certain nombre de personnes me doivent quelques services... C'est en examinant soigneusement le cours de tes missions depuis que tu as pris la tête d'une unité spéciale, et en les comparant à celles que tu avais remplies en tant que Spectre solo, que j'ai eu une révélation fondamentale: j'ai compris que tu serais prête à sacrifier ta propre existence pour sauver celle de n'importe lequel de tes agents! Et je ne parle pas là d'un point de vue rhétorique. Je veux dire: réellement; sincèrement; sans aucune arrière-pensée...
    Il faut savoir que les Ardat-Yakshi les plus avilies sont incapables d'éprouver la moindre empathie, pour personne. Ce sont des sociopathes irrécupérables, des prédatrices sans âme. C'est quand j'ai réalisé à quel point chacun des membres de ton unité compte à tes yeux, Guerdan, que je me suis persuadée qu'il existait peut-être un espoir pour toi. C'est d'ailleurs également pour cette raison que j'ai souhaité que ton équipe soit présente au moment où je te confronterais à ta véritable personnalité, et aux conséquences qu'il faudrait en tirer. Je savais que tu ne tenterais rien de stupide ou de désespéré, dans une situation qui pourrait mettre tes compagnons en danger...»
    Se tournant vers les agents en question, Sialan inclina humblement le buste en signe de contrition: «Je vous prie tous de bien vouloir me pardonner pour vous avoir impliqués dans cette manœuvre déloyale...
    –- Les probatrices asari sont décidément bien les plus impitoyables salopes de cette galaxie!
    lâcha Dame Qoliad à l'adresse de son ancienne instructrice.
    –- Juste devant les Spectres asari, Guerdan...», lui renvoya l'intéressée avec un demi-sourire, avant de poursuivre: «Et maintenant que je leur ai révélé ton deuxième petit secret inavouable, pourquoi ne le leur dirais-tu pas toi-même? Avec tes propres mots, en les regardant bien en face?

    Ainsi mise au pied du mur, Guerdan laissa lentement passer son regard sur chacun des membres de son unité, avant de finir par admettre d'une voix atone:

    –- Oui c'est vrai; cette foutue probatrice aura décidément su voir tout ce que je vous ai toujours dissimulé. Depuis ces derniers siècles, vous êtes...» Elle soupira comme s'il lui en coûtait que cet aveu quitte ses lèvres, avant de poursuivre d'une voix serrée par l'émotion, des larmes au coin des yeux: «...Vous êtes ce que j'aie jamais eu de plus proche d'une vraie famille, bande de connards!... Jamais je ne pourrais m'en prendre à aucun d'entre vous! Jamais, vous m'entendez?!

    La confession inattendue de leur supérieure, si souvent plus encline au rudoiement qu'aux épanchements intimes, causa parmi les agents un émoi presque palpable. Le bas de la paupière droite de Sudaj Lenks sembla même très légèrement palpiter, ce qui trahissait un profond désarroi sur le visage généralement impassible du Galarien.

    Cet impérissable moment de chaleur partagée fut toutefois aussi bref qu'il avait été intense. Dame Qoliad avait à nouveau revêtu sa cuirasse d'austérité, lorsqu'elle tourna un visage durci vers la probatrice T'Ribas:

    –- Mais au fait, Sialan?... Qu'est-ce qui me vaut ce... sursis de ta part?
    –- Je suppose que tu l'as déjà deviné, Guerdan
    , répondit la probatrice en levant le gantelet scintillant de son Omnitech, surmonté d'un écran de données virtuel. J'étudie en continu les conséquences psychologiques et financières à grande échelle de l'attentat contre l'Hôtel Siari, et contre les Matriarches du Conseil de Serrice qui s'y trouvaient. Et cela ressemble de plus en plus à une tentative de déstabilisation visant à impacter l'espace asari tout entier – d'autant que nous savons maintenant que ce qui semblait n'être qu'un coup de force d'activistes locales, a en fait été téléguidé par une non-Asari. En tant que membre de l'Ordre des probatrices, la défense des intérêts de notre peuple contre ce genre d'ingérence extérieure me concerne au premier chef. Et en outre, il se trouve que trois des Matriarches qui sont mortes aujourd'hui étaient des amies personnelles, de très longue date...
    –- Les probatrices asari n'ont pas d'amies personnelles
    , releva perfidement Guerdan. Leur fichu Code le leur interdit.
    –- ...Étaient d'anciennes connaissances que je savais être de très estimables Dames
    , corrigea obligeamment Sialan. Bref, je tiens à ce que justice soit faite sur cette atrocité que je n'ai pas su empêcher. Or je sais que c'est forcément à ton équipe que la Citadelle confiera la poursuite de cette enquête; et si je veux la conclure en votre compagnie – car oui, c'est ce que je veux! –, eh bien il vaudrait mieux que je ne fasse pas dissoudre ton unité prématurément, non? Et puis... Quoi que tu sois... Tu as toujours été la meilleure, Guerdan! C'est toi que je veux avoir à mes côtés, quand on fera comprendre à cette Bathyll Rakhtar et à ses commanditaires combien il était stupide de s'attaquer aux intérêts du peuple asari...

    Dame Qoliad dodelina de la tête sans dire un mot, semblant se rendre aux arguments de la probatrice. Le couplet patriotique asari n'avait jamais été sa tasse de thé; mais l'idée d'un sursis suffisant pour pouvoir solder ses comptes avec la mercenaire drelle qui l'avait humiliée n'était pas pour lui déplaire. La tension était également retombée de manière visible parmi les agents conciliens rassemblés dans la cabine, autant du fait des nouvelles perspectives quant à la mission à venir, que des aveux touchants de leur inflexible patronne. Sialan T'Ribas parut d'ailleurs vouloir jouer sur cette dernière corde pour apaiser encore davantage l'ambiance, lorsqu'elle s'adressa à son ancienne élève:

    –- Dis-moi, Guerdan, tant que nous en sommes aux confidences... Raconte-nous donc ce qui t'a poussée à limiter tes pulsions homicides aux seuls criminels. Serait-ce, comme je le crois, lié aux circonstances dans lesquelles tu t'es rendue compte de ta triste condition?

    Guerdan ferma les yeux, semblant s'immerger au plus profond de ses souvenirs lointains lorsqu'elle entama son récit:

    –- J'avais une amie... Peut-être ma seule véritable amie parmi les autres élèves de l'Académie. Sélina... Sélina Mori, tu ne peux pas l'avoir oubliée, Sialan? Au fil des entraînements harassants et des veillées nocturnes, nous nous étions de plus en plus rapprochées, elle et moi... Jusqu'à souhaiter partager la plus intime des fusions. Ce soir-là, c'était... C'était notre première fois à toutes les deux!... Mais juste après que nous nous soyons unies, Sélina s'est mise à avoir des vertiges, à saigner abondamment du nez... puis elle a carrément tourné de l'œil! Je ne comprenais rien à ce qui ce passait, j'étais trop terrifiée même pour appeler à l'aide! Quand Sélina est revenue à elle, on en a discuté, bien sûr... Et on a fini par comprendre... par comprendre ce que j'étais: un monstre!... Sélina m'a promis de n'en parler à personne; mais elle m'a fait jurer de ne jamais plus faire de mal à d'autres pauvres gens de cette façon...
    –- Et qu'est devenue cette Sélina?
    demanda Feylin, qui semblait profondément émue par ces révélations intimes.
    –- Elle... Elle a été tuée peu de temps après la fin de notre formation, lors de sa toute première mission, il y a maintenant cinq siècles de cela – emportant ainsi notre secret avec elle. Je l'ai longuement pleurée... La plupart de ses autres condisciples aussi: c'était une fille très populaire, appréciée de toutes – contrairement à moi, la Sang-pur! Sélina n'aura pas eu le temps de parler à qui que ce soit de notre déplaisant petit moment d'intimité; mais je ne crois pas qu'elle l'aurait jamais fait de toute façon. En y repensant, je me dis qu'elle devait être très amoureuse de moi... Peut-être aurait-elle tout de même fini par dévoiler mon secret odieux, si j'avais semé les cadavres dans mes pas sans aucune retenue. C'est en songeant à cela, à ce que je devais à sa confiance et à sa discrétion, que je me suis abstenue de jamais porter atteinte à aucune vie innocente, de quelque façon que ce soit...


    La Spectre asari poussa un long soupir, les yeux toujours clos. Toutefois, elle avait visiblement déjà repris du poil de la bête lorsqu'elle fixa la probatrice avec défi:

    –- Crois-moi si tu le veux, Sialan, mais jamais je n'ai volé une âme qui n'aurait pas mérité de toute façon de brûler sur le bûcher pour l'éternité! Trafiquants d'esclaves, assassins, bourreaux, violeurs, sadiques de tout poil... D'ailleurs, fusionner intimement avec ce genre de raclures malsaines, pétries de crimes jusqu'à la dernière fibre de leur être, m'a toujours laissé un arrière-goût d'immondice, particulièrement... dégueulasse!... une sensation de souillure, assez durable justement pour parvenir à me dissuader à chaque fois de renouveler l'expérience avant longtemps...
    –- C'est une bonne chose, Guerdan
    , admit Sialan T'Ribas du ton le plus neutre et impartial qu'elle parvint à formuler. Toutefois, tu dois bien comprendre qu'à l'issue de cette dernière mission, tout cela devra s'arrêter; définitivement; d'une manière ou d'une autre... Comme je te l'ai dit, il ne tient qu'à toi que tout se déroule sans violence. C'est pourquoi je préférerais obtenir dès maintenant, devant témoins, quelques, hum... garanties de ta part à ce sujet... Me comprends-tu bien, Guerdan?

    La Spectre asari acquiesça aux paroles de la probatrice. Après s'être recueillie un bref moment le visage entre les mains, elle finit par se lever et se diriger vers Sialan, lui faisant signe d'aller s'asseoir en compagnie de ses agents sur le fauteuil qu'elle venait de quitter. Se tournant alors vers l'assemblée au comble de l'expectative, Guerdan commença à déclamer d'une voix puissante et théâtrale:

    –- Je ne vénère aucune divinité... Je n'ai foi en aucune force supérieure qui guiderait nos destins et jugerait nos actes... Quant à mon honneur, voici bien longtemps que je l'ai perdu. C'est donc sur ma propre vie que je prends l'engagement que voici. Je jure de tout mettre en œuvre pour traduire en justice les responsables du massacre de Lusia, ou le cas échéant, pour les mettre définitivement hors d'état de nuire. Je jure, dans la poursuite de ce but, de ne causer de dommages à quiconque en tant qu'Ardat-Yakshi, par l'acte infâme de la fusion charnelle. À l'instant où cet objectif aura été atteint, je jure de venir me présenter devant le Conseil afin de lui remettre ma démission pour raisons personnelles, sans autres explications, de sorte que jamais la Citadelle, que j'ai si longuement et loyalement servie, ne puisse être éclaboussée par l'horreur de ma condition et de mes actes passés. Et pour en finir, je jure de remettre alors entre tes mains, Sialan T'Ribas, ma personne libérée de tout engagement, afin que tu en disposes de la façon que tu jugeras la plus adéquate. Tel est mon serment. Que tous ici en soient témoins.

    Chacun des assistants présents avait pleinement conscience, à cet instant précis, que cet engagement solennel de la part de Dame Qoliad venait de briser définitivement l'identité de l'Unité N°1 telle qu'elle avait existé jusqu'alors – son 'esprit', aurait dit un Turien. Cette petite cellule soudée avait certes déjà déploré la perte d'agents, qu'il avait bien fallu remplacer à chaque fois; mais jamais plus elle ne serait la même sans l'indomptable Spectre asari à sa tête... Non, personne n'eut besoin d'explications pour comprendre cela... En revanche, il était difficile pour tout autre qu'une Asari ayant atteint le même âge, et connu la même carrière mouvementée que Sialan ou Guerdan, de mesurer l'ampleur du renoncement personnel auquel cette dernière venait de se soumettre.

    Dame Qoliad avait toujours pensé qu'elle finirait par succomber dans l'une ou l'autre des milliers de batailles qu'elles avaient livrées, sans presque jamais avoir eu la certitude d'en ressortir vivante. En tant que Spectre, elle avait mené, sur des dizaines de mondes en l'espace de deux siècles, plusieurs centaines d'enquêtes touchant à la sécurité de millions d'êtres. Et son visage marqué par les combats avait reçu à d'innombrables reprises les honneurs de la une aux infos conciliennes... Oui, elle avait connu l'aventure et l'adrénaline, le sang et la gloire... Tout cela pour aller finir anonymement ses jours dans un monastère reculé, au milieu des parias du peuple asari, une fin de vie paisible et monotone rythmée par la discipline et le travail manuel...

    C'est Guerdan elle-même qui dut finalement briser le silence religieux qui empesait l'atmosphère de sa cabine, après qu'elle eût prononcé ses dernières paroles:

    –- Bon, je crois qu'il est temps de redescendre en salle de réunion, non? L'amiral doit commencer à se poser des questions...

    [...]

    ______________________________

    (1) Lire Unité N°1: A Mass Effect Story, Épisode 5

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  • Épisode 8: La Bête est de retour !

    Nébuleuse d'Athéna – Système Tomaros – Planète Lusia –
    Frégate furtive SSV Citadel, à quai au spatioport de Monoi –
    Triste retour en salle de réunion...


  • Lorsque l'avatar holographique de l'amiral galarien Padias Eldon se rematérialisa au centre de la salle de réunion, Guerdan la Spectre et Sialan la probatrice attendaient déjà, bras croisés face à la table de communications; et juste derrière les deux vénérables Asari, les quatre agents de l'unité trans'espèce s'étaient également alignés, mains ramenées derrière le dos et visages figés sur l'expression du plus grand sérieux, tels des croyants prêts à recueillir la parole divine. Tout ce cérémonial obséquieux ne parvint cependant pas à abuser le vieux renard d'amiral, qui devina très vite qu'un événement d'importance capitale venait de se dérouler à bord du Citadel.

    –- Que diable s'est-il passé, Dame Qoliad? demanda immédiatement le Galarien. Voici près d'une demi-heure que mes services tentent de rétablir la connexion...
    –- Toutes mes excuses, amiral
    , répondit platement la Spectre asari. Il semblerait que les balises de transmissions du système Tomaros aient été saturées par l'intensité des flux de communications depuis et vers la planète à la suite de l'attentat: médias, complotistes, investisseurs paniqués, proches inquiets... Vous savez ce que c'est. Nous avons d'ailleurs également dû nous débattre de notre côté afin de parvenir à rétablir un canal...

    Bien sûr, une telle excuse ne pouvait en aucun cas duper un officier de renseignements aussi chevronné que l'amiral Padias Eldon: ce dernier savait pertinemment que les transmissions validées par les agents Spectres, ainsi que par les services du Ministère de la Défense Concilien, sont systématiquement prioritaires sur tous les autres flux de communications quels qu'ils soient – à la seule exception des messages émis par le Conseil lui-même, cela va sans dire. En outre, le SSV Citadel disposait d'une ansible, système de transmission de données point à point directement relié aux locaux du MDC, un dispositif par définition aussi insaturable qu'imbrouillable. Cependant, il était évident que si la Spectre avait usé d'un argument aussi spécieux, c'était justement pour ne pas donner l'impression de chercher à mystifier son supérieur – ce qui aurait été le cas si elle avait tenté de lui servir une justification plus élaborée. Le vieux Galarien avisé le comprit immédiatement, et accepta d'entrer dans le jeu de Dame Qoliad en faisant semblant de prendre son excuse pour argent comptant:


    –- Hmm, oui, bon... Eh bien de notre côté, l'enquête vient de faire un bond de géant: nous avons enfin réussi à décrypter la conversation hors système que les terroristes de l'Hôtel Siari avaient eue avec leur commanditaire présumé durant le siège! L'encodage du message était extrêmement ardu – virtuellement incraquable, en vérité. Pourtant, il se trouve que sa clé de décryptage était déjà en possession de nos services depuis une vingtaine d'années; saisie lors de la capture d'une base de... Cerberus!! Oui, c'est un des codes que cette terrifiante organisation utilisait jusqu'à peu avant le début de la Guerre contre les Moissonneurs, et auquel nous n'avions plus été confrontés depuis.

    Le nom de Cerberus électrisa immédiatement l'atmosphère de la petite salle de réunion. Cette légendaire organisation suprémaciste humaine avait autrefois consacré des ressources presque illimitées à couvrir des branches aussi diverses que la déstabilisation politique, l'innovation technologique, ou l'amélioration génétique – sans la moindre barrière éthique dans aucun de ces cas. Cerberus avait finalement été démantelé vingt ans plus tôt, en grande partie grâce aux efforts répétés du commandant, devenu depuis sur-amiral John Shepard.

    Les guerrières asari présentes, Sialan T'Ribas, Guerdan Qoliad et Feylin Adamas, étaient bien assez âgées pour s'être frottées plus d'une fois aux agents fanatisés et aux troupes d'assaut suréquipées de Cerberus; et ç'avait aussi été le cas du mentor d'Andrak Atkoso'dan, un redoutable chasseur de primes humain décédé depuis. En ce qui concernait Sudaj Lenks, l'ex-agent du GSI galarien avait très longuement étudié les moyens qu'avait efficacement employés cette organisation, cette hydre tentaculaire, pour parvenir à maintenir dans l'ombre des moyens colossaux durant plusieurs décennies. Quant au lieutenant de l'Alliance Damon da Costa, il ressentait la gêne qu'éprouvent encore beaucoup d'Humains face aux autres races stellaires, lorsque Cerberus tombe dans la conversation...

    –- En même que les contenus de l'entretien, poursuivit l'amiral, nous avons pu obtenir la localisation du correspondant des terroristes: le système Alcas dans le Nexus d'Hadès, un secteur contesté de la Travée de l'Attique... En ce qui concerne plus précisément Alcas, ce système mineur n'abrite, outre son étoile elle-même, qu'une large ceinture d'astéroïdes et un unique planétoïde sans intérêt: Alcas Minor, dans l'orbite duquel Cerberus avait installé une base scientifique secrète. Les Turiens avaient découvert et pris d'assaut cette station orbitale peu avant la Guerre du Dernier Cycle; depuis, l'Alliance l'a reconvertie en pénitencier de très haute sécurité sous le nom de "Redemption". Cependant, l'endroit est davantage connu au sein des services de l'Alliance sous le surnom d'"Alcastarz"; une obscure référence à une ancienne prison terrienne, je crois... Alcastarz abrite exclusivement d'anciens agents, soldats et scientifiques de Cerberus, qui y purgent tous une peine à perpétuité.
    Les images holo de l'entretien en lui-même n'ont pu être restituées, mais nous avons la certitude que la conversation privée n'a concerné que la Drelle Bathyll Rakhtar et son commanditaire – sa commanditaire, en fait. Aucune autre voix n'a été identifiée, et leur échange confirme qu'elles ont bel et bien comploté toutes deux dans le dos de leurs complices du "Tribunal des Demoiselles", dont elles avaient planifié l'élimination après usage... La voix de l'interlocutrice de Rakhtar a pu être authentifiée, avec une correspondance de 100%. Il s'agit d'un ancien agent d'élite de Cerberus, qui avait fini par tourner le dos à cette organisation; une hackeuse et une manipulatrice de génie, aux innombrables identités, que le sur-amiral Shepard lui-même était parvenu à mettre hors d'état de nuire. Aux dernières nouvelles, elle était justement censée être incarcérée sur Alcastarz. Le seul nom sous lequel on la connaisse est celui sous lequel elle avait été arrêtée: Maya Brooks...!

    Bien moins célèbre que celui de Cerberus, le nom de Maya Brooks éveilla cependant quelques souvenirs parmi les agents présents. Les mésaventures du commandant Shepard confronté à son propre clone, durant l'année de l'invasion des Moissonneurs, n'avaient jamais été rendues publiques; mais elles n'en étaient pas moins devenues légendaires au sein des divers services de renseignement conciliens – à l'appui de cette maxime: «Toujours envisager l'hypothèse du clone!» Or ce double maléfique, conçu au départ par Cerberus, n'avait été activé par nulle autre que cette Maya Brooks, après qu'elle eût quitté l'organisation de l'Homme Trouble... De son côté, Sudaj Lenks se remémora également un cours magistral à ses débuts au GSI, où les techniques innovantes de cette imprévisible activiste humaine en matière de contrefaçon d'identité, manipulation psychologique et obtention de données, avaient été citées en exemple et très attentivement disséquées.


    –- Comme je vous l'ai déjà dit, reprit la voix volubile de l'amiral, Alcas se situe dans un secteur galactique contesté, passablement instable. La présence du pénitencier lui-même reste ignorée de la plupart des parties en présence, en dehors de l'Alliance. Mais y aventurer toute une flottille militaire du Conseil via le relais d'Hekate pourrait ruiner l'équilibre des forces que nous tentons de préserver dans la région. Il sera donc préférable de n'y dépêcher qu'une seule petite équipe d'enquêteurs. Je sais que vous avez une revanche personnelle à prendre, Dame Qoliad, et que vous ne me pardonneriez jamais d'envoyer une autre unité sur place. Je vous ai donc déjà transmis l'ensemble des données confidentielles de l'Alliance concernant le pénitencier. Ils n'ont pas encore été informés de votre arrivée, bien entendu: celle-ci revêtira donc l'aspect d'une inspection surprise de la part d'un agent Spectre. J'ai le sentiment que c'est là-bas que vous pourrez enfin découvrir ce qui se cache derrière le massacre apparemment gratuit de l'Hôtel Siari...
    Oh, un dernier mot... J'ai déjà rendu compte de tout ceci au sur-amiral Shepard. Il m'a semblé rassuré que ce soit votre unité qui soit chargée d'aller enquêter sur ce qui se passe à Alcastarz. Mais il m'a aussi prié de vous préciser ceci, textuellement, au sujet de Maya Brooks: «Dites-leur surtout de bien rester sur leurs gardes: cette femme est dangereuse. Mortellement dangereuse!»
    –- Et pour ce qui est de Turnus Védrim?
    demanda Guerdan. Le terroriste turien capturé sur Digeris, toujours détenu à notre bord?
    –- Qu'il y reste pour l'instant
    , laissa tomber l'amiral d'un ton exprimant son total désintérêt quant au sort de ce triste personnage. Son patron, le général Légius Tector, vient juste d'être arrêté alors qu'il tentait de prendre la fuite vers les Systèmes Terminus. Le témoignage de Védrim reste important, mais cela pourra attendre... Dame Qoliad, agents, il ne me reste plus qu'à vous souhaiter bonne chance... et à vous rappeler une fois encore l'avertissement du sur-amiral!

    La luminosité baissa légèrement dans la petite salle de réunion, lorsque la communication holo s'interrompit. Dans le silence retombé sur les lieux, Guerdan prit le temps d'un bref exercice de relaxation, mains sur les reins alors qu'elle semblait chercher ses mots tout autant qu'elle essayait de réguler sa respiration. Lorsqu'enfin la Spectre se retourna vers ses agents, son regard hésitant et le manque d'assurance inhabituel dans sa voix surprirent ceux-ci presque autant qu'ils les attristèrent:

    –- Bien. Moi, j'ai maintenant mes objectifs, de quoi avancer dans la mission que j'ai juré de remplir. Mais pour vous autres? Me suivrez-vous dans cette dernière aventure? Croyez-moi, quand je vous dis que je m'en suis bien souvent voulue d'avoir dû vous dissimuler ma vraie nature; de m'être faite passer auprès de vous pour ce que je ne suis pas; et surtout, d'avoir à plusieurs reprises commis derrière votre dos ces actes répugnants auxquels l'infamie de mon sang me pousse irrépressiblement. Pour tout cela, du plus profond de mon cœur, je vous présente mes excuses. Mais à présent, j'ai besoin de savoir si je peux compter sur vous tous, à cent pour cent, pour coincer les responsables du carnage sur Lusia...

    Bien qu'il fut le dernier arrivé dans l'équipe, c'est Andrak Atkoso'dan qui prit la parole le premier, de sa voix profonde et mesurée. Le Butarien n'était pas seulement le plus imposant physiquement parmi les agents de l'Unité N°1: il était également déjà reconnu pour le membre le plus sage et le plus pondéré du groupe. Son avis serait donc sans aucun doute d'un grand poids pour eux tous:

    –- Je vous ai bien observée au cours de nos dernières missions, Dame Qoliad. Je ne me suis que rarement trompé sur quelqu'un au cours de ma carrière, quand pourtant, j'en aurais souvent eu l'occasion. Et ma foi... je ne parviens pas à vous condamner. Ce n'est pas de votre faute si vous avez été atteinte de cette affection génétique; et sachant le sort réservé à vos semblables, il est compréhensible que vous ayez tenté de la dissimuler à tous. Ce qui est admirable en revanche, c'est que durant tous ces siècles, vous ayez su dompter cette abomination dans vos gènes, que jamais celle-ci ne soit parvenue à dominer votre âme ni vos actes, à vous ravaler au rang de bête de proie sans discernement moral – comme elle l'a fait de bien d'autres malheureuses, plus faibles que vous. Cela ne peut que forcer le respect.
    Vous êtes une guerrière courageuse, Dame Qoliad, et une personne droite. Rude, mais juste; impitoyable, mais généreuse. Et si vous avez donné votre parole, sur votre propre vie, je sais que vous la tiendrez envers et contre tout – contre vous-même au besoin, et au prix de votre vie si nécessaire. Je ne suis pas surpris que la vénérable probatrice T'Ribas vous ait accordé sa confiance; je ne saurais faire un autre choix qu'elle sur ce point.
    –- Moi, je ne suis pas sûr d'avoir encore bien compris ce que c'est exactement qu'une Ardat-Yakshi
    , renchérit Damon. Mais si tu es bien toujours la même foutue vieille teigne increvable que j'ai toujours connue, alors oui, je te suivrai jusqu'en enfer, Guerdan... Ou au moins, jusqu'à ce qu'on ait débarrassé le paysage de cette salope de Drelle!...

    Preuve peut-être bien inconsciente de sa confiance absolue en sa supérieure, l'Humain venait de poser fermement sa paume nue sur le dos de la main de l'Asari: un contact direct entre épidermes qui avait pourtant dû être fatal à bien d'autres par le passé...! Un geste d'une spontanéité ingénue qui parvint en tout cas à faire rouler quelques larmes sur les joues bleues de la Spectre six fois centenaire.

    –- Même avis qu'Andrak, ajouta très brièvement Lenks. Même conclusion que Damon.

    Feylin Adamas fut probablement la plus difficile à convaincre dans la petite communauté. Le rejet et la crainte panique des démones Ardat-Yakshi étaient en effet enracinés dans la culture asari depuis la toute petite enfance. Les contes et légendes destinés à terrifier les fillettes turbulentes étaient emplis des méfaits de ces sorcières assoiffées de vies innocentes; et le plus effrayant, dans tout cela, était certainement d'apprendre à l'âge adulte que ces abominations existaient réellement! Guerdan était la toute première Ardat-Yakshi à laquelle Feylin ait jamais été confrontée en connaissance de cause, dans sa jeune vie; et le fait qu'il s'agisse justement, entre toutes, de la personne pour laquelle elle ait sans doute éprouvé le plus immense respect dans toute la galaxie, était forcément un choc difficile à surmonter. C'est d'une petite voix que la chasseresse finit par se rallier au consensus général, sans toutefois oser regarder sa supérieure en face, préférant tourner les yeux vers la probatrice T'Ribas comme pour implorer sa protection.

    –- Bien! Voilà qui est réglé, déclara cette dernière d'un ton péremptoire. Assez discuté, Guerdan! Il est temps de mettre le cap sur...
    –- Hepepep!
    l'interrompit la Spectre d'un ton brusquement ragaillardi. Pas si vite, Superprobatrice... Mon vaisseau, mon équipe, ma mission... Mes règles! J'ai parfaitement saisi que l'objectif que tu t'es fixé est plutôt orienté représailles que justice en soi; mais moi, je tiens à m'assurer que tu ne tueras pas la Drelle ou sa patronne présumée avant que j'aie pu faire toute la lumière sur cette affaire. Toute cette magouille pue bien trop pour que je te laisse faire le ménage avant que j'aie pu trier les ordures! Alors si tu tiens à faire partie de cette mission, Sialan, ce sera sous mon autorité directe, en tant que membre supplétif de mon unité. Et je connais ton satané Code aussi bien que toi, probatrice de mon cœur... Tu sais donc ce qu'il te reste à faire, maintenant...
    –- Le Troisième Serment de Subsumation!
    murmura Andrak d'une voix vibrante de respect, en inclinant la tête vers la gauche.

    Le colosse butarien avait déjà travaillé main dans la main avec des probatrices asari, sur Oméga. Mais leurs rapports s'étaient toujours limités à une coopération informelle sur un pied d'égalité, dans la poursuite d'un but commun. Pourtant, l'un des articles du Code des probatrices autorise celles-ci, en certains cas, à prêter allégeance temporaire à un tiers, à se placer sous une autorité supplantant les préceptes du Code lui-même, pour une durée limitée. Une telle soumission de plein gré reste cependant extrêmement rare, et les circonstances en sont toujours tout à fait exceptionnelles.

    Si la demande – l'ultimatum! – de Guerdan contraria la probatrice, celle-ci prit le parti de n'en rien laisser paraître. Après avoir adressé de la tête un bref signe de consentement à son ancienne élève, Sialan T'Ribas s'agenouilla, mains sur les cuisses, et entra dans une sorte de transe méditative. Au cœur de cet état second, la tonalité de sa voix atteignit une profondeur sépulcrale lorsqu'elle prononça les paroles rituelles:

    –- Par le Code, je te servirai, Guerdan. Tes choix seront mes choix; ta morale, ma morale. De tes désirs je ferai mon code. Tel est mon serment. Que tous ici en soient témoins.
    –- Une probatrice prêtant serment de loyauté à une Ardat-Yakshi, en toute connaissance de cause!
    observa Feylin d'un ton incrédule. Eh bien là, je crois que c'est une première dans les annales de l'Ordre...

    [...]

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  • Épisode 9: Les oubliés du Diable

    Secteur du Nexus d'Hadès – Système Alcas – Orbite du planétoïde Alcas Minor –
    Colonie pénitentiaire de haute sécurité de l'Alliance Redemption
    – plus connue sous le nom d'Alcastarz...


  • Les agents de l'Unité N°1 avaient assez vite compris pourquoi le petit système reculé d'Alcas était l'endroit idéal pour établir une colonie pénitentiaire discrète – en dehors même du fait que des installations orbitales viables y aient déjà été assemblées, en son temps par Cerberus. Après le passage du relais gravitationnel du système Hekate, le principal point d'entrée dans le secteur contesté du Nexus d'Hadès, le SSV Citadel avait encore dû transiter par trois autres relais secondaires successifs, de plus en plus distants les uns des autres, et de moins en moins fréquentés. À la sortie du dernier d'entre eux, la frégate avait poursuivi sa route en vol SLM au travers d'un de ces nombreux quadrants sectoriels totalement dépourvus du moindre relais cosmodésique répertorié. Au cours de ce trajet, même un vaisseau militaire aussi performant que le Citadel, dont la vitesse de croisière dépassait allègrement 4000 fois celle de la lumière, avait encore dû s'acquitter régulièrement de détours contraignants par des systèmes possédant des mondes pourvus d'atmosphères, afin d'y effectuer les indispensables décharges d'énergie statique du propulseur. Au final, le voyage complet jusqu'au système Alcas avait demandé moins de quatre jours!...

    ...Quatre longues et éprouvantes journées, au cours desquelles les quatre agents GEIST de l'unité – Feylin, Damon, Lenks et Andrak – avaient préféré demeurer la plupart du temps dans leurs cabines, en sorte d'éviter de croiser leur supérieure: par pudeur, tous souhaitaient épargner à Dame Qoliad l'épreuve d'affronter leurs regards, après qu'elle ait dû leur avouer leur avoir si longtemps menti sur sa véritable nature. La Spectre asari elle-même, pour les mêmes raisons, n'était guère sortie que pour de rares raisons de service de ses quartiers du Pont supérieur. Quartiers qu'elle devait à présent partager, bien contre son gré, avec la vénérable probatrice Sialan T'Ribas: celle-ci tenait en effet à maintenir en permanence un œil sur son ancienne élève. Et bien que les deux Asari semblassent partager un profond respect mutuel, en même temps que de nombreux traits de caractère en commun, leurs rapports en public n'en demeuraient pas moins extrêmement tendus. L'encadrement et l'équipage lui-même s'étaient d'ailleurs rendus compte depuis belle lurette que quelque chose ne tournait décidément pas rond sur la frégate, depuis que la probatrice s'y était installée – ce qui achevait de rendre l'ambiance générale du bord tout à fait détestable.

    Andrak Atkoso'dan était peut-être le seul à avoir tiré un réel avantage de cet interminable voyage SLM: les blessures que le colosse butarien avait reçues sur Digeris étaient à présent presque totalement guéries. De notoriété publique sur le Citadel, cette rapidité de récupération était due en grande partie aux soins particuliers, constants et attentionnés, dont il avait bénéficié de la part de sa congénère Hésap Avidar, l'officier médical du vaisseau – et sa compagne, depuis peu.

    Ce fut en tout cas pour tous un soulagement muet, lorsque le canal interne annonça l'entrée de la frégate dans le système Alcas, puis quelques minutes plus tard, l'entame des manœuvres d'approche de la station orbitale d'Alcastarz. Cette ancienne base secrète de Cerberus avait été reconvertie peu après la Guerre en une prison secrète de l'Alliance, un établissement de haute sécurité conçu pour la réclusion à vie des anciens collaborateurs de cette dangereuse organisation terroriste. C'était avec cette installation qu'avait communiqué Bathyll Rakhtar, la mercenaire drelle responsable du massacre de l'Hôtel Siari sur Lusia; et tout tendait à indiquer que sa correspondante avait été Maya Brooks, une transfuge de Cerberus censée être emprisonnée ici.

    Le logo hexagonal de l'ancien propriétaire s'étalait toujours avec orgueil en plusieurs endroits sur les plus vastes panneaux de la station. Ces marques d'infamie avaient été gravées au laser bien trop profondément pour qu'il ait été possible de les effacer; et le remplacement des panneaux incriminés aurait exigé l'acheminement de lourds éléments préfabriqués de construction – ce qui n'aurait pas manqué de nuire à la discrétion de l'installation, nichée au cœur de son système insignifiant au voisinage de certaines factions parfois bien remuantes. Quoi qu'il en fût, la survivance visible de ces emblèmes de sinistre mémoire n'allait pas sans causer une impression de malaise parmi l'équipage humain du SSV Citadel, ainsi que parmi les agents du Conseil qui observaient les manœuvres d'accostage depuis les baies panoramiques ou sur les écrans intérieurs du vaisseau.


    La station orbitale était d'assez larges proportions pour posséder un grand dock interne sous champ de confinement, capable d'accueillir une frégate militaire de la taille du Citadel. Le vaisseau d'attache de l'Unité GEIST N°1 acheva donc enfin son interminable périple une fois qu'il se fût rangé le long du quai, et que son amarrage eût été assuré par les grappins magnétiques déployés depuis la station. À ce stade, Dame Qoliad et ses quatre agents, ainsi que la probatrice asari Sialan T'Ribas, attendaient déjà dans le sas de débarquement de la frégate, équipés de pied en cap. Leur armement avait été intentionnellement allégé, afin de ne pas transmettre a priori une image trop ouvertement hostile au personnel de la prison; mais ils avaient en revanche pris soin de pourvoir leurs Omnitechs de l'ensemble des applications défensives et offensives qu'il était possible d'y caser.

    Un avertissement enregistré informa bientôt les visiteurs que les pressions de leur sas et de la passerelle de débarquement avaient été harmonisées. Pas de comité d'accueil sur le dock automatisé, entièrement désert à l'exception de deux mécas de manutention à l'arrêt. La petite équipe remonta donc le quai, sur lequel le champ de confinement maintenait une atmosphère parfaitement respirable, pour se diriger vers le sas d'accès à la station. Face au portail de sécurité, Guerdan activa son Omnitech de manière à décliner à nouveau ses codes de Spectre, qu'elle avait déjà communiqués avant l'accostage; son IV d'assistance médicale transmit également en temps réel ses données biométriques pour confirmation. Un quadrillage de lumière bleue passa sur son corps lorsqu'elle s'approcha la première de la porte du sas; il en alla de même, tour à tour, pour les quatre agents et la probatrice qui la suivaient. Une séquence sonore d'un enthousiasme mitigé leur suggéra qu'ils étaient apparemment autorisés à franchir le sas avec leurs armes: les tracasseries administratives surviendraient sans doute plus tard.

    Damon da Costa éprouva le besoin de détendre un peu cette atmosphère sinistre. Hélas, l'intention comique de sa plaisanterie fut largement pervertie par l'aspect sépulcral de sa voix, lorsque celle-ci résonna dans ce sas exigu et mal éclairé:

    –- Au fait, ça y est, je viens de trouver l'endroit pour mes prochaines vacances: n'importe où, sauf ici...

    Les six visiteurs débouchèrent dans une sorte de grande salle de transit lugubre, prolongée d'un long corridor rectiligne. La défense de l'accès pouvait sembler à première vue se limiter au factionnaire humain en armure dans sa cage de verre blindé, et à la tourelle automatique Sentinelle mise en batterie en plein milieu de la pièce, de manière à en couvrir tous les angles. Mais l'œil exercé des agents détecta vite dans le plafond du couloir les panneaux mobiles de deux tourelles lourdes escamotables, capables de prendre la galerie en enfilade dès leur déploiement.

    À l'entrée du couloir qui leur faisait face, un individu de très forte corpulence, arborant de larges épaulettes d'officier supérieur sur son uniforme de service de la Flotte de l'Alliance, attendait visiblement l'arrivée de notre équipe. Le gros homme était encadré de deux mécas LOKI, des androïdes à vocation militaire conçus par Hahne-Kedar, fonctionnant sous IV rudimentaire. Deux cercles superposés d'une lumière rouge inexpressive tenaient lieu de visage à ces esquisses d'Humains à la démarche pataude. Quant à l'Humain lui-même, il ressemblait moins à un officier de l'Alliance en charge d'un site de haute sécurité, qu'à un gratte-papier fâché de longue date avec le tapis d'exercices standard des forces armées. Outre sa surcharge pondérale, le malheureux était visiblement sujet à une abondante transpiration, ainsi qu'à toute une batterie de tics nerveux – ce qui achèverait sans doute hélas de rendre sa proximité tout à fait incommodante.

    Le lieutenant-major da Costa dut se forcer à masquer un sourire, lorsqu'il songea que le volume de ce considérable personnage semblait avoir été délibérément calculé pour tester les plus extrêmes limites des capacités d'extensibilité du tissu composite de son uniforme! Dans le même temps, un Sudaj Lenks perplexe mettait à contribution sa formidable mémoire d'Ingénieur galarien, avant de finir par admettre que non, décidément non, il n'avait encore jamais croisé un Humain qui ressemblât à ce point à un Volus géant...


    Le fonctionnaire replet déglutit péniblement à l'approche du groupe trans-espèce. Réajustant maladroitement sa casquette après s'être épongé le front à la hâte, il finit tout de même par présenter à la Spectre et aux agents du Conseil un salut militaire hésitant:

    –- Ah, Madame!... Mes respects! Je suis le commandant Nilesh Kapoor, police militaire de l'Alliance, le directeur de cet établissement pénitentiaire. C'est pour moi un immense honneur que de...
    –- Il n'y a pas d'honneur dans les prisons!
    le coupa sèchement Guerdan, qui semblait pressée d'expédier le protocole. Expliquez-moi donc plutôt, "directeur", comment il est possible que les terroristes qui viennent de ravager l'espace asari voici quatre jours – Rassurez-moi, vous regardez bien les infos conciliennes de temps à autre!? – comment il est possible que ces terroristes, donc, aient pu entrer en communication Extranet, à l'intérieur même de votre établissement, avec une détenue censée se trouver actuellement sous votre responsabilité?! Une détenue du nom de Maya Brooks, pour être précise... Avant que vous ne répondiez, sachez bien qu'en ce qui vous concerne, votre carrière est bien la dernière des choses qui devrait vous préoccuper sur ce coup-là...

    Les pieds dans le plat, direct, sans circonvolutions ni figures de style: voilà bien la diplomatie telle que la concevait Dame Qoliad; et de fait, cette touche personnelle lui avait souvent plutôt bien réussi, au cours des siècles passés. En cette circonstance précise, le commandant Kapoor faisait vraiment peine à voir face à elle, roulant des yeux, et haletant si fort qu'il semblait au bord de l'arrêt cardiaque! Le gros homme finit cependant par se reprendre suffisamment pour parvenir à bégayer:

    –- Mais M-Madame, je... Je ne vois pas de quoi vous vou-voulez parler, c'est... C'est p-parfaitement impossible!... M-Maya Brooks est l'une de nos détenues les plus ét-troitement surveillées... Elle a t-toujours été placée en isolement depuis son arrivée ici; ses déplacements sont limités à une partie extrêmement réduite du quartier de réclusion, toujours sous surveillance constante; et elle n'a accès à aucune technologie un tant soit peu évoluée. Je ne c-comprends vraiment pas comment...
    –- Eh bien moi, je suis justement ici pour comprendre, commandant
    , rétorqua la Spectre asari d'un ton sans réplique. Alors conduisez-moi fissa en salle d'interrogatoire; collez-moi votre prisonnière si spéciale sur le siège d'en face; et je me fais fort de vous en obtenir, moi, des réponses!

    Le responsable carcéral opina servilement du chef, mais ne bougea pas. Visiblement, il avait encore quelque chose à dire:

    –- Hum... Avant d'aller plus avant, Madame, il faudra que v-vous-même et vos agents laissiez, hum...» L'officier essuya d'un doigt gêné une gouttelette de transpiration tombée dans son œil, avant de désigner le poste de garde vitré et de poursuivre: «...Que vous laissiez ici vos... vos armes, ainsi que l'ensemble des m-modules militaires de vos Om-mnitechs...

    Le visage pincé, Dame Qoliad toisa l'Humain de la tête aux pieds d'un regard méprisant, avec un arrêt prolongé sur son imposante bedaine, obligeant le gros homme en nage à baisser craintivement les yeux. C'est avec le plus grand détachement dont elle pût faire preuve qu'elle articula ensuite:

    –- Je n'ose même pas envisager que vous soyez sérieux, commandant... Dois-je vous rappeler que je suis un agent Spectre, investie des pleins pouvoirs du Conseil?! Vous par contre, n'êtes vraisemblablement que le directeur fantoche d'une véritable passoire pénitentiaire, ce dont je compte bien aller établir la preuve sans délai – avec mes armes toujours sur moi, cela va de soi!... Bon, assez perdu de temps, maintenant: demi-tour, marche!

    Derrière Guerdan, Damon se racla ostensiblement la gorge, tout en venant poser plus discrètement la main sur le creux du bras de l'Asari pour l'inviter à plus de modération. Pas plus que les autres agents de l'unité, il ne souhaitait voir leur patronne perdre à nouveau son calme. Non, pas cette fois-ci: pas à l'encontre d'un officier supérieur d'une espèce alliée; et surtout, surtout pas pour sa toute dernière mission...

    Guerdan sembla comprendre le message, relâchant sensiblement ses muscles sous la main du Sniper N7. Mais le commandant Kapoor, lui, n'avait toujours pas bougé, dansant à présent d'un pied sur l'autre d'un air embarrassé. De toute évidence, il aurait préféré perdre un bras tout de suite, plutôt que de mettre tout le reste en jeu en prenant le risque de présenter une nouvelle exigence réglementaire à la terrifiante Spectre balafrée qui lui faisait face. Hélas pour lui, cette exigence-ci n'était tout simplement pas négociable:

    –- Je... Je crains que dans un premier temps, vous ne p-puissiez vous entretenir directement face à face avec la p-prisonnière, Madame. Comme vous le savez, euh, sans doute déjà, ce type d'établissement de haute sécurité pour condamnés à perpétuité se divise en deux secteurs physiquement coupés l'un de l'autre: l'aile administrative – celle où nous nous trouvons actuellement –, et le quartier de réclusion, où les détenus demeurent sous le seul contrôle de systèmes automatisés ou commandés à distance. Il n'existe qu'un très petit nombre de passerelles d'accès sécurisées entre ces deux secteurs, qui ne sont d'ailleurs presque jamais empruntées, ni dans un sens ni dans l'autre.
    Le protocole pour une requête aussi exceptionnelle que la sortie effective d'un de nos détenus, exige donc un entretien préalable par visioconférence avec celui-ci. Ce n'est qu'à l'issue de cet entretien, si la nécessité de l'extraction physique du prisonnier est confirmée, que cette procédure extrêmement complexe et risquée est enfin initiée...

    Le lieutenant da Costa observait avec inquiétude les brumes bleues qui commençaient déjà à s'élever des épaules de sa supérieure biotique, pour l'heure encore muette d'exaspération. L'Humain se hâta donc d'intervenir à nouveau, lui glissant d'un ton embarrassé:

    –- Il a raison, Guerdan: article 141.8c du Code disciplinaire de l'Alliance. Bien sûr, tu pourrais faire jouer tes privilèges de Spectre. Mais crois-moi, ces règlements n'ont pas été écrits pour rien. Tu...
    –- Suffit!
    asséna l'Asari avec impatience. Suivons donc votre fichu protocole, et qu'on en finisse au plus vite avec tout ce cirque!

    Le commandant acquiesça avec soulagement, adressant un signe discret à ses deux mécas LOKI qui demeurèrent dans la salle de transit. Dame Qoliad, la probatrice T'Ribas, et les quatre agents lui emboîtèrent le pas au travers d'un dédale de corridors exigus et bas de plafond, et aux parois revêtues de plaques d'acier d'un noir mat peu engageant. La seule touche de couleur et d'animation, assez insolite, venaient des nombreux écrans de surveillance qui tapissaient toute la longueur des murs de ces couloirs, et qui permettaient à chaque patrouilleur de maintenir en permanence, et en temps réel, un œil sur n'importe quel point du quartier de réclusion.

    Guerdan se retint à plusieurs reprises de s'arrêter au passage de certains de ces écrans. On y voyait toujours les mêmes prisonniers humains en combinaisons de plastique rouge, se reposant dans leurs cellules, ou bien errant librement ou discutant en petits comités dans les allées étroites du quartier de détention, sans animosité particulière. C'était en fait le terme "humain" qui s'appliquait plutôt mal à la plupart d'entre eux: des êtres au visage altéré, corrodé comme par de profondes brûlures, et surtout, aux yeux pâles et vides, dépourvus de paupières, et luisant faiblement d'une vie toute cybernétique. On aurait sans doute pu imaginer plus d'empathie dans l'éclat vif du photorécepteur d'un Geth: croiser le regard froid de ces individus, fût-ce par écran interposé, glaçait proprement le sang dans les veines! Intriguée, Guerdan finit par interroger le directeur Kapoor à ce sujet:

    –- Ces prisonniers... Ils sont bien ce que je crois...?
    –- En effet, Madame. Nous les appelons: "les Implantés"... Il s'agit bel et bien des individus ayant reçu de Cerberus des implants de loyauté issus de la technologie des Moissonneurs, lors de la Guerre du Dernier Cycle. Et dire que la plupart de ces hommes et femmes n'étaient au départ que de malheureux colons civils, abusés ou opérés de force par Cerberus... Il y a vingt ans, l'impulsion parfaitement calibrée du Creuset, qui a détruit les Moissonneurs, a également neutralisé nombre des fonctionnalités de leurs implants. En particulier, leur conditionnement programmé à se suicider en cas de capture – ainsi d'ailleurs que leur capacité à le faire par activation d'une surcharge oculaire... Mais pour le reste, ils demeurent d'une loyauté sans faille envers une organisation criminelle pourtant dissoute depuis vingt ans. Leur plus grande ambition, s'ils devaient remettre un jour le nez dehors, serait sans doute de rebâtir cette armée secrète telle qu'elle fut, dans ses buts et dans ses moyens. Ceci, ajouté à certains autres traits communs de leurs personnalités tels que, par exemple, leur mépris total pour la vie – la leur tout autant que de celle des autres –, les exclut définitivement de toute réinsertion en société...
    Trois cent seize condamnés sont actuellement hébergés dans l'aile de réclusion d'Alcastarz. Bien sûr, aucun d'entre eux ne possède de pouvoirs biotiques! Les Implantés, qui représentent la très grande majorité de nos détenus, proviennent tous des rangs des troupes d'assaut de l'Homme Trouble: il n'en existe en effet aucun parmi les quelques anciens scientifiques et agents infiltrés de Cerberus incarcérés ici. Ces derniers n'en sont pas moins tout aussi fanatiques que les Implantés, et de ce fait, sont condamnés au même titre à finir leurs jours ici. Ils ont été regroupés dans ce centre de détention dès son ouverture, il y a une quinzaine d'années; et depuis, ils y vivent entre eux, en vase clos sous notre vigilance constante...

    Le directeur Kapoor semblait retrouver un peu d'assurance face à ses visiteurs lorsqu'il détaillait un sujet qu'il maîtrisait bien. L'officier poursuivit donc son exposé, tandis que le petit groupe continuait à progresser tout au long de ces déprimants tunnels de métal noir:

    –- Comme je vous l'ai dit, aucun personnel organique n'est déployé dans le quartier de réclusion. La seule présence que nous y assurions est de nature exclusivement synthétique: caméras, drones de surveillance, et plate-formes de combat sous IV. Quelques deux cents mécas LOKI avec armes létales ou non-létales, assistés d'une petite trentaine de mécas FENRIS et d'un nombre équivalent de drones légers, veillent à la sécurité des installations et au maintien de la discipline parmi nos pensionnaires. Une cinquantaine de mécas et de drones de servitude suffit pour prendre en charge l'entretien général, les réparations, et l'intendance des détenus. Et une aile médicale entièrement automatisée veille à leur suivi régulier et assure les premiers soins éventuels. En cas d'émeute généralisée, une demi-douzaine de mécas YMIR peut également intervenir afin de pacifier l'ensemble de la zone touchée. Dieu merci, la situation ne s'est encore jamais présentée!
    Les quatre seuls points de passage entre l'aile administrative et le quartier de réclusion sont protégés par des protocoles de sécurité redondants, plusieurs volets blindés, des passerelles rétractables et dépressurisables, et de nombreuses tourelles lourdes sous IV ou manœuvrables à distance. Si pourtant les choses devaient vraiment mal tourner, notre toute dernière ligne de défense consiste en un méca Atlas retapé – prise de guerre sur Cerberus! –, chargé de la défense du quai par lequel vous êtes arrivés.

    Dame Qoliad hocha la tête d'un air absent. L'inventaire que le directeur d'Alcastarz était en train de lui débiter correspondait point par point à l'état classifié du matériel lourd de la colonie pénitentiaire, dont bien évidemment, la Spectre avisée avait déjà pris connaissance avant de poser le pied sur le quai de la station.

    –- Pour le reste, reprit le commandant Kapoor, nous n'entretenons pas plus d'une soixantaine d'effectifs humains sur l'aile administrative. Toutefois, ce chiffre inclut un grand nombre de personnels scientifiques et médicaux, des psychologues pour la plupart: établir un bilan mental exhaustif des Implantés représente un travail de longue haleine, mais aussi un défi fascinant, qui pourrait offrir à terme de nombreuses retombées militaires utiles pour les troupes de l'Alliance!...
    –- Commandant
    , intervint Guerdan avec une sévérité grinçante, ai-je besoin de vous rappeler que toute étude portant sur la technologie des Moissonneurs est strictement interdite par les lois de la Citadelle?!
    –- J'en conviens, Madame
    , admit complaisamment le volumineux officier en s'épongeant le front. Toutefois, le travail de nos psychologues se limite à de simples entretiens et évaluations par visioconférences avec des Implantés volontaires. Je vous assure que nous n'avons même jamais seulement examiné les implants du petit nombre de détenus décédés ici sur Alcastarz: ils ont été détruits sans délai avec les dépouilles de leurs porteurs – dans le respect des lois que vous évoquiez justement...
    Pour en revenir à notre petite garnison, outre l'équipe scientifique, il convient également de mettre à part les personnels techniques et d'entretien, qui se chargent entre autres de la surveillance vidéo, ainsi que des protocoles IV de sécurité et de défense interne. Au final, il ne demeure plus qu'une vingtaine de gardes armés ayant reçu une formation militaire complète. Mais comme je vous le disais, nous n'avons encore jamais dû faire face à aucun problème sérieux...

    Tout en avançant juste derrière Guerdan, Feylin Adamas avait noté chez sa supérieure de nombreux soupirs agacés et autres symptômes discrets d'une irritabilité péniblement contenue, lorsque celle-ci observait les prisonniers sur les écrans de surveillance muraux. Tout d'abord, la jeune Asari avait pris cela pour la manifestation d'une animosité semblable à celle qu'elle-même ressentait à l'encontre des anciens criminels non-repentis de Cerberus. Puis enfin, elle comprit: l'horizon de Dame Qoliad, à l'issue de cette mission, allait se limiter à une réclusion perpétuelle dans un lieu sans doute à peine plus reluisant que celui-ci, aux conditions de détention peut-être à peine moins dégradantes. Ce à quoi la Spectre se frottait ici n'était finalement rien de plus qu'un avant-goût de sa propre déchéance. Feylin ne put s'empêcher de ressentir de la tristesse, et une profonde pitié pour celle qui auparavant ne lui avait jamais inspiré que de l'envie – l'envie de suivre ses traces, et peut-être un jour, de se hisser à son niveau.

    De son côté, Damon avait relevé plusieurs signes de nervosité dans les gestes brusques ou imprécis des quelques gardiens humains qu'il avait pu croiser. En dépit des visières d'armure qui couvraient leurs visages, leur malaise était patent. Le lieutenant-major de l'Alliance mit cela sur le compte du stress compréhensible de la part de n'importe quel fonctionnaire concilien subissant l'inspection inopinée d'un agent Spectre; mais pour autant, il décida de demeurer sur ses gardes. Dans le même temps, Guerdan et Andrak, tous deux rompus à l'interprétation des réactions physiques lisibles chez les Humains, avaient eux aussi décelé le même genre de signes, et s'étaient mutuellement confirmés leurs soupçons par un rapide regard de connivence.


    Le directeur Kapoor et ses visiteurs empruntèrent ensuite une cabine d'ascenseur, avant de s'engager au travers d'une succession de galeries désertes, plus étroites et plus sombres encore que les précédentes, car dépourvues à présent du semblant de lumière et de mouvement que dispensaient les écrans muraux, absents à ce niveau. On aurait dit que ce métal noir et froid avalait jusqu'au bruit des pas qui le martelaient. Dame Qoliad finit par rompre le silence lugubre qui s'était appesanti sur le cortège:

    –- Parlez-moi donc des conditions d'incarcération de Maya Brooks, commandant.
    –- Ah, elle
    , répondit le directeur avec un soupir embarrassé. Elle fait partie de ces quelques détenus que nous maintenons en isolement soit du fait de leur dangerosité, soit pour assurer leur propre sécurité. Brooks relève quant à elle de ces deux cas. En tant que transfuge notoire de Cerberus, elle risquerait un mauvais parti si elle se retrouvait mêlée aux anciens membres de l'organisation qu'elle a trahie. Ceci dit, elle ne nous a jamais causé le moindre problème. Bien qu'elle soit l'une de nos rares détenues non-implantées, sa personnalité intéresse beaucoup nos psychologues, qui ont toujours de fréquentes visioconférences avec elle. Mais secret médical oblige, je n'ai jamais eu accès aux conclusions de leurs analyses... Vous comprenez, bien sûr?

    Au fil de ces tunnels déprimants, le petit groupe parvint enfin devant un grand panneau mural, lequel ne se distinguait guère du mur sombre environnant que par la bande de couleur jaune qui en soulignait le contour. Les volets d'entrée se rétractèrent lorsque le directeur apposa son Omnitech sur le verrou holographique qui les unissaient, dévoilant une salle relativement obscure, plutôt étroite et toute en longueur. Il s'agissait là de toute évidence du téléparloir, à en juger par l'écran large fixé sur le mur opposé, dominant par sa taille les quelques autres moniteurs secondaires disposés autour de lui. Le reste de l'endroit n'était que fort chichement meublé: quelques sièges mobiles, et une table disposée face à l'écran. Dame Qoliad tiqua en constatant l'aspect spartiate et désuet de l'installation:

    –- Quoi, un simple écran 2D? Pas d'holoprojecteur?
    –- Navré, Madame
    , s'excusa platement le commandant Kapoor. Vous comprendrez que nous évitions de laisser des dispositifs d'un niveau technologique trop avancé dans le quartier de réclusion – en dehors bien évidemment des mécas, drones et systèmes de surveillance à distance, tous parfaitement sécurisés. Le parloir où va être dirigée la détenue Brooks ne dispose donc que d'un simple écran hors réseau, en circuit fermé avec cet écran-ci. Bon, euh, si... Si vous le permettez, Madame, je vais à présent vous laisser. Je reste juste à côté, naturellement...

    Le directeur du pénitencier ne tenta même pas de dissimuler, lorsque les volets de la porte se rabattirent derrière lui, à quel point il était soulagé de pouvoir enfin abandonner ces agents spéciaux à leur sombre besogne d'agents spéciaux. De son côté, Dame Qoliad ne semblait pas fâchée non plus d'être débarrassée de cette boule de nerfs en uniforme... C'est avec une solennité affecté que la Spectre asari vint s'asseoir derrière la table, face au vaste écran mural: celui-ci donnait sur une grande cellule uniquement meublée des mêmes table et chaises que le parloir, mais encore déserte par ailleurs. La porte en coulissa cependant bientôt, et entrèrent alors dans le champ de vision de Guerdan et de ses agents une prisonnière humaine en combinaison de plastique rouge vif, encadrée de deux mécas LOKI tenant chacun en mains un pistolet lourd prêt à l'emploi.

    La détenue était ceinte d'un harnais de polymères permettant de l'entraver de diverses manières; et une paire d'Omni-pinces emprisonnait également ses poignets, autour desquels deux anneaux jumelés traçaient en continu des boucles de lumière dorée. Physiquement, l'Humaine correspondait bien aux extraits vidéo du dossier de Maya Brooks, que chacun des agents avait reçu sur son Omnitech: taille svelte bien entretenue, peau sombre soulignée de rides légères au coin des lèvres, et longs cheveux noirs ramenés en chignon sur la nuque, à présent veinés de quelques mèches blanches.

    La prisonnière vint s'asseoir docilement face à l'écran, toujours entre ses deux gardiens synthétiques. À ce stade, avec une liaison vidéo 2D d'aussi faible définition et aucun scan ADN disponible, il était encore impossible de certifier à coup sûr que cette Humaine fût bien la dangereuse terroriste que le commandant Shepard avait envoyée sous les verrous vingt ans plus tôt. Tant d'hypothèses envisageables s'imposaient à l'esprit des agents, sans qu'ils aient eu besoin de se concerter: montage vidéo de qualité, ou piratage de l'image du visage en temps réel; doublure superbement grimée, ou sosie naturel parfait; sans même parler de la folle éventualité d'un clone développé en cuve («Toujours envisager l'hypothèse du clone!»)...

    Ces réflexions s'interrompirent d'elles-mêmes lorsque Dame Qoliad fit craquer les jointures de ses doigts: tous comprirent alors que l'interrogatoire allait enfin débuter; et que les réponses pour lesquelles ils venaient d'endurer un bien pénible voyage, n'allaient maintenant plus tarder à tomber...

    [...]

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