Unité N°1: Saison 2
 
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Unité N°1: Saison 2

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Dr Sordin Molus
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Bonsoir! Comme son nom l'indique, voici la suite des aventures de l'Unité GEIST N°1 – à n'aborder qu'après la lecture d'Unité N°1: a Mass Effect story, publié ici plus bas. À bord de leur vaisseau d'attache, la frégate de classe Normandy SSV Citadel, notre équipe préférée d'agents d'élite du Conseil continue à sillonner la galaxie sous la direction de Dame Guerdan Qoliad, la Spectre asari six fois centenaire au visage marqué mais à la pugnacité intacte. L'accompagnent toujours: Feylin Adamas, sa congénère aussi douce en apparence que mortelle au corps-à-corps; Damon da Costa l'intrépide lieutenant N7 de l'Alliance, sorcier du tir de haute précision; et l'ingénieur Sudaj Lenks, l'ancien baroudeur du GSI galarien. Depuis quelques missions, l'unité s'est enrichie d'un nouvel élément en la personne d'Andrak Atkoso'dan, gigantesque chasseur de primes butarien venu des Systèmes Terminus, anti-esclavagiste militant et redresseur de torts bénévole à ses moments perdus. La publication des huit chapitres scénarisés suivra le rythme de mon inspiration rédactionnelle. Et pour l'heure, je vous souhaite une excellente lecture!

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Dr Sordin Molus
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  • Épisode 1: Flambée de pruneaux sauce krogane !

    Crête Apienne – Système Castellus – Planète Digeris –
    8e niveau souterrain du port commercial d'Apparitus, entrepôt 852B

  • –- Je vous sens un tantinet crispés, les garçons, plaisanta Feylin. Allez, détendez-vous: je suis sûre que tout va bien se passer...
    –- Tu devrais suivre cours de théâtre
    , rétorqua Lenks d'un ton rapide, mais peu convaincu. Meilleur moyen arriver à rendre crédible pour les autres ce dont tu n'arrives pas te persuader toi-même...

    Le Galarien avait raison, comme d'habitude: Feylin Adamas ne pouvait se mentir à elle-même, et en dépit de sa longue et riche expérience en tant que chasseresse biotique, elle ressentait bel et bien une lourde boule au ventre à l'approche de la confrontation qui s'annonçait. L'Asari allait en effet devoir interpréter sous peu le rôle de la négociatrice envoyée conclure un achat de matériel ultra-sensible, auprès d'une des factions mercenaires les plus justement redoutées de la galaxie!

    Deux de ses collègues agents, Andrak Atkoso'dan le gigantesque Franc-tireur butarien, et Sudaj Lenks le frêle Ingénieur et opérateur de drones galarien, se tenaient derrière elle en armures de combat intégrales afin d'endosser le rôle de ses gardes du corps pour cette rencontre. Désireuse de maintenir ses interlocuteurs dans une confiance trompeuse, Feylin avait quant à elle dû troquer sa propre armure légère pour une élégante robe bleu béryl, sans armes visibles. Bien sûr, cela ne l'enchantait guère; mais en cas de besoin, elle savait pouvoir compter sur le soutien des deux derniers membres de l'équipe inter-espèces, habilement dissimulés ailleurs dans cet entrepôt souterrain à l'abandon: le lieutenant-major de l'Alliance Damon da Costa, Sniper émérite qualifié N7; et la Spectre asari Guerdan Qoliad, la très énergique et très expérimentée responsable de l'Unité GEIST N°1.

    * * * * * *

    Une semaine plus tôt, les services de renseignements personnels du Primarque de Palaven lui avaient révélé qu'un coup d'état se préparait sur Invictus, un monde turien situé dans le Secteur du Désert de Minos. Depuis sa fondation assez récente, cette colonie agricole avait toujours été en proie à une anarchie endémique, due à l'afflux de criminels venus des Systèmes Terminus. De nombreux mouvements politiques radicaux étaient nés de cette situation intenable pour les malheureux résidents turiens de ce monde; et l'une des plus récentes et des plus virulentes parmi ces mouvances se trouvait être dirigée par Légius Tector, rien moins que le gouverneur militaire d'Invictus. Or les agents du Primarque venaient de découvrir que le général Tector orchestrait à brève échéance un attentat spectaculaire, qui aurait causé la mort de milliers de citoyens turiens. Il aurait alors été en mesure d'attribuer cette atrocité aux "forces de déstabilisation étrangères" et autres "factions criminelles incontrôlables", afin de justifier l'instauration de la loi martiale, la fermeture des frontières du système Caestus, et la prise des pleins pouvoirs par le gouverneur militaire – en prévision à brève échéance, pensait-on, d'une sécession d'Invictus d'avec la Hiérarchie turienne.

    Légius Tector possédait de nombreux appuis politiques au sein de la Hiérarchie, et ne pouvait donc être destitué sans preuves solides. Son discours autoritaire ne manquait pas non plus de partisans à tous les niveaux de l'armée et des services secrets turiens. Aussi c'est au Conseil de la Citadelle, et aux équipes d'intervention spéciales de celui-ci, que le Primarque avait préféré confier le soin de déjouer l'attentat et de confondre le général factieux.

    Les renseignements conciliens avaient pu déterminer par quel moyen Tector comptait faire sur Invictus un nombre colossal de victimes exclusivement turiennes. Ses agents devaient en effet acquérir un chargement de Lémure, un puissant neurotoxique développé lors de la terrible Guerre de l'Unification qui avait déchiré les colonies turiennes, près de trois millénaires plus tôt. Ce poison n'était mortel que pour les organismes dont la physiologie est basée sur des acides dextro-aminés, tels que les Turiens (et donc sans doute aussi les Quariens, bien qu'aucun test n'ait jamais été mené à ce sujet – officiellement du moins!). Aucun stock de Lémure ne subsistait plus nulle part, et la formule en avait été perdue. Mais les agents de Tector avaient pu découvrir l'existence d'une ultime bonbonne, une relique toujours active au bout de nombreux siècles, détenue dans les trésors de guerre du dangereux groupe mercenaire des Berserkers. Les dissidents turiens avaient donc pris contact avec les chefs krogans de cette puissante armée privée, en vue d'acheter à prix d'or ce sinistre vestige des guerres du passé.

    L'interception et la mise en échec de l'échange avaient été confiées à l'Unité GEIST N°1, sous la direction de Dame Guerdan Qoliad – l'une des plus anciennes Spectres au service du Conseil. La petite cellule d'enquêteurs chevronnés était parvenue à remonter la trace des agents de Tector jusque sur Digeris, un monde développé situé en plein cœur de l'espace turien. Là, ils avaient pu identifier l'équipe d'acquisition des conjurés; la prendre en embuscade et la neutraliser discrètement, sans pertes dans leurs rangs; puis faire parler l'unique survivant, un dénommé Turnus Védrim, l'homme de confiance du général, de manière à obtenir les coordonnées du lieu prévu pour l'échange...

    * * * * * *

    ...Et à présent, Feylin Adamas et ses deux "gardes" attendaient l'arrivée de leurs contacts dans cet entrepôt crasseux, non sans une réelle appréhension. On pouvait difficilement trouver sur une capitale planétaire aussi populeuse qu'Apparitus un endroit plus reculé que ce niveau de stockage désaffecté dans les bas-fonds du spatioport commercial. Une lumière réduite venait parcimonieusement éclairer les containers laissés épars au sol, et les caisses empilées sur les rayonnages latéraux depuis la Déesse savait combien d'années. Une généreuse couche de poussière par endroits prouvait l'état de déshérence où étaient tombées la plupart des marchandises stockées ici. Le squelette d'un gros engin de levage rouillé et cannibalisé, abandonné près du grand portail coulissant bloqué en position entrouverte, parachevait l'impression de déréliction qu'inspirait l'endroit. Au temps pour la réputation d'organisation infaillible des Turiens, songea Feylin.


    Derrière elle, Andrak et Lenks étaient équipés de casques à visière afin de dissimuler leurs visages: simple précaution imposée par Dame Qoliad. Andrak Atkoso'dan, chasseur de primes de sa profession, et justicier indépendant par vocation, s'était en effet taillé une réputation détestable parmi les organisations criminelles les plus violentes des Systèmes Terminus; et nombre de guerriers krogans du clan des Berserkers en particulier, auquel nos trois agents allaient bientôt faire face, auraient été plus que ravis de ramener la peau du géant butarien en guise de trophée – après avoir dévoré le reste sur place! En ce qui concernait Sudaj Lenks, ce vétéran du GSI galarien, spécialiste reconnu en matière d'explosifs, s'était quant à lui généralement cantonné à des frappes beaucoup plus discrètes et anonymes; mais cela ne l'empêchait peut-être pas de s'être fait lui aussi son propre fan-club au fil des années, allez savoir...

    Au terme d'une longue attente, Andrak nota sur son scanner des mouvements dans la coursive d'accès à l'entrepôt: trois points de masse élevée se déplaçant dans leur direction à vitesse de marche. Peu après, trois Krogans cuirassés de lourdes armures rouges et noires vinrent s'aligner sans un mot dans l'encadrement du portail, face aux trois agents. Il y avait encore seulement vingt ans, la seule présence de ces gigantesques sauriens bipèdes aurait pu causer une émeute dans les rues d'un vieux monde de l'espace turien tel que Digeris, qui avait été durement meurtri lors de la Rébellion Krogane quinze siècles plus tôt. Toutefois, depuis la Guerre du Dernier Cycle et la participation active des clans de Tuchanka aux rudes combats livrés aussi bien sur Palaven que sur Terre, cette espèce longtemps redoutée commençait à trouver sa place un peu partout dans la galaxie.

    Ces Krogans-ci en tout cas étaient quant à eux décomplexés au point d'afficher bien en vue, poché sur leurs épaulières, le crâne blanc qui proclamait agressivement leur appartenance au très redouté groupe mercenaire des Berserkers. Celui d'entre eux qui semblait être le chef était d'une stature surpassant de beaucoup ce que les agents avaient jamais vu de plus impressionnant, même au sein de son espèce; et la cruauté bestiale qui luisait dans ses yeux ne s'accompagnait pas de cette impression de stupidité bornée lisible sur la face de bien des guerriers de son peuple. L'un des deux autres Krogans, plus menu et revêtu d'un modèle d'armure technique assez peu usité, était vraisemblablement l'Ingénieur du groupe: une spécialité qui commençait seulement à prendre son essor parmi cette espèce essentiellement vouée au combat au contact.

    Feylin se rappela qu'il existait toujours une inconnue de poids lorsque se présentait le moment d'affronter un seigneur de guerre krogan: tous étaient déjà à coup sûr de formidables combattants – vifs, puissants, endurants, et riches de nombreux siècles d'expérience dans l'art de la guerre; mais un petit nombre d'entre eux pouvaient en outre se révéler être de redoutables Foudres, maîtrisant au plus haut niveau des talents biotiques dévastateurs. Avec un peu de chance, tenta de se rassurer Feylin, elle n'aurait finalement affaire à rien de plus insurmontable qu'une montagne de muscles d'acier presque intuable...

    Demeurant sur le seuil du hangar sans encore sembler prêter attention au trio d'aliens dépareillés qui lui faisait face, le chef krogan tourna la tête vers son Ingénieur, et lui intima un ordre convenu d'un simple claquement sec de la langue. L'autre s'empressa de déployer une, puis deux petites sphères flottantes parcourues d'un halo orangé. Ces drones s'envolèrent aussitôt en plusieurs points successifs de l'entrepôt, qu'ils inspectèrent à la recherche de toute trace de vie organique ou d'activité synthétique: s'aventurant au sommet des rayonnages, entre les caisses, et au plus près des parois des containers, ils dardaient un filet de lumière bleutée en chaque endroit qu'ils scannaient avec une minutie toute mécanique. Ce n'est que lorsque les deux engins revinrent vers leur opérateur – scan négatif, secteur sécurisé – que le grand chef krogan s'avança dans le hangar vers l'Asari et ses gardes du corps:

    –- Vous êtes qui, vous? Je croyais qu'on devait faire affaire avec des Turiens. Des Turiens assez tordus pour vouloir acheter ce poison à Turiens; mais ça c'est pas mes oignons, tant qu'on me paie... En tout cas, il te manque un peu trop de carapace sur la gueule pour passer pour un de ces foutus piafs gris, ma jolie...
    –- Mon employeur préfère s'impliquer le moins personnellement possible dans cet échange
    , répondit Feylin avec aplomb. Son nom ne devra donc pas être prononcé ici. Mon nom à moi est Béryllia, et c'est avec moi que vous allez traiter.
    –- Appelle-moi Oorlog, Asari. Et le reste de mon nom ne te regarde pas. Dis-moi un peu, où est la marchandise sur laquelle on s'était entendus? Où est le stock d'ézo raffiné qu'on m'avait promis? Je ne poursuis pas l'échange sans avoir vu les containers...

    La pseudo Béryllia avait conscience qu'elle était en train de jouer son va-tout. Si la brute krogane n'avalait pas l'énorme couleuvre qu'elle allait lui servir, la situation risquait de dégénérer en massacre bien plus tôt que prévu.

    –- Certaines circonstances nous ont obligés à réviser les termes de notre accord, Oorlog. Le stock intraçable d'élément zéro qui était en notre possession... ne l'est plus. Mon employeur offre en lieu et place de vous verser la valeur équivalente en crédits galactiques, proposa Feylin en activant son Omnitech, plaçant entre elle et le Krogan le gantelet doré qui s'était matérialisé autour de son avant-bras. Un compte parfaitement clean – blanchi dans les banques volus d'Irune, c'est tout dire. Avec un bonus de 10% sur la somme prévue, en guise de compensation.

    Tout le volume du hangar résonna d'un rugissement dantesque, lorsque Oorlog exprima son désaccord sur la proposition de Feylin. Elle-même ne put s'empêcher de reculer d'un pas.


    –- Tu te payes mon carré, Asari?! Il nous faut cet ézo, maintenant! Tu sais très bien que nous autres Berserkers, on ne peut pas se fournir sur les circuits officiels! Et le prix de l'ézo au marché noir est bien supérieur de près de la moitié à celui du cours de la Bourse concilienne! La moitié, tu captes?!...
    –- Je comprends, Oorlog. Et je suis autorisée à traiter une réévaluation allant jusqu'à 20%; mais pas un crédit de plus. De toute façon, je doute que vous puissiez trouver un autre client pour une marchandise aussi sensible. Flinguez cette négociation, et vous vous retrouverez avec un précieux stock de neurotoxiques totalement infourguable sur les bras...
    –- Putain, mais c'est pas juste la négo' que je vais flinguer, là!
    fulmina le Krogan alors qu'il décrochait une redoutable mitrailleuse légère Revenant du dos de son armure.

    En moins de deux secondes, des armes étaient apparues entre les mains de tous les participants présents. Sauf bien sûr dans celles de Feylin qui n'en portait pas, et qui présentait ses paumes vides aux deux parties en signe d'apaisement. L'Asari était persuadée que l'embrasement de la situation pouvait encore être retardé – au moins jusqu'à ce que le Lémure soit physiquement présent sur le lieu des pourparlers. Le pari était risqué; mais elle savait que si Oorlog revenait chez les Berserkers sans ramener autre chose que l'embarrassante cargaison toxique qu'on lui avait confiée, il courait le risque de voir sa cote baisser fortement parmi les siens. Et elle savait que le Krogan le savait aussi...

    De fait, Oorlog finit par abaisser le canon de son arme, imité en cela par ses comparses, puis par Andrak et Lenks. Mais c'est la lippe encore frémissante de rage qu'il aboya un ordre sec dans son communicateur:

    –- Amenez la dope! Qu'on en finisse, avant que je pète quelque chose!...

    Dans l'attente, le gigantesque chef krogan se mit à arpenter nerveusement son côté du hangar, l'œil rougeoyant toujours fixé sur ses vis-à-vis, semblant tenter de faire redescendre la température. Pour autant, aucune des armes déployées n'avait encore regagné le logement dorsal d'une armure, et la situation demeurait tendue à l'extrême. Au bout de cinq très, très longues minutes, trois Vortchas armés entrèrent dans le hangar par la même porte que les Krogans, trois parfaits exemples de la chair à canon que l'on emploie chez les Berserkers: crétins, hargneux, et sacrifiables. L'un d'eux poussait un antique chariot à quatre roues sur lequel avait été précautionneusement arrimé un long cylindre de métal gris-bleu, couleur sang de Turien, d'environ la taille d'un homme. Oorlog n'accorda qu'un bref regard de mépris à l'entrée de cette arme indigne, avant d'adresser un signe de tête à l'intention de la négociatrice asari.

    La fausse Béryllia s'avança seule et effectua à pas lents le tour du cylindre de neurotoxique; puis activant l'Omnitech sur son avant-bras, elle le fit passer sur les parois du réceptacle afin de scanner et d'authentifier les notices en caractères turiens et puces d'encodages qui s'y trouvaient. Tandis que l'Asari qui se livrait à ces examens minutieux retenait l'attention des deux groupes, le Krogan le plus menu, l'Ingénieur des Berserkers, se rapprocha discrètement de son chef et commença à échanger avec lui des murmures à très basse fréquence vocale:

    –- Hé, Oorlog! Tu as vu ce que ce grand mastard de Butarien a entre les mains?
    –- Ouais. C'est un fusil Chasseur... une arme de Cerberus. J'en avais encore jamais vu en vrai...
    –- Et t'en connais beaucoup, toi, des Butariens hyper-balèzes qui se trimballent avec une pièce de collection de chez Cerberus?
    –- Je... Bordel!
    hurla le chef krogan. C'est Andrak!! Ce putain de justicier de mes quatre! C'est un piège, les gars! Feu! Butez-les tous!!

    Le plan de Feylin vola en éclats lorsque l'initiative se retrouva brusquement du côté des Berserkers. L'Asari avait prévu d'attendre, pour déclencher les hostilités, que le cylindre de Lémure soit passé de son côté du hangar, et que les mercenaires soient concentrés sur le moment du transfert des crédits. Et là, les trois agents du Conseil se retrouvaient à découvert, à très courte portée d'ennemis supérieurs en nombre et en armement... Handicap supplémentaire, ils ne pouvaient en aucun cas se permettre d'endommager la bonbonne de neurotoxique restée sur son chariot en plein milieu du champ de bataille – pas dans ce hangar qui ventilait vers la surface d'une capitale turienne densément peuplée! Bien sûr, leurs adversaires pouvaient quant à eux ignorer ce genre de restriction...

    Les tirs croisés commencèrent à fuser au travers du vieil entrepôt. Les nuages de poussière qui fleurissaient dans la lumière tamisée à chaque impact de balle donnaient une touche surréaliste à l'affrontement. Placée en première ligne, Feylin dut faire un choix rapide: elle était bien trop proche des Berserkers pour prendre l'élan nécessaire pour une de ces renversantes Charges biotiques dont elle avait le secret; et puis sans son armure, elle aurait subi bien trop violemment le contrecoup des impacts qu'elle aurait portés. Pour la même raison, elle ne se sentait pas trop emballée non plus à l'idée d'engager au corps-à-corps le géant krogan dont elle était le plus proche. Au final, l'Asari se contenta de prendre du champ en renversant le guerrier d'une violente Projection biotique, avant d'exploiter la célérité amplifiée que lui conférait son entraînement de chasseresse pour rejoindre à une vitesse stupéfiante un abri d'où couvrir ses compagnons. Elle y récupéra au passage sa mitraillette Locust là où elle l'avait dissimulée, puis ouvrit rapidement le feu sur l'un des Vortchas.

    Andrak, qui s'était trouvé assez proche du même empilement de caisses, s'y était déjà jeté aux premiers hurlements d'Oorlog. Quant à Lenks, plus éloigné de tout refuge, il avait focalisé les tirs ennemis sur lui dès le début de l'engagement. L'Ingénieur galarien avait activé l'une des fonctionnalités les plus exotiques de son Omnitech, une technologie d'origine Geth qui matérialisa devant lui un grand pavois hexagonal translucide, vaguement bleuté. Les écrans fixes qu'il savait produire se révélaient généralement assez durables à l'usage. Mais cette fois, la grêle de balles à laquelle fut soumise la protection cinétique eut raison de celle-ci en un rien de temps: le pavois se désactiva d'un seul coup, laissant Lenks totalement exposé à découvert. Lorsque ses boucliers seraient tombés, son armure technique trop légère ne l'empêcherait pas d'être rapidement haché menu...

    Revenant brusquement sur ses pas, Andrak se jeta dans la trajectoire des tirs, faisant écran de son vaste corps pour protéger son compagnon Ingénieur. Puis d'un même élan, le poids lourd butarien empoigna le poids plume galarien sous les aisselles et le projeta à toute volée derrière les piles de caisses les plus proches, à dix mètres de là. Le long miaulement de surprise de Lenks ne s'éteignit que lorsqu'il se reçut au sol tant bien que mal. Dans le même temps, les rafales ennemies tirées à courte portée parvinrent à saturer en moins de deux secondes les puissants boucliers cinétiques du Franc-tireur butarien, pourtant alimentés par les nombreuses cellules énergétiques de sa lourde armure de technicien. Le blindage épais de celle-ci ne laissa pénétrer que trois des multiples tirs qu'il encaissa; le choc quasi simultané des impacts fit cependant tituber le colosse.

    Mais par chance pour lui, les trois Vortchas équipés des mêmes fusils Vindicator se retrouvèrent obligés de renouveler en même temps la cartouche thermique de leurs armes en surchauffe. Andrak profita de ce court répit pour se propulser d'un vigoureux coup de talon en direction des caisses, complétant le mouvement par une roulade qu'il acheva en position de tir derrière son nouvel abri. Une figure parfaite, digne d'un véritable professionnel, et visiblement mise au point par une longue pratique du terrain... Une fois à couvert, le Butarien utilisa le module médical de son Omnitech pour appliquer une solide dose de Médigel concentré sur ses blessures les plus graves. L'adrénaline lui permettait encore de surmonter la douleur, mais cela ne durerait pas.

    Les tirs de suppression de la mitrailleuse légère d'Oorlog et des armes des autres Berserkers forçaient les trois agents conciliens à garder la tête baissée, tout en mettant progressivement en pièces le mince rempart de caisses et de bidons derrière lequel ils s'étaient retranchés. Lenks avait tenté en vain de déplacer le combat dans la troisième dimension en déployant l'un des ses deux drones légers. Il n'avait réussi qu'à en déplorer la perte: le malheureux engin n'était parvenu à s'élever que de quelques mètres au-dessus de la position avant d'être abattu. Au moins avait-il eu le temps de mettre lui-même hors de combat le drone que l'opérateur krogan avait envoyé harceler les agents dans leur bastion. Si aucun élément nouveau n'intervenait, l'issue du combat commençait déjà à se dessiner...

    –- Achevez-moi ça! continuait de brailler Oorlog, dont le chargeur de mitrailleuse semblait inépuisable. Merde, vous vous croyez dans une putain d'arène virtuelle?! Déchiquetez-moi ces sacs à...


    Soudain, l'un des Vortchas poussa un feulement sauvage en se voyant soulevé du sol, qui tourna en gémissement de terreur lorsqu'il commença à sentir sa peau et ses muscles tiraillés par de puissantes forces d'attraction. Son congénère à ses côtés eut juste le temps de tourner vers lui un regard sidéré, avant d'être pris à son tour dans le rayon de la Singularité biotique qui venait de s'ouvrir entre eux. Suspendant leur feu, les Krogans se retournèrent pour observer avec étonnement les deux Vortchas flottant dans les airs au milieu d'un tourbillon de poussière, autour d'un point noir irradiant. Mais surtout, ils furent frappés de stupeur lorsqu'ils aperçurent une Asari de haute taille au visage couturé de cicatrices, vêtue d'une armure légère noire comme la nuit, finissant d'émerger de la carcasse de l'engin de levage abandonné près du portail derrière eux. Une aura bleutée autour de son corps montrait clairement que la nouvelle venue avait déjà levé une Barrière biotique, en vue de se préserver des tirs qu'elle allait immanquablement attirer. Dame Qoliad venait d'entrer dans l'arène, et elle avait déjà en bouche le goût du sang.

    À peine sortie de sa cachette, la trouble-fête asari projeta un champ de gravité sur le guerrier krogan voisin d'Oorlog, l'emprisonnant dans un état de Stase qui devait le mettre hors jeu pour une petite quinzaine de secondes. Puis elle courut vers un abri, en lâchant au jugé quelques volées de fusil d'assaut en direction des trois Berserkers encore en état de combattre, dans l'intention de maintenir les tirs sur elle et sur son impénétrable Barrière biotique. Depuis sa position maintenant soulagée du feu ennemi, Feylin vit une ouverture: elle prit le temps d'une brève concentration, puis lança une Déchirure droit sur la Singularité créée par Guerdan. L'anomalie biotique détona avec une violence inouïe, désarticulant et écrasant contre le sol de béton l'un des deux Vortchas qui en était prisonnier, et propulsant le second jusqu'au plafond du hangar, d'où il retomba lourdement pour ne plus se relever! L'onde de choc projeta en outre à terre le troisième Vortcha, et fit tituber les Krogans sans toutefois les renverser... Une telle détonation ne projetant aucun éclat, Feylin savait que le cylindre de Lémure ne risquait rien.

    S'étant rétabli sur ses pieds, Oorlog tentait en vain d'abattre à la mitrailleuse la puissante Barrière biotique de Guerdan, quand tout à coup il ressentit un léger choc électrique sur tout le corps. Lorsqu'il se retourna et entrevit le sale petit pyjak d'Ingénieur galarien se replaçant prestement à l'abri derrière ses caisses, il comprit d'emblée que celui-ci venait de faire tomber ses boucliers cinétiques en les surchargeant à distance. Dès lors, plus question pour le chef krogan de poursuivre la fusillade: le meilleur endroit désormais où il serait à l'abri des tirs ennemis, serait au contact le plus direct avec ses adversaires! Oorlog rejeta sur le côté sa mitrailleuse Revenant, et tira du dos de son armure un impressionnant marteau de combat, l'arme redoutée des plus puissants seigneurs de guerre krogans; puis lançant une clameur terrifiante, il se rua droit sur la position des trois agents.

    «Alors comme ça, le combat se réduit à portée de baïonnette? songea Andrak. Ça me va bien: je suis outillé, et j'ai de l'allonge!» En deux pressions rapides sur le côté de son fusil Chasseur, le grand Butarien fit apparaître sous le canon de l'arme une Omni-lame en carbure de silicium, un large tranchoir luisant d'un feu orangé, propre à refroidir les ardeurs de tout autre qu'un Krogan en pleine charge. Quittant son abri, Andrak s'élança à son tour à la rencontre de l'ennemi, puis au bout de seulement quelques foulées, se laissa glisser sur un genou pour éviter un revers mortel du lourd marteau de son adversaire. Pointant sa baïonnette en flèche tout en raidissant les muscles, il vit la montagne d'acier rouge et de cuir brun venir s'empaler sous le poids de son propre élan. La puissance du choc ébranla à peine le colosse butarien. Ce dernier se releva aussitôt, et d'un même mouvement, expédia le talon de sa botte cuirassée au creux de l'estomac d'Oorlog. Le coup dégagea la baïonnette de la poitrine de l'énorme chef krogan, et envoya celui-ci retomber lourdement deux mètres en arrière, les quatre fers en l'air.

    Malgré les apparences, le seigneur de guerre n'était pas sous l'emprise de la rage du sang – pas encore. Il pouvait donc ressentir la douleur, alors qu'il s'efforçait de récupérer au sol, mais était également encore tout à fait en état de raisonner. En état d'évaluer la situation merdique où son groupe... où ce qu'il restait de son groupe était tombé. Mais qu'importe: il restait le puissant Oorlog! Trois quintaux de fureur, de muscles et de cuir inentamable, et huit siècles d'expérience du combat, le tout emballé dans une armure lourde! Déjà "tué" à plusieurs reprises auparavant, il s'était pourtant relevé à chaque fois pour reprendre le combat et en finir avec ses adversaires médusés. Déjà il se redressait, marteau de guerre en main, sentant bouillonner en lui la rage du sang de ses ancêtres. Ses ennemis allaient bientôt sentir le poids de sa colère...

    Puis soudain, le Krogan eut comme une illumination subite. Il était clair maintenant que ces adversaires supérieurement équipés et parfaitement entraînés formaient l'une de ces foutues équipes inter-espèces du Conseil dirigées par un agent Spectre, venue interférer dans son business avec les Turiens. La Spectre, il l'avait déjà identifiée: même s'il ne se souvenait plus de son nom, cette grande Foudre de guerre asari au visage ravagé était assez souvent passée aux infos conciliennes ces deux derniers siècles pour qu'il l'ait immédiatement reconnue. Mais ces unités spéciales, il le savait, sont généralement composées de cinq agents au total. Alors où diable restait le cinquième de ces sales fouille-merde?!

    Ce fut la dernière chose qui passa par la tête d'Oorlog. La dernière, juste avant la balle tirée par Damon da Costa...

    Depuis son poste de tir camouflé sur les rayonnages supérieurs de l'entrepôt, le Sniper humain réduisit brièvement le grossissement sur sa lunette, afin de mieux observer la masse inerte du chef krogan gisant au sol, et la longue projection de fluides jaunâtres qui s'étalait derrière sa nuque dans la trajectoire du tir.

    –- Je ne crois pas tes organes vitaux de secours t'aideront à te relever cette fois-ci, ma grosse, songea Damon tout en se mettant en quête d'une nouvelle cible prioritaire...

    ...Et il ne tarda guère à la trouver: l'Ingénieur des Berserkers était en train de ramasser un redoutable lance-grenade M-100 sur le corps d'un des Vortchas. En tir semi-automatique, ce genre d'arme pouvait faire des ravages dans un lieu clos tel que cet entrepôt! Damon ajusta rapidement sa cible en visant les bras, et fit feu. Le coup suffit à faire tomber ce qui restait des barrières cinétiques du Krogan, sans toutefois que la puissance résiduelle du tir parvienne à entamer son armure technique. Le choc arracha cependant le lance-grenades de ses mains, et le laissa interdit un court moment.

    Ce fut suffisant pour qu'Andrak le Franc-tireur puisse pointer son Omnitech, et projeter sur l'Ingénieur ennemi une décharge de plasma qui consuma tout dans un rayon de deux mètres. Le dernier Vortcha encore debout, ses boucliers également à plat, tentait alors de récupérer de ses blessures à l'abri derrière le Krogan: il fut pris dans le rayon de l'embrasement lorsque l'enfer se déchaîna autour des deux Berserkers. Ceux-ci furent saisis de panique alors que le plasma calcinait leurs chairs sous leurs armures. L'équipe concilienne profita de leur désarroi pour les expédier tous deux au sol en quelques tirs croisés. Le lieutenant da Costa en particulier troua là son second crâne de Krogan de la journée.

    Le dernier soldat des Berserkers émergea à cet instant de l'état de Stase où l'avait plongé Guerdan, tombant à genoux, momentanément désorienté. Soit qu'il fût trop buté pour réaliser qu'il se battait désormais seul, soit qu'il eût décidé qu'on ne le prendrait pas vivant, le guerrier krogan se releva arme en mains en poussant un rugissement de tonnerre. Il n'avait pourtant plus la moindre chance de l'emporter face à une unité GEIST rassemblée au grand complet. En quelques instants, les tirs de barrage des cinq agents concentrés sur une même cible de belle taille balayèrent ses boucliers, mirent son armure en pièces, et lui avec. Guerdan alla s'assurer à l'aide de son fusil Séide que cet adversaire-là n'irait pas se relever à l'improviste. Ce fut également elle qui composa la très courte oraison funèbre de l'opiniâtre Berserker anonyme: «Stupide mâle krogan...»

    À présent que l'affrontement était terminé, la Spectre asari commençait à éprouver la fatigue physique, la fringale, et le passage à vide que ressentent ordinairement tous les biotiques après une utilisation intensive de leurs pouvoirs:

    –- Déesse! je suis crevée... J'ai l'impression que je me fais de moins en moins jeune avec les siècles. Je croquerais bien un petit quelque chose... si seulement tout ce qui se mange sur cette foutue planète turienne n'était pas composé de protéines dextro-aminées!... Je n'ai quand même pas survécu à une fusillade pareille pour clamser bêtement en descendant une boisson énergétique Petran Foods!
    –- Moi au moins, j'ai pensé à refaire mes réserves avant d'aller au combat
    , railla Feylin la bouche pleine, tout en tendant une paire de barres vitaminées à sa cheffe d'unité. Tiens, c'est cadeau: parfum 'Loukoum de Serrice', ton préféré. Et ne t'inquiète pas, "vénérable Dame": tu as encore vraiment assuré aujourd'hui...
    –- Merci ma poulette... Jolie robe, au fait!
    ironisa à son tour Guerdan, en désignant le triste chiffon déchiré et empoussiéré qu'était devenu le ravissant ensemble bleu béryl que Feylin portait avec tant d'élégance avant le début de l'engagement.

    Tandis que les deux biotiques asari mordaient avec appétit dans leurs en-cas, Damon descendait lestement de son poste de tir le long de la charpente des rayonnages. Andrak s'était assis contre un container, et ayant ôté son casque, s'efforçait douloureusement de reprendre son souffle. Quant à Sudaj Lenks, qui faisait office d'infirmier de terrain de l'équipe, il s'était agenouillé au chevet du Butarien, et achevait de démonter sur son armure lourde les plaques de céramique fragmentées par les impacts de balles, de manière à pouvoir accéder à ses blessures.

    –- Comment se porte notre chasseur de primes? vint demander Guerdan au Galarien qui faisait maintenant circuler son Omnitech sur le torse d'Andrak.
    –- Trois impacts pénétrants, répondit rapidement l'infirmier. Deux blessures pectoral et trapèze gauche déjà traitées par Médigel; peu profondes, stabilisées, n'inspirent aucune inquiétude. Troisième en revanche... Plaie déchirante sur toute la profondeur brachial gauche, os indemne, mais nécessite suivi. Moi, juste quelques contusions et abrasions, poursuivit Lenks d'un ton renfrogné. Atterrissage douloureux... J'ignorais que lancer de Galariens était sport chez Butariens. En tout cas, Andrak ne semble pas l'avoir pratiqué depuis longtemps...
    –- Andrak t'a sauvé ta peau verte, Sauterelle
    , intervint Damon qui retournait du pied le corps d'un des Vortchas, pistolet en alerte. Le moins que tu puisses faire serait de lui témoigner un peu de gratitude.
    – Ce que je suis en train de faire en lui évitant perte d'un membre
    , affirma le Galarien en enfonçant sans ménagement une compresse dans la plus profonde des plaies du blessé – parvenant à lui arracher une grimace et un gémissement.
    –- Tu aurais tout de même pu nous prévenir, reprit Guerdan à l'adresse du Butarien toujours assis au sol, que tu étais à ce point la bête noire des groupes de mercenaires les plus pourris de la galaxie. On aurait pris d'autres précautions qu'un simple casque à visière.
    –- Oui, bon, je ne suis pas aussi célèbre que, disons Archangel en son temps sur Oméga. Mais il est vrai que pour ce qui est des Berserkers, je leur ai quand même déjà coûté assez lourd en effectifs et en trésorerie
    , admit Andrak avec un sourire carnassier. Désolé, Dame Qoliad; ça ne se reproduira plus.

    Mains sur les hanches, Guerdan se tourna vers la carcasse démantelée de l'engin de levage où elle s'était dissimulée, avant d'adresser un mince sourire à Lenks:

    –- Tu ne t'étais pas trompé, Ingénieur de mon cœur! Il y avait peu de chances pour que les Berserkers viennent scanner cette vieille épave tout près d'eux, et ils ne l'ont effectivement pas fait. Pour le reste, la forte charpente d'acier lourd de cette machine et les résidus d'élément zéro qui y subsistent ont suffi à désorienter leurs petits détecteurs portables, exactement comme tu l'avais prévu. Quant à Damon, pfff... Il y a longtemps qu'on sait que son expertise dans l'emploi des modules de brouillage et de camouflage optique est capable de leurrer n'importe quel imbécile de drone!
    –- Bravo toi aussi
    , se réjouit rétrospectivement Lenks en rendant un large sourire à sa patronne asari. On n'aurait pu organiser si belle réception si on avait appris trop tard le lieu de rendez-vous... Heureusement que tu as réussi à obtenir très rapidement aveux complets de Védrim. Quelle pipelette, même: plus moyen de l'arrêter! Ne savais pas qu'on pouvait plier genou de Turien selon un tel angle!
    –- On ne peut pas, justement
    , répliqua Guerdan sans la moindre pointe d'humour dans la voix. C'est bien cela qui délie les langues.

    Damon da Costa s'était rapproché du cylindre de Lémure, caressant ses parois gris-bleu d'un geste lent semblant mêler fascination et répulsion:

    –- Ce grand con d'Oorlog avait raison: il faut des Turiens sacrément tordus pour vouloir acquérir une abomination pareille. Les bonnes gens d'Invictus l'ignoreront toujours, mais ils nous doivent une fière chandelle... Quant à Védrim, la Hiérarchie turienne devrait rapidement demander son extradition. Là, je ne parierais pas un crédit sur son avenir – ni sur celui de son boss Tector, d'ailleurs: je crois que Palaven pratique toujours la peine de mort pour haute trahison!

    Feylin Adamas rejoignit l'Humain, troublée par une brusque inspiration:

    –- Je viens d'y repenser... Serval était bien originaire d'Invictus, non?
    –- Ouaip. Et sa famille y vit encore. Tu sais, la dette de vie qu'on pensait ne jamais pouvoir rembourser à ce foutu cabochard de kamikaze turien?... Eh bien là je crois qu'en fin de compte, on est en train de la lui solder!
    Por ti, companheiro!...

    Peu de jours se passaient sans que les agents n'évoquent à l'un ou l'autre titre le souvenir du commandant turien Serval Quirinus, un ancien membre de l'Unité N°1, dont le sacrifice héroïque lors d'une mission mouvementée sur Benning, quelques mois plus tôt, avait sauvé les vies de ses compagnons. Damon y avait perdu un frère d'armes respecté, avec lequel la rivalité professionnelle s'était progressivement muée en amitié; et Feylin, un amant regretté qu'elle n'avait toujours pas voulu remplacer. (1)

    Plus loin dans l'entrepôt, ses soins achevés, Lenks tendait son bras à Andrak pour l'aider à se relever – avant de prendre conscience du ridicule de son offre, étant donnée la différence de masse et de musculature entre les deux agents. Dame Qoliad vint se placer à mi-chemin entre les deux groupes, et d'une voix forte, entérina la fin et le succès officiels de la mission:

    –- On a ordre de ne surtout pas ramener le Lémure sur la Citadelle... Tant mieux, d'ailleurs: même si on n'a pas de Turiens à bord, je ne veux pas de cette saloperie dans les soutes de ma frégate! On va confier le cylindre aux autorités militaires de Digeris: à charge pour eux de le sécuriser, et de se débarrasser proprement de cette merde. Si vous en êtes d'accord, je vais me coltiner seule les poignées de mains et la paperasse; comme ça, vous pourrez aller vous reposer et vous faire soigner sur le Citadel. Vous ne m'entendez pas souvent le dire, mais... je suis fière de vous, les gars! Vraiment...

    [...]

    ______________________________

    (1) Lire Unité N°1: A Mass Effect Story, Épisode 1

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  • Épisode 2: Une heure dans la vie d'une Spectre

    Frégate furtive SSV Citadel, 9e Flotte concilienne –
    En transit dans le Secteur de la Nébuleuse d'Athéna

  • En dépit de son bras gauche en écharpe, Andrak Atkoso'dan sifflotait joyeusement lorsqu'il sortit de la petite antenne médicale du Citadel, le visage aussi détendu et rasséréné que puisse l'afficher un chasseur de primes butarien des Systèmes Terminus qui aurait passé des années à travailler son côté gros dur. Ce moment privilégié ne dura pour lui qu'un court instant, jusqu'à ce qu'il aperçoive Dame Guerdan Qoliad, adossée les bras croisés contre la paroi du mess, juste en face de la porte, attendant visiblement son arrivée:

    –- Andrak, on peut se parler cinq minutes? On aura la baie d'observation tribord juste pour nous.

    La Spectre asari ne faisait pas erreur: dès qu'elle y entra, les deux membres d'équipage humains qui se prélassaient sur les fauteuils de la petite salle de détente s'empressèrent de vider les lieux, sans que l'ordre leur en ait été intimé, et sans oublier de sécuriser la porte derrière eux. Pardi, personne n'a envie d'être témoin des entretiens confidentiels d'un agent Spectre du Conseil: il pourrait être obligé de vous tuer après! D'autant que s'agissant de Dame Qoliad, la boutade ne tenait qu'à moitié de la plaisanterie...

    Guerdan alla s'asseoir avec Andrak face à la baie vitrée qui occupait presque toute la surface de la paroi extérieure: une vue panoramique sidérante sur la Voie Lactée autour de la frégate, qui se déplaçait alors en vol SLM à plus de 50 fois la vitesse de la lumière, en route vers le prochain relais cosmodésique. Sans guère prêter attention à ce spectacle pourtant grandiose, l'Asari préféra lancer directement la conversation sur les sujets qui lui tenaient à cœur:


    –- Andrak... Je ne crois pas t'avoir déjà félicité pour ton courage insensé lors de notre dernier combat sur Digeris. Insensé, fou, complètement crétin même... mais sacrément burné! En tout cas, Lenks te doit certainement la vie – même s'il établira des dizaines de projections balistiques fumeuses pour supposer le contraire, plutôt que d'admettre l'évidence. Sans ton initiative, il ne resterait sans doute de notre Ingénieur bavard que de quoi remplir l'écuelle d'un Krogan au régime! Et sinon, comment vont ces blessures?
    –- Hésap... enfin, le docteur Avidar... dit que Lenks a fait du beau boulot sur elles. Elle n'a eu qu'à compléter: un peu de suture, injection de bactéries réparatrices, un traitement fortifiant, et je devrais pouvoir passer à la kiné d'ici deux jours. J'ai toujours eu une bonne capacité de récupération. C'est presque indispensable, dans mon boulot...
    –- "Hésap", hein? Vous êtes donc déjà intimes à ce point? Il me semblait bien que vous aviez tendance à vous rapprocher au fil des missions, la doc et toi. En même temps, vous êtes les deux seuls Butariens sur ce vaisseau, alors je crois bien que tout l'équipage l'a remarqué aussi... Je te soupçonnerais presque de t'être encore fait trouer le cuir juste pour avoir de nouvelles cicatrices à lui faire raccommoder!

    Andrak prit une courte inspiration, avant de commencer à débiter ce qui ressemblait furieusement à un long discours préparé à l'avance. Comme s'il avait vu venir de loin le moment où il aurait à rendre des comptes à sa cheffe d'équipe, à laquelle il vouait le respect le plus évident. Au bout de déjà trois missions sous ses ordres, il ne parvenait d'ailleurs toujours pas à la tutoyer comme le faisaient les autres membres de l'unité.

    –- Voyez-vous, Madame, le docteur Avidar est ce que les Humains appellent "une belle personne". Moi, comme vous le savez, je suis né esclave dans l'Hégémonie butarienne. Et je me trouvais relativement à l'abri dans les Systèmes Terminus, en déplacement avec mon maître, lorsque les Moissonneurs ont attaqué il y a tout juste vingt ans. Hésap, elle, a grandi dans une famille de haute caste de Khar'Shan, propriétaire de très nombreux esclaves. Dans sa prime jeunesse, ce lien de sujétion lui avait toujours semblé aller de soi; je l'aurais sans doute haïe, à cette époque...
    Bien sûr, l'anéantissement de son monde, de sa famille, et de ses valeurs, a changé pas mal de choses pour elle. Être obligée de se nourrir d'insectes et de cadavres pour survivre; devoir se terrer durant des jours dans des endroits où vous ignoriez même qu'aboutissaient vos déjections; lutter pour retenir vos larmes de terreur quand des créatures monstrueusement déformées, vos anciens voisins peut-être, passent juste à côté de votre cachette... Oui, tout cela contribue à vous faire relativiser l'importance de votre petite personne dans l'univers.
    Hésap suivait déjà un cursus médical au moment de l'invasion... Les carrières médicales et scientifiques ont toujours été parmi les plus prestigieuses qui soient au sein de l'Hégémonie. Après la victoire sur les Moissonneurs, elle a fait ce qu'elle a pu pour soulager la douleur du petit nombre d'autres survivants hébétés qui subsistait sur Khar'Shan – ce qui l'a obligée à toucher du doigt des situations de détresse encore bien plus profondes que la sienne. C'est là qu'elle a découvert chez elle-même l'empathie et l'immense compassion qui sont, je crois, les traits qui la définissent le mieux. La suite est dans vos dossiers, Madame: poursuite de ses études médicales dans l'espace concilien, travail pour diverses organisations urgentistes de terrain... C'est la fermeture des frontières de l'espace butarien qui l'a finalement décidée à accepter d'intégrer le Ministère de la Défense Concilien.
    Le docteur Avidar est une femme comme je n'en ai que trop peu rencontrées dans cette galaxie... Sa personnalité positive, sa bonté naturelle, son authentique joie de vivre en dépit des épreuves qu'elle a endurées, tout cela m'a profondément touché. Hésap peut avoir cet effet-là... Alors oui Madame, elle et moi, nous sommes devenus intimes; et oui, nous en sommes déjà à faire des projets ensemble. J'ai le sentiment qu'il est temps pour moi de songer à me stabiliser un peu... C'est juste que je n'avais pas encore trouvé la bonne personne. Je ne compte pas pour autant quitter les GEIST, rassurez-vous: un employeur permanent, une équipe fiable, c'est là encore pour moi une situation de stabilité que je n'avais jamais envisagée durant la majeure partie de ma carrière. Mais je commence déjà à y trouver goût...
    –- Autrement dit: tu commences déjà à t'embourgeoiser, porte-flingue!
    plaisanta Guerdan en lui lançant une bourrade complice. Mais bon, j'admets que je préfère ça à devoir gérer une tête brûlée des Systèmes Terminus. Je ne te l'ai jamais caché, l'affectation à mon unité d'un foutu chasseur de primes butarien m'avait pas mal déplu au départ; mais une fois encore, l'amiral ne s'est décidément pas trompé dans ses choix!...
    –- Oui, j'ai entendu parler de ce qu'il en était au sujet de l'agent qui m'avait précédé à ce poste. Une hackeuse de très grand talent, m'a-t-on dit. J'aurais bien aimé la connaître...

    La Spectre asari s'assombrit à l'évocation de Llor'Issah vas Cymris: elle n'avait pas offert non plus un accueil enthousiaste à la jeune technicienne quarienne que lui avait affectée l'amiral galarien Padias Eldon, le responsable des Groupes d'Enquête, Infiltration & Sécurisation Trans'espèces. Llor avait perdu la vie dès sa première mission, dans des circonstances extrêmement pénibles. Elle avait pourtant eu l'occasion de prouver sa valeur, lorsque son sacrifice courageux avait tiré toute l'unité d'un guêpier mortel sur Novéria.

    Andrak Atkoso'dan, lui, avait su trouver sa place au sein de l'Unité N°1 avec une aisance tout à fait étonnante. Cet autodidacte des Systèmes Terminus possédait entre autres atouts une connaissance stupéfiante des cultures humaines et asari, ce qui n'avait pas été sans faciliter ses rapports, par exemple, avec le lieutenant-major de l'Alliance Damon da Costa... Fidèle à son habitude de coller à ses équipiers des pseudos plus ou moins bien acceptés, le Sniper humain avait à un moment voulu gratifier le géant butarien du doux surnom de 'Goliath'. Il n'avait pas été le moins surpris quand Andrak avait été en mesure de lui resservir tout ce que lui-même ignorait quant à cette antique référence biblique terrienne, sans même avoir consulté les bases de données de son Omnitech. L'Humain avait par la suite renoncé à affubler l'ex-chasseur de primes d'un quelconque sobriquet, d'autant qu'il semblait de plus en plus apprécier ses qualités personnelles et professionnelles au fil des dernières missions.

    Plus surprenante encore avait été l'adoption rapide du nouvel agent par l'équipage du SSV Citadel. Nombre des militaires humains qui composaient l'essentiel de ses effectifs véhiculaient de solides préjugés à l'encontre des Butariens, hérités des confrontations permanentes entre les deux espèces dans la bordure de colonisation. À bord de la frégate toutefois, ces idées reçues avaient déjà commencé à évoluer du fait de la gentillesse naturelle et des soins attentionnés dispensés par le docteur Hésap Avidar. Et dans le cas d'Andrak, sa courtoisie, son érudition, et sa facilité à tisser des liens étaient si bien parvenues à contrebalancer son physique intimidant, qu'ainsi que le disait Dame Qoliad, tous les membres d'équipage humains au fait de sa relation avec le médecin du bord formaient déjà des vœux pour le bonheur de leur charmant jeune couple alien! L'Asari ne résista pas à l'envie d'en faire la remarque à l'intéressé:

    –- Hélas, on n'a pas vraiment eu le temps de bien connaître Llor, pas eu le temps de lui accorder toute la confiance qu'elle aurait méritée; et on le regrette tous maintenant... Toi par contre, tu t'es remarquablement vite intégré, aussi bien avec les autres agents qu'avec l'équipage humain. Et crois-moi, sur ce point-là, c'était pas gagné d'avance! En fait, j'ai l'impression que cela tient pas mal à... ta voix! Autant tu es doté d'une carrure impressionnante, autant tu peux avoir parfois une intonation tellement affable, un phrasé tellement... tranquillisant! C'est assez déconcertant, je dois dire...
    –- Oui, c'est un truc que mon ancien mentor m'avait appris à travailler, pour obtenir la reddition des cibles que je devais ramener vivantes: ceux qui sont trop entêtés pour réaliser l'impasse dans laquelle ils se trouvent, ont besoin d'être sérieusement intimidés; et à l'inverse, d'autres qui sont trop terrifiés pour lâcher leur arme... ont juste besoin d'être rassurés!

    Guerdan se félicita intérieurement d'être parvenue, sans en avoir l'air, à mener la conversation sur le point suivant qu'elle souhaitait aborder:

    –- Ton ancien mentor... Tu parles du fameux chasseur de primes humain qui t'avait libéré de ta condition d'esclave, et qui t'avait formé pour prendre sa suite?
    –- En effet: le commandant Frank Joubert, un ancien N7 de l'Alliance. Il avait mené de nombreuses missions dans les Systèmes Terminus, et ce qu'il y avait vu... esclavagisme, rapts, exploitation, loi du plus fort... eh bien, ne lui avait pas vraiment plu. À sa façon, c'était une sorte d'idéaliste, qui pensait pouvoir faire sa part pour rendre la galaxie meilleure – à condition d'y consacrer la puissance de feu nécessaire! Quand il a quitté le service actif, Frank est revenu installer sa petite affaire sur Oméga, et il s'y est très vite fait un nom dans le métier. Il y a aussi dézingué un paquet d'armures blanches durant l'occupation de Cerberus. C'est de là qu'il tenait le fusil Chasseur qu'il m'a légué, entre autres souvenirs.
    –- Mm, même moi j'en ai entendu parler, de ce commandant Joubert: c'était une légende des Systèmes Terminus, de son vivant...
    –- C'est juste après la libération d'Oméga qu'il a accepté un contrat pour la capture mort ou vif de mon ancien maître, mon... propriétaire... Un truand butarien dénommé Qum'ran, qui avait doublé un peu trop de monde dans les Systèmes Terminus. Lui et moi, on se trouvait justement en déplacement hors de l'Hégémonie. Frank l'a localisé, coincé, et l'a descendu juste sous mes yeux. Net et sans bavure! Qum'ran était pourtant loin d'être manchot, et salement rusé... J'étais vraiment impressionné...

    La Spectre asari releva un détail manquant, mais révélateur dans le récit du colosse butarien:

    –- Ce Qum'ran, il devait bien avoir un prénom?
    –- Je ne m'en souviens plus. Ce fumier bouffi m'avait donné ordre de ne jamais l'appeler que "Seigneur Qum'ran"... Qu'importe: que la mémoire de son nom pourrisse avec ses os! Que pourrissent tous les esclavagistes de sa sorte! Bref, j'étais déjà bien costaud à l'époque, et Frank m'avait réquisitionné pour porter la carcasse de ce vieux salaud jusqu'à son vaisseau. C'est en discutant et en m'observant sur le chemin qu'il a décelé chez moi des prédispositions pour le métier, tel que lui le concevait. Alors il m'a proposé un poste d'assistant – en fait surtout de larbin au départ, guère différent de mon ancien job. De là, je suis progressivement devenu apprenti, puis associé. Le boulot était dur; Frank était exigeant, mais c'était un très bon prof... Il m'a appris à trouver ma motivation personnelle ailleurs que dans le seul montant de mes primes. C'est également lui qui m'a encouragé à ne jamais délaisser mon éducation générale au profit de ma seule formation, hum... professionnelle. Sans lui, je ne serais pas ce que je suis devenu aujourd'hui...
    –- ...C'est-à-dire un adversaire nettement plus imprévisible et déstabilisant que le porte-flingue standard, je confirme! Je crois que ça s'est pourtant mal terminé pour le commandant, n'est-ce pas?
    –- Oui, hélas... Comme pour le fameux justicier turien Archangel sur Oméga, il y a une vingtaine d'années, il a fini par marcher sur les pieds de suffisamment de crapules pour que ceux-ci décident de s'unir contre lui. Ils l'ont... traqué, piégé, et abattu comme un animal! «Devant trop de varrens, même un klixen finit par succomber!», c'est ce qu'il disait souvent... À ce moment-là, j'étais en chasse de mon côté, dans un autre secteur de la galaxie. Je n'ai rien pu faire d'autre que de remonter la trace de ces fumiers pour venger Frank. La traque m'a pris plus d'une année. Mais cela en valait la peine
    , ajouta Andrak d'un ton brutal: aucun des groupes qui avaient monté ce traquenard n'ira plus s'en vanter!

    Dame Qoliad voyait bien qu'au bout de plusieurs années, le sujet demeurait encore très sensible pour le grand Butarien. Déesse! tout cela faisait tellement cliché: le jeune esclave orphelin, libéré par l'ombrageux justicier qui devient son père de substitution – bien qu'il soit d'une autre espèce! –, et qui lui enseigne comment prendre sa revanche sur les méchants tout en préservant hygiène de vie et rectitude morale...! Ce n'est qu'avec l'arrivée des Humains sur la Citadelle, qu'on avait recommencé à mettre en scène et à diffuser dans l'espace concilien de nouvelles holoséries d'une telle niaiserie sirupeuse... D'un autre côté, Guerdan devait bien admettre qu'Andrak Atkoso'dan était indéniablement le produit d'une éducation universaliste tout à fait réussie. De quoi faire réfléchir...

    –- En tout cas, poursuivit la Spectre asari, c'était tout à ton honneur d'avoir repris à ta charge le combat du commandant. La réaction des Berserkers sur Digeris montre à quel point tu es parvenu à hanter les pires cauchemars de ces pourritures de mercenaires. Au moins, ton espérance de vie a gagné des points quand tu as rejoint notre unité: ici, chacun protège le cul de son équipier aussi férocement le sien! Mais rappelle-toi bien aussi qu'on ne reçoit nos missions que du Conseil, et qu'ici, on ne mène pas nos propres petites croisades personnelles pour une galaxie plus juste! Capté, recrue?...
    –- Bien pris, Madame
    , répondit Andrak en souriant. Ceci dit, je crois que nos combats pour la justice ne sont parfois pas si éloignés l'un de l'autre. Vous savez, j'ai eu quelques échos sur la façon dont vous et votre équipe avez mis fin dernièrement aux tristes activités de Vasan Erdrast, sur Oméga (1). Du beau travail, propre et net! Moi-même, j'avais tenté à plusieurs reprises de débarrasser la galaxie de cette ordure de trafiquant d'esclaves; mais il était vraiment trop bien protégé pour moi seul. En fait, c'est en m'apprenant que son élimination était l'œuvre de votre unité, que l'amiral Padias Eldon m'a définitivement convaincu de rallier les GEIST. Votre succès m'a démontré qu'un bon travail d'équipe peut surmonter les difficultés qui dépasseraient un pauvre justicier gesticulant tout seul dans son coin...

    Dame Qoliad acquiesça silencieusement. Elle était bien placée pour comprendre ce que voulait dire Andrak, elle qui avait consacré plus de deux siècles à une carrière solitaire d'agent Spectre du Conseil. Deux siècles qui lui avaient apporté au final autant de frustrations que de gratifications, s'il lui fallait faire un bilan. Combien de fois s'était-elle sentie impuissante face à la perspective d'un échec annoncé, juste parce qu'il lui avait manqué le coup de main, le coup de pouce qui aurait pu lui permettre de mener sa mission à bien? Prendre la tête d'une unité aussi exceptionnelle que celle dont elle avait désormais la responsabilité lui avait fait prendre conscience d'une chose: jamais plus elle ne souhaiterait retrouver la triste solitude de son ancienne vie! Seule face à des défis immenses; seule face à ses échecs cuisants et à ses succès mitigés; seule à assumer le poids des vies perdues et des innocents sacrifiés; seule à recevoir les félicitations vides de sens du Conseil... Les liens qu'elle avait forgés avec ses agents avaient acquis une telle importance pour elle, que jamais sans doute elle ne pourrait se permettre de le leur avouer!...

    –- C'est exact, finit-elle par admettre à voix haute: rien ne vaut un bon travail d'équipe! Cependant, je sais que de ton côté, tu as continué à pratiquer occasionnellement les missions en duo après la mort du commandant. Et pas avec n'importe qui: trois collaborations avec des probatrices asari, c'est à ma connaissance sans précédent! Ces vénérables redresseuses de torts sont les gardiennes les plus respectées de nos traditions; alors si je me doute que c'est au commandant Joubert que tu dois ta grande connaissance des cultures humaines, je sais très bien en revanche de qui tu tiens ton étonnante érudition quant aux arcanes les plus secrètes de la culture de mon peuple... Ce qui m'intrigue davantage, c'est que ces justicières itinérantes mettent généralement un point d'honneur à n'agir qu'en solo...
    –- En effet Madame, mais tout aussi généralement, elles n'opèrent en principe qu'à l'intérieur de l'espace asari. Certaines circonstances les obligent pourtant à venir parfois salir leurs talons hauts dans les Systèmes Terminus – comme lorsque d'immondes ordures enlèvent d'innocentes jeunes demoiselles asari, encore insoupçonneuses de la noirceur de la galaxie, pour en faire... Bah, je n'ai pas besoin de vous faire un dessin! J'ai honte d'admettre que ces porcs abjects sont bien trop souvent mes congénères; ils n'en sont pas moins mes ennemis jurés!
    La première probatrice que j'aie rencontrée était la vénérable Andelle Moraïnis. Je l'ai tirée d'un mauvais pas, lorsqu'elle s'est aventurée dans le mauvais district sur Oméga. Il s'est avéré qu'on avait une cible en commun; alors sur la base de ma bonne réputation et de mon expertise du terrain, elle a accepté mon aide. Notre collaboration nous aura permis d'éliminer une belle ordure, avec toute sa sinistre organisation de ravisseurs d'enfants. Je suppose que la probatrice Moraïnis a dû faire mon éloge, puisque dans les années qui ont suivi, deux autres membres de son ordre en mission sur Oméga sont venues demander mon aide. Là encore, elles savaient que nous avions un but commun, elles et moi: des prisonnières à libérer, et un trafiquant de chair bleue à envoyer prendre sa retraite anticipée! Ces trois nobles matriarches m'ont effectivement beaucoup appris sur la culture du peuple asari. La dernière en date, d'ailleurs, n'était nulle autre que la vénérable probatrice Sialan T'Ribas... votre ancien maître d'armes, je crois me souvenir!

    Andrak ne se souvint pas en revanche avoir jamais entendu chez sa supérieure si volontiers austère un gloussement tel que celui qui monta de sa gorge:

    –- Sialan... probatrice! Hah! Je n'aurais jamais imaginé que cette vieille catin puisse un jour embrasser une vie de solitude et de dénuement... Ça, je peux témoigner qu'elle s'est envoyée un sacré bon paquet de ses élèves; mais louée soit la Déesse, malgré tous ses efforts, elle n'a jamais pu m'inclure dans le lot! Enfin bon, je suppose que le grand âge a dû venir à bout de sa sensualité dévorante...
    –- Dame Qoliad!
    désapprouva gravement Andrak en hochant la tête. Vraiment, vous ne devriez pas qualifier ainsi la probatrice T'Ribas de "vieille catin"! Durant tout le temps où je m'honore d'avoir... travaillé à ses côtés, elle m'avait si souvent parlé de vous comme de la meilleure disciple qu'elle ait jamais formée; et elle se montrait tellement fière de votre accession au rang de Spectre...
    –- Relax, Andrak! Même si j'épingle cruellement ses défauts, j'ai moi aussi le plus grand respect pour Sialan. Sans son entraînement de fer, sans pas mal des astuces qu'elle m'a enseignées, je serais certainement morte depuis plusieurs siècles. J'honore son nom... mais nettement moins le souvenir de ses mains baladeuses!...

    Pour la première fois depuis le début de l'échange, Guerdan demeura un moment silencieuse, les yeux perdus dans l'infini alors que la Voie Lactée continuait de défiler devant la baie vitrée du salon panoramique. Lorsqu'elle émergea brusquement de ses pensées, l'Asari allongea une claque sur la large cuisse du Butarien assis à côté d'elle, avant de se lever:

    –- Bon, c'est pas que je m'ennuie, mais il me reste encore deux-trois choses à faire avant qu'on soit rendus à la Citadelle. Tâche de prendre du repos, porte-flingue; et de ne plus trop descendre à l'infirmerie "faire des projets" avec la doc! Je compte bien te voir à nouveau au top le plus tôt possible... J'ignore quand le Conseil compte nous renvoyer au charbon, mais il est hors de question que je déploie sur le terrain un éclopé aussi mal fichu que toi. Tenter d'apitoyer l'ennemi, ça n'a jamais marché!...

    * * * * * *

    Son entretien terminé, Dame Qoliad prit la décision de consacrer la durée du trajet jusqu'au prochain relais cosmodésique à une petite tournée d'inspection du SSV Citadel. Après tout, la Spectre en était le capitaine en titre; et lorsqu'elle n'était pas trop accaparée par la planification ou le rapport d'une mission pour le compte du Conseil, il fallait bien qu'elle se montre à l'équipage de temps à autre. Guerdan emprunta donc l'ascenseur afin de rejoindre en premier lieu la baie d'appontage située dans les ponts inférieurs de la frégate. Un petit bloc carcéral de deux cellules y avait été aménagé, dans un angle du vaste hangar à véhicules, afin d'héberger les prisonniers importants que l'unité GEIST ramenait parfois de ses missions. C'est là qu'était actuellement détenu Turnus Védrim, l'émissaire des conjurés turiens capturé sur Digeris.


    Le marine humain en faction devant le bloc se figea instantanément au garde-à-vous à l'approche de la Spectre. Celle-ci put aller constater l'état de santé du prisonnier, maintenu derrière son champ de confinement. Sa rotule blessée n'était toujours pas très belle à voir, surtout après les torsions que Guerdan avait dû lui infliger pour lui extorquer les détails du rendez-vous avec les Berserkers; mais les soins que le docteur Avidar descendait régulièrement lui prodiguer semblaient améliorer sa condition. L'Asari et le Turien se toisèrent un moment sans que l'un ou l'autre éprouve le besoin de dire quoi que ce soit. Puis alors qu'elle tournait les talons, Guerdan se retrouva face au second lieutenant Ksénia Chesnokova, l'officier en charge du petit contingent de soldats embarqués, venue elle aussi mener sa propre tournée d'inspection.

    L'Humaine décocha à l'adresse de la Spectre un salut impeccable, d'une raideur mécanique digne d'un fantassin geth; sa rude caboche enserrée sous le béret bleu nuit des marines de l'Alliance n'exprimait pas la moindre émotion. Guerdan appréciait le côté carré et direct de cette solide troupière de métier, ainsi que son parler concis et imagé invariablement marqué d'un indélébile accent sibérien.

    –- Bonjour lieutenant. Notre prisonnier se porte bien?
    –- Mes rrespects, Madame. Ça va: il geint beaucoup, mais il ne s'est toujourrs pas décidé à crrever... Dommage: ça m'éparrgnerait de devoirr en perrmanence assigner un de mes hommes à la surrveillance de ce sale
    svolotch de Turrien!
    –- Vous n'aimez pas les Turiens, lieutenant?
    –- J'ai quelques bons amis turriens, Madame; des militairrres, vous l'aurrez deviné. Des soldats d'honneurr, qui regarrdent dans les yeux l'ennemi qu'ils l'affrrontent. Pas des lâches prrêts à gazer une population civile pourr de misérrables ambitions politiques! Ce Turrien-là, c'est juste
    mraz'!... une merrrde! J'aurrais bien envie de lui serrvir quelques bons pirojki maison, bien lévo-aminés, juste pour voirr s'il y surrvit!...
    –- Oh, vraiment? Eh bien je vous prierais de vous en abstenir: ce paquet-là doit arriver en bon état à la Citadelle, où son témoignage en fera tomber de bien gros et bien plus pourris que lui. Je me suis bien faite comprendre, lieutenant?
    –-
    Da, da... Je... plaisantais, Madame. Il vivrra, si c'est ce que vous voulez...

    Dame Qoliad savait pertinemment que le lieutenant Chesnokova n'avait sans doute jamais possédé le sens de l'humour, et qu'elle ne plaisantait pas le moins du monde. Mais elle savait aussi que le sens du devoir de l'officier de l'Alliance l'emporterait sur son animosité personnelle à l'encontre des renégats de toutes espèces. C'est donc sans inquiétude qu'elle reprit l'ascenseur afin de poursuivre son tour de frégate...

    * * * * * *

    Lorsqu'elle émergea au niveau du Pont de commandement, le quart sur la passerelle de navigation était encore assuré par le commandant Joe Hackett. Dans la pratique, le capitaine en second du Citadel était le seul véritable maître à bord du vaisseau pour tout ce qui ne concernait pas directement les missions de l'unité GEIST. La présence du jeune officier surplombant la carte holographique de la galaxie était toujours une vision réconfortante autant pour Guerdan que pour le reste de l'équipage, tant étaient reconnus par tous sa compétence et son très haut degré de professionnalisme. Joli garçon en plus, ce qui ne gâchait rien, se devait bien d'admettre la Spectre asari. Toutefois, lorsqu'elle passa à sa hauteur, elle remarqua immédiatement que l'Humain ne présentait pas le visage calme et rassurant qui lui était coutumier; au contraire, il la fixait de manière appuyée, son front barré d'une ride soucieuse. Cet indice troublant incita Guerdan à se rapprocher au plus près, ce qui permit au commandant Hackett de lui confier à mi-voix:

    –- J'allais vous faire appeler, Madame. Nous venons de recevoir un appel prioritaire en provenance de la Citadelle. Canal confidentiel, code de sécurité niveau Spectre. Autrement dit: "Rien que pour vos yeux"! Je l'ai fait suivre dans votre salle de communication personnelle...

    Dame Qoliad salua l'officier d'un signe de tête, avant de rejoindre le local en question, voisin de la passerelle de navigation. Sur chacune des frégates attribuées à une équipe GEIST telles que le SSV Citadel, une minuscule cabine d'holo-conférence avait été installée à l'usage exclusif de l'agent Spectre et commandant de bord, de manière à transmettre ou à recevoir les rapports les plus sensibles. L'Asari avait déjà une idée très précise sur l'origine de l'appel: lorsqu'un vaisseau est en vol SLM comme c'était alors le cas, les communications entrantes ou sortantes ne peuvent transiter que par le biais d'une ansible – un de ces dispositifs intraçables, au coût prohibitif, liant indéfectiblement deux particules par intrication quantique, quelle que soit la distance les séparant au travers de la galaxie. Or l'ansible jumelée à l'unique terminal installé sur le Citadel se trouvait dans les locaux des services de renseignements du Ministère de la Défense Concilien, sur l'Anneau du Présidium de la Citadelle.

    Sitôt la porte coulissante refermée derrière elle, Guerdan activa la liaison et déclina ses codes et accréditations de Spectre. Sans surprise, l'avatar holographique tridimensionnel qui se matérialisa sur la petite plate-forme de transmissions était bien celui de son supérieur direct, le vieil amiral galarien Padias Eldon. Fidèle à ses habitudes, l'amiral attaqua directement de son débit rapide mais précis, qui n'avalait jamais les mots comme il arrivait si souvent à son congénère Sudaj Lenks de le faire:


    –- Ah, enfin... Mes respects, Dame Qoliad. Si vous le permettez, je vais entrer directement dans le vif du sujet. Le dernier rapport de position envoyé par le Citadel au passage du relais de Parnitha placerait actuellement votre frégate dans la Nébuleuse d'Athéna, en transit au voisinage du système Tomaros. Cet élément à lui seul fait peut-être de votre équipe l'unité d'intervention concilienne la plus apte à répondre à la situation d'urgence qui vient juste de se manifester. Ceci dit, j'ai pris connaissance de l'état des pertes que vous avez joint au rapport de votre mission fructueuse sur Digeris. Que pouvez-vous me dire des capacités opérationnelles actuelles de votre groupe?
    –- Mes respects, amiral. Eh bien Andrak Atkoso'dan a toujours le bras gauche immobilisé; il se remet vite, mais reste encore très affaibli. Je le décompte donc d'office sur toute mission impliquant une quelconque probabilité d'affrontement. Quant à Sudaj Lenks, il a déjà pu remplacer et reprogrammer le drone qu'il avait perdu sur Digeris: il est à nouveau pleinement opérationnel en tant qu'Ingénieur IV. En conséquence, l'Unité N°1 peut donc fournir un taux de disponibilité sur le terrain de 80%.
    –- Bien, bien; j'espère que ce sera suffisant. Voici donc les données du problème qui nous préoccupe. Il y a moins de deux heures standard, une prise d'otages a eu lieu sur le monde asari de Lusia, dans le système Tomaros. Un groupe de matriarches thessiennes de haut rang dépêché par le Conseil de Serrice est actuellement séquestré dans un grand hôtel de la capitale planétaire de Monoi, où elles devaient prendre part à une importante réunion d'affaires. La totalité de leurs dames d'escorte a été massacrée, sans pertes confirmées du côté de leurs attaquantes; ces gardes du corps étaient pourtant des chasseresses très expérimentées! Les terroristes, asari elles aussi, se sont retranchées dans l'hôtel qu'elles ont coupé de l'extérieur, et où elles détiennent de nombreux otages outre les matriarches. Ce coup de force vient d'être revendiqué par un groupuscule inconnu qui se fait appeler: "Le Tribunal des Demoiselles"...

    Dame Qoliad demeura silencieuse; mais son rictus douloureux montrait clairement que la nouvelle venait de rouvrir en elle une blessure profonde, relativement récente. L'amiral galarien ne marqua qu'une courte pause pour observer l'expression de la Spectre, avant de reprendre:

    –- Comme vous le savez, dans les années qui avaient suivi la victoire sur les Moissonneurs, la reconstruction de l'espace asari s'était concentrée sur Thessia; bien d'autres mondes dévastés s'étaient donc retrouvés livrés à eux-mêmes. Sur Lusia, la frange la plus désespérée de la jeune classe d'âge des Demoiselles s'était élevée contre l'ordre établi des Matriarches: une remise en question des valeurs ancestrales inimaginable dans la société asari d'avant-guerre! Les plus radicales ont évolué de la contestation à la confrontation ouverte. Toute cette violence a fini par dégénérer en une véritable guerre civile, qu'il aura fallu une intervention militaire massive et des années de conflit meurtrier pour parvenir à éteindre...
    –- Inutile de me faire un cours, amiral
    , se rembrunit Guerdan d'un ton pincé. Nous savons tous deux que la Révolte des Demoiselles sur Lusia (2) est l'une des pages les plus lamentables de l'Histoire récente de mon peuple; et qu'à titre personnel, elle représente également pour moi un épisode particulièrement pénible de ma carrière. Alors ne remuez pas le couteau dans la plaie, je vous prie...
    –- Telle n'était pas mon intention, Dame Qoliad. Et je sais que je n'ai non plus besoin de vous préciser combien la possible résurgence de ce mouvement dissident inquiète les plus hautes sphères de la République asari... La conseillère Tevos est intervenue personnellement, de tout son poids politique, afin que la situation soit réglée le plus rapidement possible, et en toute discrétion par une unité spéciale des renseignements conciliens. Personnellement, je suis désolé d'avoir à vous imposer ce retour sur Lusia. Croyez-moi, j'aurais volontiers fait appel à n'importe quelle autre équipe, si la vôtre n'était pas la mieux placée pour répondre au plus vite à cette situation d'urgence.

    Tandis que l'amiral pérorait, Guerdan analysait mentalement les données de vol de sa frégate, retransmises en temps réel sur son Omnitech. Celui-ci matérialisa au-dessus de son avant-bras une projection 3D du secteur de la Nébuleuse d'Athéna, puis du système Tomaros. La Spectre asari éteignit son équipement, et prit une profonde inspiration avant de répondre sans enthousiasme:

    –- Très bien, amiral. Transmettez-moi toutes les données: nous mettons immédiatement le cap sur Lusia. Si vous établissez à l'avance nos accréditations pour accostage prioritaire, nous devrions être à pied d'œuvre au spatioport de Monoi d'ici une heure standard. Cela me laisse tout juste le temps de briefer et d'équiper mon unité. Les pauvres auraient pourtant bien mérité un peu de vrai repos... Dame Qoliad, terminé.

    [...]

    ______________________________

    (1) Lire Unité N°1: A Mass Effect Story, Épisodes 4 & 5
    (2) La Révolte des Demoiselles de Lusia est détaillée page 18 du Guide du joueur asari.

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    Dr Sordin Molus
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  • Épisode 3: Bienvenue sur Lusia !

    Nébuleuse d'Athéna – Système Tomaros – Planète Lusia –
    Spatioport de Monoi, capitale planétaire

  • Leur matériel bien arrimé à leurs ceinturons et sur le dos de leurs armures, les cinq agents de l'Unité GEIST N°1 remontaient d'un pas rapide les galeries désertes du terminal pour vaisseaux légers. Oui, les cinq agents: Andrak Atkoso'dan était en effet présent, avec son bras gauche immobilisé sans attelles apparentes. Le géant butarien avait insisté pour prendre part à cette mission, en dépit des blessures handicapantes qu'il avait reçues lors des échanges de tirs sur Digeris. Et contre toute attente, il avait obtenu gain de cause. Comme cela avait été prévisible, le ton était très vivement monté du côté de Dame Guerdan Qoliad, la Spectre en charge de l'équipe, alors qu'en face d'elle Andrak était demeuré d'un calme imperturbable. Cette attitude mesurée, ainsi que la fermeté de sa position et la logique de ses arguments, avaient fini par emporter la décision.

    Feylin Adamas, la chasseresse asari, avait été présente lors de cet échange de vues animé; à son grand regret d'ailleurs, tant elle s'était sentie gênée à partir du moment où Guerdan avait commencé à perdre son calme – moment qui bien sûr était arrivé assez vite. Même si elle compatissait par avance pour Andrak, sachant d'expérience que les choses n'en resteraient pas là du côté de son irascible patronne, elle devait reconnaître la pertinence des points qu'avait soulevés le grand Butarien:

    –- Inutile d'en venir aux noms d'oiseaux, Madame. Je vous assure que je peux encore me montrer bien plus utile avec vous sur le terrain qu'à faire du gras à bord du Citadel... Tout d'abord, même si je ne suis plus capable de pointer mon fusil, je demeure pleinement efficient dans l'utilisation de mon Omnitech: piratage, applications offensives et défensives... On a toujours besoin d'un Franc-tireur en rab! Et ensuite, en cas de contact direct, l'ennemi se verra confronté à cinq adversaires, cinq menaces potentielles à traiter, et non pas quatre plus une avec un bras au chômage: ce seul petit élément de confusion pourrait nous donner une marge de succès décisive durant les premières secondes d'un engagement. D'ailleurs... admettez que jusqu'ici, je me suis montré plutôt doué pour ce qui est d'attirer les pruneaux et de parvenir à y survivre, non?

    Les cinq agents continuaient donc à avancer au travers des coursives du spatioport, sans y croiser âme qui vive: en vertu de l'état d'urgence décrété après la prise d'otages, cette aile avait été évacuée avant l'arrivée de l'équipe spéciale concilienne, afin de préserver le secret sur son intervention. L'unité finit par atteindre le terminal d'arrivée tout aussi désert, un vaste espace somptueusement décoré de piliers de marbre bleu, de frises calligraphiques incrustées d'électrum, et de bas-reliefs en albâtre dédiés à la gloire des plus grandes réalisations du peuple asari. Rien à voir avec les installations spartiates et fonctionnelles des quais de la Citadelle, par exemple...


    L'immense structure du spatioport était perchée en plein centre-ville de Monoi, dont elle dominait la plupart des constructions. Les grandes baies vitrées du terminal s'ouvraient sur une vue panoramique époustouflante, où le soleil couchant soulignait la verticalité du paysage urbain typique des mondes asari. Celui-ci se distinguait par une élégance des lignes, un respect des proportions, et un équilibre dans la distribution de l'espace qu'on ne retrouvait pas dans les grandes mégalopoles de la Terre ou de Palaven. On n'y remarquait déjà presque plus de traces de l'invasion brutale des Moissonneurs vingt ans plus tôt, ni de la guerre civile qui lui avait succédé lors de la Révolte des Demoiselles, alors même que des districts entiers avaient été rasés lors de ces deux épisodes tragiques. Lusia était clairement un monde dynamique, décidé à aller de l'avant.

    Damon da Costa, le Sniper N7 de l'unité, restait le souffle coupé devant la majesté de cette architecture à la fois écrasante et transcendante. Le lieutenant humain avait déjà effectué une mission sur Illium par le passé; mais c'était la première fois qu'il posait le pied sur un vieux monde de l'espace asari. Guerdan lui envoya une bourrade dans les côtes alors qu'elle passait derrière lui:

    –- T'as la mâchoire qui pend, marine! Tu sais, à l'échelle de la République asari, Lusia n'est rien de plus qu'une colonie tout à fait provinciale... Crois-moi, si tu as la chance de poser les yeux une fois dans ta vie sur le Cœur Brûlant de Serrice, tu mesureras toute la différence; mais là, je crains que tes sphincters ne résistent pas au choc! Ce n'est pas pour rien qu'on surnomme Thessia: "la perle de la galaxie"! ajouta la Spectre avec une pointe d'orgueil tout asari dans la voix.

    Feylin Adamas sourit discrètement derrière eux. Elle savait pertinemment que Lusia était de longue date l'une des colonies les plus prospères et les plus proches de Thessia, également l'un des hauts lieux les plus symboliques de l'Histoire asari depuis les premiers combats de la Rébellion Krogane: tout l'inverse d'un monde de troisième ordre. Mais depuis une vingtaine d'années, et la rengaine insolemment chantée en boucle des exploits du commandant Shepard, tenter d'en mettre plein la vue à ces prétentieux d'Humains était presque devenu un sport national chez les Asari!

    Les agents commencèrent à percevoir du mouvement lorsqu'une douzaine de militaires, équipées d'armures légères d'un gris ardoise uniforme, pénétrèrent par l'entrée opposée du terminal. Trois d'entre elles se détachèrent du groupe et s'avancèrent vers nos héros d'un pas énergique: vraisemblablement l'officier en charge, avec deux troupières sur ses talons. L'amiral Padias Eldon avait signalé à Dame Qoliad la présence de ce comité d'accueil, un groupe d'intervention thessien déjà présent sur place et censé venir épauler l'Unité N°1. Feylin souffla rapidement à ses trois compagnons, Andrak, Damon et Lenks:

    –- Ces armures grises: ce sont des chasseresses de la Garde de Serrice! Elles comptent parmi les meilleures combattantes biotiques de l'espace asari – c'est-à-dire de toute la galaxie! Je le sais, j'ai servi dans leurs rangs... Leur problème, c'est qu'elles aussi elles le savent, et qu'elles tiennent à bien le faire sentir! Une fois prévenus sur ce point, vous pourrez donc considérer une légère suffisance de leur part comme une attitude parfaitement normale...

    Parvenue à deux pas de distance de Dame Qoliad, l'officier asari se figea dans une posture d'une raideur glaciale, ignorant délibérément la main tendue par la Spectre. Elle n'adressa à celle-ci et à Feylin qu'un bref signe de tête représentant le minimum syndical en matière de courtoisie, mais consacra plus de temps à toiser d'un regard suspicieux et méprisant l'Humain, le Galarien, et le grand Butarien qui accompagnaient les deux Asari. Elle finit par laisser tomber avec une moue de profond dégoût:

    –- Je suis le lieutenant T'Saral, commandant du Peloton "Perce ou crève!" de la Garde de Serrice, détaché en garnison permanente sur Lusia. C'est nous qui aurions dû gérer cette crise, avant qu'on nous annonce que nous devions nous placer sous les ordres d'une équipe de petits génies débarqués de la Citadelle – comme si l'élite des chasseresses de Thessia était incapable de faire face à une situation de ce genre!... Je ne vous souhaite pas la bienvenue: vous venez juste faire votre job, vous dégagerez aussitôt après, et ce sera à nous de gérer le merdier que vous aurez laissé derrière vous. Oh bien sûr, je suis tout à fait consciente que c'est la conseillère Tevos en personne qui a demandé l'intervention d'une équipe spéciale concilienne... Mais par la Déesse, n'aurait-elle pas pu en faire désigner une qui soit un peu moins... bigarrée?! Est-ce que le bleu lui fait horreur depuis qu'elle vit sur la Citadelle?
    –- Je vous demande pardon?!
    hoqueta Guerdan, cueillie à froid.
    –- Et là? glissa Damon à Feylin. Rassure-moi, on est toujours dans les limites d'une attitude parfaitement normale?
    –- Et vous-même
    , poursuivit âprement T'Saral à l'adresse de Dame Qoliad, étiez-vous vraiment obligée de débarquer, justement ici pour régler une telle situation de crise, en compagnie de ces... espèces?! Vous savez combien ce qui s'est passé sur Lusia reste un sujet sensible pour tout notre peuple, combien nous préférons régler entre nous tout ce qui y a trait, sans y mêler les autres races!... Où est donc passée votre fierté d'Asari, Spectre?! L'avez-vous égarée sur la Citadelle, vous aussi? Troquée contre de vains honneurs, une vieille frégate humaine, et un zoo alien en guise d'équipe?

    Le sang de Dame Qoliad ne fit qu'un tour, et sa réaction fut apparemment bien plus vive que ce qu'avait dû escompter T'Saral. D'une enjambée rapide, elle se retrouva presque face contre face avec l'officier asari, tandis que sa colère profonde trouvait une manifestation biotique dans l'explosion d'un terrifiant bouillonnement d'ondes bleutées sur toute la surface de son corps. Les mâchoires de la Spectre étaient serrées comme un étau, et au travers du voile d'énergie noire qui altérait sa silhouette, ses nombreuses cicatrices semblaient se dilater comme sous l'effet d'une violente fièvre intérieure. En dépit de son entraînement, le lieutenant T'Saral céda la première, et recula d'un pas en détournant le regard.

    –- Je ne vois rien, cracha Guerdan d'une voix sourde, absolument rien dans l'histoire récente de ce monde-ci qui me rende fière d'être asari, lieutenant. Pour votre information personnelle, j'ai moi-même participé aux opérations de "rétablissement de l'ordre" sur Lusia voici une dizaine d'années. Ne cherchez pas, vous n'en trouverez aucune trace nulle part: j'agissais le plus discrètement possible en tant que Spectre, une ombre au service du Conseil, déjà à l'instigation de notre très estimée conseillère Tevos. Sur Lusia, j'ai vu des choses, et sur ordre, j'ai dû commettre des actes, qui m'ont donné l'envie de me tenir à l'écart des menées les plus sordides de la politique asari pour au moins les deux siècles à venir!...

    Le voile bleu autour du corps de Dame Qoliad se résorba alors qu'elle quittait sa posture de combat, apparemment satisfaite du résultat obtenu. Elle avait pu constater, non sans un certain plaisir, que les chasseresses qui se tenaient derrière T'Saral n'avaient guère montré d'enthousiasme à risquer leur vie pour sauver leur officier du péril où elle s'était elle-même fourrée par ses dérapages agressifs. Guerdan éprouva cependant le besoin d'enfoncer le clou par une dernière mise au point:

    –- ...Ah, et si je vous entends encore une fois qualifier mon unité de "zoo alien"... Je vous jure que je vous tue, lieutenant! Parole de Spectre...

    Fidèle à sa nature conciliatrice, Feylin Adamas tenta de calmer le jeu en détournant les échanges verbaux vers un autre sujet. Même si la xénophobie patente de T'Saral la hérissait à titre personnel, elle se disait que l'Unité N°1 serait peut-être amenée à un moment ou à un autre à devoir compter sur l'aide du peloton de la Garde de Serrice, et qu'il valait donc mieux maintenir l'hostilité entre les deux groupes à un niveau acceptable:

    –- J'ai l'impression que la situation de Lusia vous tient personnellement à cœur, lieutenant. Il se trouve que je suis moi-même une ancienne chasseresse de Serrice, Peloton "Les Reines du Chaos"... Je sais donc par expérience que les unités d'élite thessiennes telles que les nôtres restent parfois cantonnées bien des années sur l'affectation où elles peuvent se trouver détachées; et qu'il est facile de s'attacher à un monde aussi magnifique que celui-ci...


    Pour toute réponse, l'officier asari se tourna vers la grande baie vitrée du terminal, embrassant d'un mouvement de bras ample et théâtral le panorama urbain qui s'étendait sur tout l'horizon visible. La nuit était en train de tomber, et les façades des immenses gratte-ciels commençaient à se couvrir d'innombrables petites plaques de lumières bleues ou mauves se détachant sur le ciel obscur:

    –- Vous voyez cette grande tour, là, celle qui dépasse les autres? C'est le nouveau siège que le Conseil d'Armali vient juste de faire bâtir, et qu'il comptait inaugurer le mois prochain. La plus petite, juste à côté, c'est la première filiale que la Fondation Sirta vient d'établir dans l'espace asari. Et la grande géode, là-bas au loin, c'est le centre d'affaires édifié par Elkoss Combine, destiné à canaliser les investissements venus de tout l'espace concilien. Oui, après les années de récession qui ont suivi la guerre civile, Lusia commence enfin à sortir du trou et à intéresser à nouveau les milieux de la finance galactique. On ne peut pas laisser une poignée de revanchardes hystériques ruiner tout ça au nom d'un combat d'arrière-garde déjà perdu voici des années!...
    –- Vous semblez nettement moins détester les aliens quand ils débarquent ici avec des crédits plein les poches, lieutenant T'Saral
    , persifla Andrak en inclinant la tête vers la droite, s'attirant en retour un regard meurtrier de la part de l'officier asari.

    Feylin soupira discrètement, avant de s'efforcer de reprendre à nouveau la main:

    –- Et dites-moi donc, lieutenant... Cette tour elliptique assez singulière, là-bas, cernée d'un ballet aérien de – je dirais, vu d'ci – de véhicules de presse, de navettes de police et de canonnières militaires? Il s'agit bien de ...?
    –- Oui en effet: l'Hôtel Siari. C'est bien là que les terroristes sont actuellement retranchées avec leurs otages. Je dois reconnaître que leur frappe a été planifiée et exécutée de main de maître. Elles ont simultanément pris le contrôle du hall d'accueil au rez-de-chaussée, du central de sécurité de l'hôtel, niché au cœur du 12e étage, et surtout de l'espace VIP réservé par le petit groupe des Matriarches du Conseil de Serrice pour leur réunion d'affaires: le salon d'honneur "Rêve d'Alune", le 77e et tout dernier étage au sommet de la tour, vous voyez là-haut? ce grand dôme vitré prolongé de notre côté d'une vaste plate-forme en surplomb, aménagée en jardin d'agrément mais qui peut aussi servir d'aire d'atterrissage pour navettes légères.
    D'après ce qu'on a pu reconstituer, deux navettes non planifiées sont d'abord venues se poser sur cette même terrasse; et quand les dames d'escorte des Matriarches se sont déployées pour faire face à la menace, d'autres terroristes ont surgi dans leur dos par les étages et en ont fait un massacre. Belle manœuvre tactique, timing parfait!... Deux des douze Matriarches ont également été tuées en essayant de résister; les dix autres sont actuellement toujours séquestrées à l'intérieur du salon d'honneur. Outre les gardes du corps, toutes les vigiles de l'hôtel semblent avoir été abattues à vue dans les couloirs au cours de l'assaut: les preneuses d'otages ont donc consciencieusement liquidé toute combattante biotique entraînée qui auraient pu leur poser problème – hormis certaines des Matriarches, dotées d'un impressionnant dossier militaire, mais trop précieuses pour être éliminées de la même façon.
    Après avoir pris le contrôle des systèmes de sécurité de l'hôtel, les terroristes en ont bouclé toutes les chambres, y piégeant ainsi les résidentes qui s'y trouvaient à ce moment-là et qui s'y préparaient pour l'heure du dîner. Elles prétendent avoir les moyens d'exécuter d'un seul coup la totalité de ces otages à la moindre menace, sans avoir précisé leur modus operandi: explosifs, gaz, surcharge énergétique...? Les autres clientes qui n'étaient pas présentes dans leurs chambres, ainsi que les personnels de l'hôtel, ont été raflées dans les couloirs ou en tentant de fuir par le hall, et rassemblées sous surveillance dans la grande salle du restaurant panoramique "Les Délices de Janiri", au 60e étage.
    Les terroristes, qui se sont faites connaître sous le nom du "Tribunal des Demoiselles", ont exigé de pouvoir parlementer avec des émissaires mandatées par le Conseil de la Citadelle lui-même. Elles ont rejeté sans ambages les tentatives de médiation de la part des autorités de Lusia ou des représentantes locales de la République asari...
    –- On a une idée de leurs effectifs?
    demanda Feylin alors qu'elle tentait en vain de percer du regard les verrières opacifiées de la paroi verticale de l'hôtel.
    –- Difficilement estimables, entre une quinzaine et une grosse vingtaine. Il y a en au moins deux à couvert dans le hall d'entrée, avec des équipements de surveillance de pointe; six à huit avec les Matriarches, dans le salon VIP du dernier étage; plus ou moins quatre avec les otages civiles du restaurant; et on a aussi identifié des patrouilles doubles se baladant dans les étages. On suppose que le central de sécurité est également occupé en permanence.
    Toutes les portes au rez-de-chaussée, et tous les points d'accès partout ailleurs ont été verrouillés. D'après la consommation énergétique, les terroristes ne réactivent les ascenseurs qu'au coup par coup depuis le central de sécurité, pour permettre la circulation de leurs propres patrouilles mobiles. On a envoyé des drones d'infiltration qui ont révélé la présence de nombreux dispositifs de détection, avant d'être eux-mêmes désactivés par des pièges à impulsion qu'ils n'avaient pas décelés! Au moins, on sait maintenant que ces Demoiselles-là disposent de matériels de haut niveau...

    Dame Qoliad n'accordait qu'une oreille distraite à l'exposé du lieutenant, ayant déjà pris connaissance de la plupart de ces éléments. Elle était d'ailleurs bien plus occupée à synchroniser son Omnitech avec celui de Sudaj Lenks à côté d'elle, leurs gantelets virtuels scintillant en harmonie. L'Asari échangeait de temps à autre ses points de vue avec le Galarien, au sujet des schémas techniques que l'un ou l'autre projetait tour à tour au-dessus de son avant-bras. Après être finalement
    tombée d'accord avec son Ingénieur, la Spectre éteignit son Omnitech et s'avança pour prendre la parole – qu'à son habitude elle accompagna d'une gestuelle forcenée:

    –- Votre attention, tout le monde! Voici comment on va procéder. Tout d'abord, il va nous falloir une diversion de poids pour maintenir l'attention de l'ennemie sur le sommet de la tour, tout en essayant d'y gagner le plus de temps possible. Et ça, c'est un boulot taillé pour moi! Le lieutenant T'Saral ici présente va donc me fournir une navette de police, avec deux de ses chasseresses qui auront revêtu l'uniforme des fliquettes locales, nettement moins menaçant du point de vue de nos preneuses d'otages. Elles me déposeront sur la plate-forme du dernier étage, face aux baies vitrées du salon de réception, afin que j'y entame les négociations. Ce sera également l'occasion, si possible, de s'assurer de la condition des Matriarches et d'essayer d'identifier les leaders parmi les Demoiselles. Je pense que je devrais pouvoir jouer de façon tout à fait crédible le rôle d'une émissaire exceptionnelle dépêchée par le Conseil en personne, exactement ce qu'il faut pour flatter l'égo d'apprenties terroristes en mal de reconnaissance: mon profil de Spectre est sans doute déjà si bien connu de ce genre de criminelles, que je n'aurai probablement même pas besoin de me présenter...
    –- Ton profil? Tu veux dire ta face!
    plaisanta Damon en dessinant du doigt sur son propre visage le tracé de la plus visible des nombreuses cicatrices de Guerdan.

    L'Asari ne prit même pas la peine de répondre. Son agacement blasé ne se manifesta que par une légère éruption d'ondes biotiques sur sa nuque et ses épaules, avant qu'elle ne reprenne l'exposé de son plan de bataille en désignant justement l'Humain:

    –- Toi le physionomiste, ta place sera en hauteur, à surveiller les mouvements sur les terrasses, et à couvrir mes fesses avec ton fusil de précision...» Le regard de la Spectre se durcit de façon à dissuader le boute-en-train de service d'ajouter quoi que ce soit de scabreux; l'instinct de préservation de celui-ci l'avait d'ailleurs déjà conduit à éliminer cette option. «...Tu verrouilleras soigneusement toutes les cheffes terroristes que tu auras pu identifier. Et comme tu es aussi notre meilleur pilote, tu assureras également le support aérien éventuel en fonction des besoins – appui-feu ou exfiltration.... Passe récupérer notre navette Kodiak dans le hangar du Citadel, et sers-t-en pour te rendre directement par les airs sur ton poste de tir...

    Le visage du Sniper s'éclaira d'un sourire réjoui, tandis qu'il ramenait la main derrière sa nuque de manière à caresser affectueusement la crosse de l'énorme Veuve Noire toujours replié sur le dos de son armure lourde. Guerdan poursuivait déjà:

    –- ...À mon sens, la meilleure position dominante, à distance optimale des plate-formes supérieures de l'Hôtel Siari, ce sera le toit de cette grande tour inoccupée que nous a montrée tout à l'heure le lieutenant T'Saral...
    –- Impossible!
    s'étrangla presque cette dernière. Il s'agit d'une propriété privée du Conseil d'Armali! Du Conseil d'Armali, par la Déesse! Vous n'imaginez pas tous les problèmes que vous allez nous...
    –- Et si je vous dis: «Réquisition sur ordre d'un agent Spectre!», lieutenant?
    rétorqua brutalement Guerdan. Est-ce que ça vous parle un peu, au moins?!

    L'officier de la Garde de Serrice s'éloigna en luttant très visiblement pour garder ses remarques pour elle, laissant le champ libre à Dame Qoliad qui se mit à projeter à nouveau divers plans techniques de la tour depuis son Omnitech:

    –- Pendant ce temps-là, vous autres: Feylin, Lenks et Andrak – ma force biotique et mes Ingénieurs préférés! –, vous vous infiltrerez depuis les fondations du bâtiment: conduits sanitaires, puits de maintenance, cages d'ascenseurs, etc... Ce ne sera pas une première pour vous! Oh, vous pouvez être sûrs que les terroristes auront déjà envisagé cette option. Mais compte tenu de leurs faibles effectifs, et si loin du centre de gravité de leurs opérations – la terrasse supérieure et les Matriarches qui y sont retenues –, je doute que vous y tombiez sur des patrouilles mobiles. Vous n'aurez probablement affaire qu'à des détecteurs de mouvements et systèmes de surveillance sous IV, éventuellement des drones sur itinéraire de patrouille programmé, plus sans doute quelques pièges explosifs placés sur votre chemin. Bref, rien qu'Andrak et Lenks ne devraient avoir trop de mal à repérer, leurrer, feinter, ou désamorcer, n'est-ce pas?...
    –- Ça représente quand même sacrée trotte à grimper à pied...

    L'interruption plaintive de Sudaj Lenks avait pris le ton d'un long gémissement. Guerdan sourit intérieurement: elle aurait presque été déçue si le Galarien avait pour une fois gardé ses jérémiades pour lui. Le fait est que ces amphibiens longilignes ne sont guère réputés pour leur endurance à l'effort physique prolongé – même les vétérans du GSI les plus aguerris tels que Lenks.

    –- Pas tant que ça, "Sauterelle", répondit la Spectre en usant du sobriquet généralement employé par Damon à l'endroit du Galarien. Vous n'aurez guère à escalader que jusqu'au 12e étage, là où se trouve le central de sécurité de l'hôtel. Il va de soi que vous y rencontrerez une opposition bien plus active; mais il vous faudra la neutraliser le plus rapidement et surtout le plus discrètement possible, pour éviter d'alerter les autres Demoiselles retenant les civiles et les Matriarches. Une fois que vous aurez pris le contrôle de tous les systèmes de surveillance et de sécurité, vous tâcherez de déterminer quelle menace – si tant est que ce ne soit pas un bluff – les terroristes font donc peser sur les civiles séquestrées dans leurs chambres; et si possible, vous libérerez celles-ci.
    Après quoi, toujours depuis le central, vous devriez pouvoir réactiver un ascenseur sans vous faire repérer, de manière à rejoindre l'un des étages juste au-dessous du resto panoramique. Là aussi, il vous faudra agir avec vitesse et brutalité pour éliminer les terroristes qui y retiennent le reste des otages, sans donner l'alarme. Une fois les civiles mises à l'abri, vous gagnerez le sommet de la tour, toujours le plus furtivement possible. Lorsque la Garde de Serrice, Damon et moi nous aurons reçu votre signal de mise en place, nous nous coordonnerons pour frapper le dernier coup décisif.
    Nous resterons en liaison par communicateurs cryptés; les Demoiselles semblent n'avoir établi qu'une aire de brouillage com de niveau tactique minimal, vraisemblablement afin de pouvoir maintenir le contact avec leurs patrouilles mobiles dans les étages. Des communicateurs de qualité militaire tels que les leurs et les nôtres peuvent donc demeurer opérationnels. Le lieutenant T'Saral vous affectera deux de ses guerrières pour vous guider dans les bas-fonds jusqu'aux fondations de l'hôtel, et aussi afin de vous fournir un support biotique de complément. Oh, j'ai pleinement confiance en tes capacités, Feylin; mais je crois que des terroristes capables d'éliminer en un tournemain l'escorte biotique de haut niveau de Matriarches du Conseil de Serrice, méritent d'être prises très au sérieux!...
    Bien, tout le dispositif devra être en place d'ici une demi-heure standard. Des questions? Non? Alors en piste! Rompez!

    Dame Qoliad tourna immédiatement les talons pour se diriger à longues enjambées vers l'aire des navettes, le lieutenant T'Saral et ses chasseresses lui emboîtant aussitôt le pas.

    –- Ah, une dernière chose lieutenant, ajouta la Spectre tout en marchant. Veillez à faire maintenir ces foutues gratte-IV de la presse le plus loin possible de l'aire des négociations; ou je serais encore bien fichue de me tromper d'ennemies!...


    Feylin s'apprêtait également à rejoindre son groupe de mission, lorsqu'elle nota que Damon da Costa s'était à nouveau plongé dans la contemplation du paysage urbain de Monoi, depuis la vaste baie vitrée du terminal. Ce côté méditatif n'était décidément guère dans les habitudes du lieutenant humain, ce qui incita la biotique asari à venir le rejoindre:

    –- Ça va, Champion?

    Damon lui répondit sans quitter des yeux le panorama vertical devant lui, sur lequel la nuit était maintenant tombée:

    –- Tu savais que les Terriens ont une tradition de deux siècles et demi de films catastrophe se déroulant dans des gratte-ciels? Prises d'otages, justement; mais aussi incendies, attaques de singes géants, de zombis, ou de monstres de l'espace...
    –- Et il y a vingt ans, vous vous êtes réellement retrouvés avec des zombis et des monstres de l'espace dans vos gratte-ciels terriens!
    –- Merci de me le rappeler! J'avais treize ans à cette époque-là. J'habitais encore à Rio... pas bien loin de l'Académie militaire de l'Alliance!... Inutile de dire que le coin a bien dégusté! Je ne sais toujours pas comment je m'en suis sorti... En tout cas, je n'ai jamais retrouvé trace de mes parents!
    –- Oh, désolée... Je ne voulais pas... C'est juste que... tu n'en avais encore jamais parlé!...

    Le vétéran N7 resta un moment silencieux avant de répondre, le regard toujours noyé dans le lointain:

    –- Ça va... J'ai eu le temps de faire le deuil, tu sais. À vrai dire, j'avais pas franchement la famille idéale. Franchement pas, en fait... Mère camée et paumée, pas souvent présente; père alcolo et violent, trop souvent là, lui... Je regrette quand même un peu mon petit frère Damian – de temps en temps... Mais tout bien considéré, intégrer le programme des Cadets de l'Alliance m'aura permis de trouver ma vraie famille, ma vraie place dans l'univers: un peu moins de taloches, nettement plus de gratification personnelle, une fratrie sur qui compter, un but dans la vie... L'opportunité en fin de compte de pouvoir devenir ce pour quoi je suis né!

    Feylin commençait à trouver le comportement de Damon de plus en plus troublant. De tels épanchements ne lui étaient réellement pas familiers: d'ordinaire, l'Humain préférait enfouir ce qu'il pouvait ressentir de plus intime sous ses sempiternelles blagues de caserne souvent si agaçantes, sous ce côté hâbleur tellement superficiel, tellement forcé et convenu à bien y regarder, que celui-ci devait dissimuler bien des passions violentes et contradictoires. La chasseresse asari n'avait malheureusement pas le temps de creuser davantage le sujet: il lui fallait déjà rejoindre ses collègues galarien et butarien, qui lui faisaient signe depuis l'autre bout de la galerie. Alors qu'elle s'éloignait, Damon tourna finalement la tête vers elle en lui lançant un bref:

    –- Fais attention à toi, Tornade Bleue...
    –- Ne t'en fais pas pour moi, Champion
    , le rassura-t-elle avec un sourire qu'elle voulait confiant. Est-ce qu'il y a jamais eu une seule fois où je n'aie pas fini la mission en vie?

    L'Humain regarda partir son amie, tout en murmurant pour lui-même:

    –- C'est toujours la première fois qui compte...

    [...]

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  • Épisode 4: Des Demoiselles à croquer !

    Nébuleuse d'Athéna – Système Tomaros – Planète Lusia –
    Capitale planétaire de Monoi, dans l'Hôtel Siari en état de siège

  • Par la Déesse, quelque chose ne tournait décidément pas rond là-dessous! Oh non, pas rond du tout!...

    Suivant son propre plan, Dame Qoliad avait rejoint la terrasse supérieure de l'Hôtel Siari à bord d'une navette de la Police de Monoi, en compagnie de deux redoutables chasseresses de la Garde de Serrice accoutrées comme de banales fliquettes de base. Encore suivant son propre plan, elle s'était alors présentée aux preneuses d'otages asari, revêtue de son armure noire aux épaulières frappées de l'emblème des Spectres, en tant que négociatrice accréditée par le Conseil lui-même. Et c'est toujours suivant son propre plan qu'elle avait entamé les tractations, dans la seule idée de gagner du temps afin de faciliter l'infiltration du reste de son équipe par les étages inférieurs de l'hôtel.

    Mais là, Guerdan commençait à acquérir de plus en plus nettement la conviction qu'en fait, c'était bel et bien elle qu'on était en train de balader!

    La nuit était tombée depuis une petite heure sur Monoi, et la vaste plate-forme en surplomb, qui dominait le scintillement de la ville alentour, n'était plus éclairée que par les quelques illuminations artistiques du jardin d'agrément qui occupait la majeure partie de la terrasse. D'où elle était, Guerdan pouvait voir, derrière les terroristes venues à sa rencontre, le grand salon en forme de dôme vitré où étaient toujours séquestrées les dix Matriarches du Conseil de Serrice. Les négociatrices du "Tribunal des Demoiselles" qui s'étaient alignées face à la Spectre étaient trois. Toutes portaient les mêmes armures légères ajustées de couleur prune, celles-là même qu'avaient arborées certaines factions rebelles parmi les plus irréductibles lors de la Révolte des Demoiselles sur Lusia, une quinzaine d'années plus tôt. Et toutes trois dissimulaient leur identité sous un casque intégral à visière réfléchissante, épousant les appendices situés à l'arrière de leur crâne.

    Ce qui troublait le plus Dame Qoliad, toutefois, c'était la ceinture d'explosifs que chacune d'entre elles portait autour de la taille! La Spectre n'avait jamais spécialement reçu de formation d'artificière; mais sa longue expérience lui en avait assez appris sur ce genre de dispositifs, pour estimer que le modèle qu'elle pouvait détailler ici était du plus haut de gamme – une fois armé, probablement impossible à désamorcer avant qu'il n'explose! On pouvait vraisemblablement envisager que toutes les autres terroristes, voire même chacune des précieuses Matriarches retenues en otages au dernier étage de la tour, avaient été équipées de tels dispositifs. Voilà qui compliquait singulièrement la situation!


    L'une des Asari masquées semblait diriger le trio des négociatrices: elle était la seule pour l'instant à avoir pris la parole, tandis que les deux autres demeuraient en retrait, à bonne distance de chaque côté. L'interlocutrice de Guerdan s'était sèchement présentée sous le nom d'Oriasin T'Leris. Mais la Spectre savait pertinemment qu'il s'agissait là d'une fausse identité, ou plus précisément d'un nom de guerre, puisque la véritable Oriasin T'Leris était morte douze ans plus tôt! Cette insaisissable stratège de la guérilla avait été en son temps l'une des plus implacables adversaires de la République asari sur ce monde, et son nom figurait à présent en bonne place parmi ceux des plus illustres martyres de la cause des Demoiselles de Lusia. Guerdan avait en outre quelques raisons personnelles d'être certaine de la mort d'Oriasin, puisque c'était elle-même qui l'avait terrassée en combat singulier, lors d'une de ces fameuses missions secrètes au service du Conseil dont elle se sentait si peu lieu d'être fière...

    À bien y réfléchir, s'était dit Guerdan, il y avait peu de chances pour que cet emprunt matronymique bien précis soit une simple coïncidence. Ces activistes lusiennes savaient-elles donc que ce serait elle-même en particulier, Dame Guerdan Qoliad, qui viendrait à leur rencontre?! Au moins, la Spectre aguerrie avait su ne laisser paraître aucune surprise sur son visage.

    En dehors de cela, les exigences successivement présentées par la pseudo-Oriasin n'avaient réellement ni queue ni tête! D'un côté, elles semblaient certes vouloir coller aux clichés les plus classiques des revendications ordinaires des preneurs d'otages et autres allumés révolutionnaires. Et pourtant, tout ce galimatias politico-idéologique donnait tellement l'impression de tomber à contretemps, et d'atterrir à côté de la question, qu'il s'en dégageait une irrépressible sensation de trompe-l'œil, d'écran de fumée...

    Davantage d'autonomie pour Lusia, davantage de droits pour la classe d'âge des Demoiselles? Mais il y avait bien longtemps que de larges concessions avaient été faites, pour ramener le calme sur ce monde déchiré par des années de luttes civiles et de répression militaire! La libération des "détenues politiques injustement emprisonnées par le gouvernement dictatorial de Thessia"? Presque toutes les jeunes Asari qui avaient pris les armes contre l'ordre établi des Matriarches avaient déjà été amnistiées ou libérées, et la plupart des autres étaient également en fin de peine. Une petite cinquantaine d'entre elles, parmi les dernières encore incarcérées, venaient d'ailleurs d'être libérées sur parole au cours des trois mois précédents. Au demeurant, le suivi judiciaire des différentes nations constitutives de la République asari manquait singulièrement de rigueur et d'unité, et Guerdan soupçonnait que plusieurs des terroristes auxquelles elle faisait actuellement face soient justement issues des rangs de ces criminelles irrécupérables.

    Ce n'est que lorsque la prétendue Oriasin commença enfin à parler gros sous que la Spectre crut voir où elle souhaitait en venir depuis le début. Mais non: celle-ci ne demandait qu'une misérable rançon de cinq millions de crédits galactiques. Cinq millions! Guerdan réprima à grand peine un mouvement d'impatience. Une exigence aussi dérisoire frisait la fumisterie, en tout cas ne cadrait pas du tout avec le professionnalisme dont les terroristes avaient fait preuve jusqu'ici lors de cette opération. L'organisation de celle-ci, la mise en place, les équipements et armements investis, tout cela devait d'ailleurs déjà représenter pas loin de la moitié de la somme exigée! Avec autant d'atouts en mains que la vie des Matriarches du Conseil de Serrice, sans parler de celle des dizaines d'autres civiles séquestrées dans l'hôtel, les preneuses d'otages auraient pu réclamer sans sourciller une somme au moins dix fois plus importante...

    Estimant avoir épuisé à peu près tout son potentiel de diplomatie, Guerdan finit immanquablement par laisser son impulsivité naturelle reprendre le dessus:

    –- Bon, jouons cartes sur table, "Oriasin": où voulez-vous en venir, au juste? Nous savons très bien toutes deux que vous n'avez aucune véritable revendication politique. Et ce n'est pas non plus l'argent qui vous motive, n'est-ce pas? Alors dites-moi seulement: que faisons-nous ici? Sommes-nous réellement en train de négocier?

    L'interlocutrice de Guerdan ne répondit pas immédiatement. Mais lorsqu'elle le fit, la Spectre put deviner au ton qu'elle employa son sourire de jubilation cruelle sous sa visière:

    –- Et toi-même, Spectre, veux-tu donc me faire croire que tu es réellement montée ici pour négocier? Hah! On sait très bien qui tu es, Guerdan Qoliad. Pas un simple agent du Conseil, non; pas même juste une des Spectres les plus dangereuses de tout l'espace concilien... Non, on sait que tu es à la tête d'une unité spéciale des GEIST, cinq membres en tout! Groupes d'Enquête, Infiltration & Sécurisation Trans'espèces... Un nom bien pompeux pour les escadrons de la mort de la Citadelle, un amalgame contre nature des machines à tuer les plus vicieuses de la galaxie! Alors la seule raison pour laquelle tu te tiendrais seule ici devant moi, à m'écouter gâcher ma salive, c'est que le reste de ton équipe de métèques doit déjà être en train de tenter de nous infiltrer; probablement sous nos pieds, par les fondations. Je me trompe? Peu importe, à vrai dire: si tel est bien le cas... tu risques de te retrouver à nouveau Spectre solo d'ci très peu de temps!

    * * * * * *

    L'ascension de l'équipe d'infiltration ainsi évoquée avait été encore plus lente et difficile que prévu. La furtivité la plus absolue était le maître mot de l'opération; et les trois agents conciliens, ainsi que les deux chasseresses asari prêtées par le lieutenant T'Saral, avaient donc dû remonter les étages depuis les sous-sols de l'Hôtel Siari au travers d'un des puits d'ascenseur désactivés de la tour, échelle après échelle à la force du poignet. Un itinéraire vertical choisi presque aléatoirement parmi les 58 cages d'ascenseur, 34 escaliers publics, 45 escaliers de service et 92 conduits de maintenance accessibles depuis les soubassements. Et pourtant, tout donnait l'impression que l'ensemble des systèmes de surveillance de l'hôtel, plus tous les pièges et embûches ajoutés par les preneuses d'otages, avaient été concentrés sur cet itinéraire en particulier!

    Il avait fallu combiner toute l'acuité des scanners d'Andrak Atkoso'dan, le Franc-tireur butarien, pour détecter les nombreuses menaces sur leur parcours, et toute la polyvalence des programmes de piratage de Sudaj Lenks, l'Ingénieur galarien, pour les désarmer. Il ne restait plus qu'à croiser les doigts pour qu'aucun système passé inaperçu n'ait mouchardé leur présence... L'ambiance obscure et oppressante de ce puits étriqué ne semblait pas stresser le moins du monde le Galarien qui progressait en tête; mais le rythme soutenu de cette dangereuse ascension l'obligeait par moments à ralentir pour souffler un peu. En revanche, le grand Butarien derrière lui ne montrait le moindre signe de fatigue, alors même que son bras gauche blessé et immobilisé ne lui permettait de gravir les échelons que d'une unique main leste.

    Feylin Adamas, la chasseresse asari, suivait l'avancée des deux ingénieurs experts devant elle, sans rien pouvoir faire d'autre pour l'instant que demeurer tous les sens en alerte. Elara et Fédrisse, les deux commandos de la Garde de Serrice rattachées à l'Unité N°1, fermaient la marche avec leurs fusils à pompe Disciple arrimés sur le dos de leurs armures grises. Feylin, une fois n'est pas coutume, avait opté pour la même arme, légère mais puissante, apte à soutenir sa spécialisation biotique de combat au contact.

    L'expédition parvint ainsi au niveau du 12e étage. C'était là que se trouvait le central de sécurité de l'hôtel, leur premier objectif. De cet endroit, l'équipe aurait pour première tâche d'identifier la nature de la menace mortelle que les terroristes du "Tribunal des Demoiselles" prétendaient pouvoir faire peser sur les otages bouclées dans leurs chambres à tous les étages. Puis après avoir conjuré cette menace, les agents pourraient réactiver depuis ce même endroit un ascenseur qui les mènerait vers le 60e étage, l'étape suivante de leur mission d'infiltration, sans risquer d'y alerter les autres terroristes présentes. Lourd programme pour la nuit...

    Toujours en tête, Lenks s'arrêta au niveau des portes closes de la cage d'ascenseur. Sur l'échelle en dessous de lui, Andrak examina l'écran du détecteur de proximité à son poignet, afin de confirmer l'absence de toute menace directe, qu'elle soit organique ou synthétique. Le Butarien adressa un signe de tête encourageant à l'Ingénieur galarien, qui entreprit de pirater l'ouverture des portes. Les volets finirent par coulisser sur un son pneumatique étouffé; Lenks passa d'abord sa longue tête à cornes par l'ouverture, puis commença à hisser le reste de sa carcasse longiligne.

    –- Ça va. Tout a l'air...

    Seule la vivacité des réflexes du Galarien lui évita d'être coupé en deux lorsque les volets de la porte se rétractèrent sur lui, sans aucun signe avant-coureur! Une brusque détente des jambes et une roulade en avant le propulsèrent en plein milieu d'un couloir dont toute une paroi vitrée sur sa gauche dominait la ville scintillant dans la nuit, tandis que le panneau d'accès à l'ascenseur se refermait derrière lui dans un claquement sec. Le verrouillage holographique de la porte était repassé à l'orange: Andrak allait sans doute mettre une bonne quinzaine de secondes avant de parvenir à en contourner le nouvel encryptage informatique, pour venir porter secours à son compagnon isolé en terrain hostile. Des secondes qui allaient sans doute coûter cher à Lenks, car deux Asari en armures légères de couleur prune et casques intégraux venaient tout juste de de débouler d'un couloir perpendiculaire, à dix mètres devant lui...

    Dès qu'elles l'aperçurent, les Demoiselles contractèrent leurs muscles et firent jaillir autour de leurs corps un halo bleuté, une Barrière biotique censée leur permettre de survivre aux premières secondes d'un échange de tirs. Tandis que l'une dégainait rapidement un pistolet Phalanx qu'elle braqua sur le Galarien, l'autre avait activé autour de son avant-bras le gantelet doré de son Omnitech en sorte de lancer un message d'alarme:

    –- Alerte, intrus! Intrus au 12e ... Merde!

    D'après ce dernier juron fort révélateur, la terroriste venait de réaliser la présence de l'aire de brouillage com que Lenks avait hâtivement mise en place autour de lui, à l'instant où il s'était rendu compte qu'il venait de donner dans un piège. Pour autant, les Asari donnaient au Galarien l'impression de se sentir en position de force, à deux guerrières biotiques contre une seule misérable créature amphibienne. Après tout, les Barrières biotiques qu'elles venaient de lever, tout comme les boucliers cinétiques de leurs armures légères, les protégeaient des tirs supersoniques générés par les armes utilisant la technologie des champs gravitationnels. Voilà qui devait les conforter dans un sentiment de sécurité... trompeur!

    Eh bien elles vont avoir une drôle de surprise, se dit Lenks alors qu'il tirait de sa taille mince son pistolet Scorpion, le vestige de son service au GSI qui ne le quittait presque jamais. En un battement de cils, le Galarien éleva son arme de poing aux lignes inhabituelles, et fit feu. Un unique projectile adhésif à basse vélocité, une micro-charge explosive à retardement, vint traverser les barrières cinétiques de la Demoiselle au Phalanx et se fixer à la base de son cou: un tir parfaitement ciblé, qui avait déjà scellé le sort de la malheureuse. L'Asari commença à paniquer, tentant en vain de détacher d'une main la bille luisant d'une intense lumière bleutée. Elle ne put y parvenir avant que la micro-charge ne lui fasse sauter la tête – et la main – dans un bouillonnement de fluides mauves.

    Arme efficace, d'une souplesse d'emploi et d'une puissance destructrice redoutables, le Scorpion souffrait cependant d'une cadence de tir dramatiquement réduite. Lenks avait espéré que la détresse puis la fin grand-guignolesque de sa complice décontenance l'autre Asari, juste le temps nécessaire pour lui permettre de placer un second coup au but sur celle-ci. Mais la chasseresse était d'une autre trempe, et cette sanglante diversion ne parvint pas à la distraire de sa détermination fanatique: son avant-bras se chargeait déjà d'énergie noire, prêt à pulvériser l'intrus qui pointait encore en vain son ridicule jouet technologique. L'amphibien s'apprêtait déjà à numéroter ses cartilages, quand soudain son adversaire fut projetée par une force invisible au travers de la paroi vitrée qui se trouvait à sa droite! Il n'y eut qu'un bref hurlement, une violente pulvérisation de verre pilé dans le couloir, que déjà l'Asari avait disparue, comme aspirée par le vide.

    L'instant d'après, Lenks vit une nouvelle venue surgir du même couloir perpendiculaire d'où avaient déjà émergé les deux chasseresses: une Asari au visage découvert, et à la carrure athlétique enserrée dans une armure légère noire comme la nuit. Le Galarien comprit immédiatement qu'il s'agissait là de la responsable de la frappe biotique qui venait de lui sauver la vie. L'inconnue providentielle pila net à la vue de l'agent. Leurs regards ne se croisèrent qu'un très court instant, avant que l'Asari ne reprenne sa course et ne s'évanouisse comme par enchantement dans un couloir adjacent.

    Lenks battait encore des paupières, comme pour s'assurer qu'il n'avait pas rêvé, lorsque la porte de l'ascenseur se rouvrit derrière lui. Andrak ne passa d'abord que sa paire d'yeux supérieure et son pistolet lourd par l'ouverture, le temps de repérer les lieux. La brèche dans la verrière, le corps mutilé de l'extrémiste asari au sol, et l'état de stupeur du Galarien, son pistolet Scorpion toujours braqué sur le couloir vide en face de lui, révélèrent immédiatement au colosse butarien que toute une série d'événements graves s'était déroulée durant ses quelques secondes d'absence.

    Lenks fut en devoir de fournir quelques explications une fois l'équipe rassemblée:

    –- On a dû déclencher signal en montant, sans réaliser. J'ai été pris en embuscade dès sortie de l'ascenseur. Deux ennemies. J'ai eu l'une, l'autre a été éjectée à travers vitres par Projection biotique. Vu par qui: une Asari qui a disparu par ce couloir, à une vitesse incroyable. Un vrai fantôme... Portait une armure noire. Pas comme preneuses d'otages, là par terre, ni comme chasseresses du lieutenant T'Saral ici avec nous...
    –- Une armure noire?
    l'interrompit Feylin. Tu veux dire, un peu comme celle que porte Guerdan?
    –- Maintenant que tu le dis... Oui.

    Le Galarien désigna alors de son long doigt le corps de la terroriste étendue dans le couloir:

    –- À présent regardez ceci, autour de sa taille: détonateurs redondants, plusieurs tours de cordeau explosif, charges de forte puissance. Le top des ceintures kamikazes pour fanatiques bardés de crédits! Eu le temps d'examiner un peu: modèle essentiellement mécanique, indésamorçable par piratage électronique ou altérations cosmodésiques. Voyez terminaisons nodales, ici: nombreux pièges déjà repérés, préférable ne même pas tenter de désarmer manuellement. Ma conclusion quant aux terroristes elles-mêmes: solution létale recommandée, important les neutraliser définitivement dans le plus court laps de temps possible, avant qu'elles puissent activer détonateurs manuellement!...

    Vétéran du GSI, l'Ingénieur galarien était un expert reconnu en matière d'explosifs et de détonateurs: même en faisant abstraction de son caractère naturellement porté au pessimisme, on pouvait faire confiance à son diagnostic concernant ces dispositifs meurtriers, qu'on pouvait s'attendre à trouver autour de la taille de chacune des terroristes impliquées. Peu rassurée par cette dernière découverte, l'équipe reprit sa progression vers le central de sécurité de l'hôtel, toutes les armes en alerte et tous les sens aux aguets.


    Les agents ne croisèrent pas d'autre patrouille active, et Lenks n'eut pas plus de trois dispositifs de surveillance à désactiver avant que le groupe n'atteigne l'entrée du couloir dérobé menant au site névralgique. Aucune sentinelle à l'extérieur, et pas un bruit en provenance du local. Andrak vérifia son scanner, et confirma par signes la présence à l'intérieur du central de deux adversaires potentielles, équipées d'armures légères et en station immobile – assises sans méfiance devant leurs écrans, ou au contraire positionnées en embuscade, il était impossible de le préciser. Feylin rappela, par signes également, qu'il était important de ne tirer qu'à coup sûr, afin d'épargner autant que possible les consoles et le matériel technique dont l'équipe allait avoir besoin. Aucun coup de feu n'eut pourtant à être tiré, lorsque l'assaut fut lancé et que les agents firent irruption dans le local...

    –- Par les Piliers de la Force! murmura Andrak en abaissant son arme.

    Les deux guerrières asari qui avaient dû être chargées de défendre ce local gisaient à présent sur son sol, leurs corps repliés dans des positions improbables, leurs armes toujours à côté d'elles. Il n'échappa à personne que toutes deux portaient le même modèle de ceinture explosive déjà reconnu sur la terroriste du couloir. Lenks s'agenouilla et fit passer son Omnitech sur toute la hauteur du torse d'une des victimes. Ce rapide examen médico-légal ne fit que confirmer ce que les trois agents chevronnés et les deux chasseresses asari avaient déjà tous subodoré. Plusieurs côtes avaient été brisées net en plusieurs endroits; la plupart des vertèbres avaient été disjointes; l'ensemble des organes internes avait été écrasé par un choc d'une violence extrême; et tout cela sans trauma visible sur la surface externe du corps... C'était là la résultante évidente d'une unique frappe biotique particulièrement puissante.

    –- On dirait qu'on a une alliée dans la place, déclara Feylin. Je me demande qui est donc ce fantôme en armure noire, et ce qu'elle cherche au juste...
    –- L'ennemi de ton ennemi n'est souvent qu'un ennemi de plus à venir
    , répondit sentencieusement Andrak, qui ne faisait qu'énoncer là un principe élémentaire de sagesse butarienne.

    La galaxie est décidément divisée en deux, songea Sudaj Lenks: les espèces lentes, qui bavardent, glosent et conjecturent... et les Galariens, qui agissent! Car de son côté, l'Ingénieur s'était déjà mis au travail sur les consoles du central de sécurité, à la recherche du procédé diabolique par lequel les terroristes disaient être en mesure d'exécuter d'un seul coup toutes les otages emprisonnées dans les chambres de l'hôtel, en cas d'assaut. Bon alors, asphyxie générale par coupure de la ventilation des chambres? Non, trop lent. Explosifs? Trop de charges et d'ouvrage nécessaires pour trop de chambres à piéger. Surcharge des systèmes électriques? Mmm...

    –- Trouvé! clama soudain Lenks. Trois bonbonnes de Thanathlon, neurotoxique à large spectre, branchées sur la ventilation générale de l'hôtel. D'après schéma du réseau, les containers se trouveraient dans machinerie turbine d'un local technique annexe au 3e sous-sol... Quand je pense qu'on a dû passer juste à côté en montant! Le circuit de ventilation n'alimente plus que les chambres, plus du tout reste de l'hôtel. Il suffirait d'activer turbine annexe depuis ce poste pour gazer d'un coup toutes les otages... Abject! Monstrueux! ajouta le Galarien en foudroyant du regard les corps des deux terroristes gisant au sol.
    –- Mais qu'est-ce que les criminels ont donc tous en ce moment avec les neurotoxiques? soupira Andrak, qui avait quelques bonnes raisons de se souvenir dans sa chair de la mission de récupération du Lémure sur Digeris.
    –- Tu as moyen de contrer ça? demanda Feylin à l'Ingénieur galarien.
    –- Évidence! rétorqua gaiement celui-ci, tout en pianotant de ses longs bras sur trois interfaces holographiques simultanément. D'abord, réencodage des commandes turbine annexe depuis ce poste – Fait. Puis verrouillage à distance du local technique – Fait.... Hé hé, codes de ma composition, basés sur vieilles comptines galariennes oubliées: inviolabilité garantie! Coupure générale et verrouillage de la ventilation pour plus de sécurité. Et enfin, déverrouillage de toutes les chambres et libération des otages séquestrées... Ah, un peu plus difficile, hmm... Voilà, c'est fait aussi!

    Feylin s'approcha de la console, et prit sa voix la plus rassurante pour diffuser sur le circuit com général, aboutissant dans chacune des chambres de l'hôtel, un message invitant les résidentes à demeurer à leur étage, sans surtout emprunter les escaliers sans doute encore piégés. Puis elle s'adressa aux deux commandos de la Garde de Serrice adjointes en renforts à l'Unité N°1. En tant que vétérane elle-même de la Garde de Serrice, Feylin bénéficiait d'une aura certaine auprès des deux jeunes chasseresses, et elle n'avait guère été longue à prendre un ascendant total sur elles.

    –- Fédrisse, Elara: passez un appel à vos collègues stationnées en attente dans les sous-sols. Qu'elles montent nous rejoindre en passant par la voie d'ascension que nous venons de sécuriser, et qu'elles prennent possession de ce central. Si elles doivent y faire face à une contre-attaque ennemie, défense absolue de le lâcher, sous aucun prétexte! C'est bien clair?...

    L'Asari se retourna ensuite vers son Ingénieur galarien, toujours très absorbé par l'examen des différentes consoles:

    –- Quant à nous, on va pouvoir reprendre le cours de notre mission. Lenks, tu peux réactiver un ascenseur vers les étages supérieurs?
    –- Déjà fait
    , répondit le Galarien sans tourner la tête. Un des trois seuls ascenseurs non piégés, utilisés par les terroristes pour leurs patrouilles. Son mouvement passera inaperçu, mais... je recommande descendre bien avant le 60e étage pour ménager marge de surprise!

    Lors des rares occasions où Dame Qoliad lui déléguait la direction d'une partie de l'unité, Feylin Adamas pouvait faire preuve d'un charisme d'autant plus surprenant qu'elle se montrait généralement des plus effacées lorsqu'elle servait dans l'ombre écrasante de sa supérieure vénérée. À ce moment précis, c'est avec l'aura d'un véritable leader qu'elle fut la première à se diriger d'un pas décidé vers la sortie du local technique, accompagnant son ordre sec d'un lever de bras impérieux:

    –- Bon, en route! On est encore loin d'avoir bouclé la nuit...

    * * * * * *

    Une légère vibration sur l'Omnitech de Dame Qoliad, correspondant à une séquence d'impulsions déterminée à l'avance, lui avait signalé le moment où son équipe d'infiltration avait atteint le 12e étage. Une seconde séquence envoyée par Sudaj Lenks, suivant un rythme légèrement différent mais tout aussi imperceptible par toute autre que Guerdan elle-même, avait notifié à cette dernière la prise de contrôle du central de sécurité de l'Hôtel Siari, ainsi que la neutralisation de la menace sur les otages emprisonnées dans leurs chambres. La Spectre avait dissimulé un soupir de soulagement, en constatant qu'aucune des notes convenues pour signaler la perte d'un des membres de l'unité n'avait été ajoutée à la fin de la séquence codée. À présent, Dame Qoliad attendait de recevoir la confirmation de l'arrivée de l'équipe au 60e étage, celui du restaurant panoramique, où bien d'autres otages civiles restaient détenues sous étroite surveillance par un petit nombre de terroristes.

    Les discussions avec la représentante du "Tribunal des Demoiselles" qui se tenait face à Guerdan tournaient de plus en plus en rond, et la Spectre était parfaitement consciente que son interlocutrice était sur le point de perdre toute contenance. Elle pouvait d'ailleurs ressentir la même nervosité, en dépit de leur entraînement, chez les deux chasseresses déguisées en policières demeurées en retrait derrière elle. Elle était temps que toutes ces simagrées touchent à leur fin avant que la situation ne parte en vrille...

    Cela faisait déjà un moment que l'amateurisme et le manque de contrôle de la négociatrice adverse, "Oriasin T'Leris", avaient suggéré à Dame Qoliad que celle-ci n'était pas le vrai cerveau de l'opération. Et en l'observant plus attentivement, la Spectre asari avait fini par obtenir la confirmation de ses soupçons en la voyant se tourner à plusieurs reprises, d'abord discrètement puis de plus en plus ouvertement, vers sa voisine de gauche demeurée en retrait, aux traits dissimulés derrière la même visière réfléchissante que les deux autres extrémistes. À un moment donné, Guerdan parvint à mettre la prétendue Oriasin suffisamment en difficulté pour la pousser à interroger directement sa complice d'un ton nerveux; la criminelle s'interrompit cependant dès qu'elle comprit qu'elle venait de commettre une bourde:

    –- Bathyll? Qu'est-ce qu'on avait décidé à propos de ...?
    –- Bathyll?
    se répéta intérieurement Guerdan en plissant le front. Pas un nom de vieille souche asari, ça... Sans doute un prénom donné par un père issu d'une autre espèce. Peu importe, en tout cas: te voilà maintenant avec la marque de la Mort sur ton joli front, ma petite!

    La Spectre fixa pendant un peu moins d'une seconde la comparse masquée qu'elle considérait désormais comme la véritable responsable aux commandes, tout en pianotant furtivement une courte séquence sur son communicateur de poignet, avec ses mains ramenées derrière son dos. Le message muet était adressé au lieutenant-major Damon da Costa, le Sniper humain de l'Unité N°1, monté s'embusquer en position dominante au sommet d'une des tours voisines aux commandes d'une navette d'assaut Kodiak. Trois secondes plus tard, Guerdan reçut en retour un signal discret de la part de son équipier, lui confirmant qu'il venait de reclasser la simple garde du corps en cible prioritaire. Pas à pas, le drame continuait à se rapprocher de son dénouement...

    * * * * * *

    L'équipe d'infiltration avait emprunté l'ascenseur jusqu'au 55e étage, puis avait poursuivi à pied jusqu'au restaurant panoramique du 60e étage, où étaient retenues toutes les otages civiles qui n'avaient pas été bouclées dans leurs chambres d'hôtel. La dernière étape de l'escalade s'était faite par un escalier de service dérobé, débouchant sur la partie arrière d'un petit local d'entretien attenant à la grande salle du restaurant. L'endroit avait l'avantage d'offrir une perspective bien dégagée sur les lieux, par l'entrouverture des deux battants de la porte. Quatre terroristes armées avaient été identifiées visuellement – chiffre confirmé par le scanner d'Andrak Atkoso'dan d'après la masse de leurs armures, qui les distinguaient des otages assises à même le sol. Les quatre cibles hostiles portaient toutes des casques à visière opacifiée, et bien sûr, toutes étaient également dotées des mêmes inquiétantes ceintures d'explosifs que l'équipe concilienne avaient déjà identifiées au 12e étage...


    –- À toi de jouer, Andrak, murmura Feylin au Butarien trois têtes au-dessus de la sienne, en appuyant son ordre d'un coup de menton en direction de la grande salle.

    Il avait été convenu qu'il reviendrait au Franc-tireur de l'équipe d'engager les hostilités le premier, dès qu'il aurait identifié la cheffe de groupe parmi les terroristes. Son sens tactique, longuement affûté par des années d'expérience de frappes ciblées contre toutes sortes de gangs armés, lui fut une fois encore d'une grande utilité dans cette tâche. Andrak configura alors son Omnitech avec soin, de sa main gauche à la mobilité encore très limitée. Il était bien sûr hors de question pour lui d'avoir recours à une Incinération à distance – son attaque technique privilégiée! – contre une adversaire porteuse d'une charge à haute puissance détonante, se tenant en outre au beau milieu d'un groupe d'otages innocentes. L'ancien chasseur de primes opta donc pour son second type de frappe à distance préféré, destiné à celles de ses proies qu'il devait impérativement ramener en vie: un Choc neural, revenant à déployer sur sa cible un champ d'énergie dévastateur, à même de surcharger le système nerveux d'un être organique sans causer le moindre dommage aux circuits électroniques présents dans l'aire d'action – ceux de la ceinture d'explosifs en l'occurrence!

    Dès qu'il fut prêt, Andrak adressa un bref signe de tête à ses équipiers; puis après avoir pointé le bras par la porte entrouverte en direction de la grande Asari qu'il avait identifiée en tant que leader, il libéra toute la puissance qu'il avait accumulée en vue de ce tir. Tétanisée par la douleur, sa cible se replia sur elle-même et tomba au sol en convulsant frénétiquement au milieu des otages stupéfaites. Le Butarien tira aussitôt son pistolet lourd Paladin en vue d'entamer la deuxième phase du combat. Mais il ne trouva en fait plus d'autre cible à traiter, tant étaient remarquables la vitesse et la coordination avec lesquelles le reste de l'équipe avait agi de son côté.

    À l'instant où Andrak avait neutralisé la première extrémiste, les deux chasseresses Elara et Fédrisse, leurs fusils à pompe Disciple déjà en mains, s'étaient jetées chacune contre un des battants de la porte, afin de dégager le terrain pour Feylin. Cette dernière put alors à nouveau prouver son expertise dans l'art exigeant de la Charge biotique: lorsqu'elle s'élança, ses compagnons d'armes purent à peine entrevoir un éclair bleu zigzaguer entre les tables renversées et frôler au plus près les otages assises sur le plancher, avant de venir percuter de plein fouet l'une des terroristes. L'angle d'impact était parfaitement étudié: l'Asari en armure prune fut violemment projetée contre sa complice la plus proche, et toutes deux s'en allèrent rouler au sol, assommées, sans qu'aucune otage n'ait été blessée.

    Fédrisse et Elara s'élancèrent aussitôt dans le sillage de Feylin, avec une vélocité démultipliée par leur entraînement biotique, afin d'achever rapidement les deux terroristes à terre. Deux tirs de fusil à pompe pour chacune, visant la tête à bout touchant: une mise à mort bien peu honorable, mais le meilleur moyen d'éviter de toucher accidentellement les ceintures explosives, ou l'une des otages. Feylin procéda d'ailleurs exactement de même de son côté, lorsqu'elle mit fin sans aucun état d'âme aux contorsions pathétiques de la cheffe de dispositif ennemie terrassée par l'attaque neurale d'Andrak.

    Quant à Sudaj Lenks, ainsi qu'il en avait été décidé dans l'équipe, il s'était chargé de la cible la plus éloignée du groupe des otages: les projectiles explosifs de son pistolet Scorpion en faisaient certes une arme redoutablement efficace, mais aussi fort susceptible de causer de graves dommages collatéraux aux otages trop proches. La patrouilleuse qui revenait justement de contrôler les accès d'ascenseurs du restaurant se retrouva donc l'objet des attentions du Galarien. Dès qu'Elara et Fédrisse eurent écarté les deux battants de la porte de service, l'ex-agent du GSI pointa rapidement son arme sur l'Asari médusée, et parvint à placer une première micro-charge adhésive directement sur la visière réfléchissante de son casque. Surprise et désorientée par cette bille étincelante venue brusquement aveugler son champ de vision, la terroriste commit l'erreur de tourner sur elle-même: le second tir de Lenks, tout aussi précis que le premier, l'atteignit au niveau de la nuque, juste en-dessous de la partie protégée par le casque. Par ce deuxième tir, le Galarien tenait à s'assurer de l'élimination définitive de la menace; mais il eut la satisfaction professionnelle, dès l'explosion de son premier projectile, de constater que celui-ci aurait suffi à lui seul à remplir cet objectif.

    La brièveté et la sauvagerie extrêmes du combat laissèrent aux agents de l'Unité N°1 la maîtrise du champ de bataille... ainsi que la responsabilité de prendre en charge deux douzaines d'otages asari en état de choc! Après l'exécution au fusil à pompe de trois des terroristes, la fin détonante et spectaculaire de la quatrième, dont la tête et les épaules avaient été proprement vaporisées par deux micro-charges explosives, avait achevé de semer la panique parmi les captives. Prostrées au sol mains sur la tête, gémissant, sanglotant et tremblant de tous leurs membres, celles-ci offraient un tableau à fendre l'âme la plus endurcie. Feylin ordonna d'un geste à ses équipiers d'abaisser leurs armes afin de tranquilliser les malheureuses, alors qu'agents et chasseresses s'avançaient dans la grande salle du restaurant. Soudain, Andrak poussa un hurlement d'alarme:

    –- Lenks, att...!

    Avant que l'avertissement ne lui soit parvenu, le frêle Galarien avait déjà été renversé par la Charge biotique d'une cinquième Demoiselle surgie de nulle part sur le flanc de l'équipe. Un genou sur le torse de sa victime à terre, un poing crépitant d'énergie noire levé au-dessus de sa tête, la chasseresse s'apprêtait à donner le coup de grâce à l'Ingénieur groggy, lorsqu'elle-même fut soudain projetée contre une colonne proche par une poussée biotique parfaitement ciblée, mais d'une violence inouïe. De toute évidence, la fanatique était déjà morte avant même de se détacher du pilier et de retomber mollement au sol.

    Cette frappe d'une puissance terrifiante n'était le fait ni de Feylin, ni d'Elara ou Fédrisse. Mais les trois chasseresses expérimentées avaient bien ressenti, dans l'ébranlement de l'air, d'où le lancer biotique était parti. En se retournant vivement dans cette direction, elles purent voir finir d'émerger d'une des bouches de ventilation du restaurant une Asari dont les poings rayonnaient encore d'une lueur bleutée. L'armure noire de la nouvelle venue épousait à la perfection ses lignes d'athlète idéale, et son visage stoïque ne laissait lire aucun sentiment particulier. Feylin l'identifia aussitôt comme le "fantôme" dont avait parlé Lenks, qui venait de sauver là une seconde fois la vie du Galarien.

    –- Vais bien, marmonna brièvement celui-ci, encore assez secoué.

    Les deux chasseresses de la Garde de Serrice s'affairèrent à exfiltrer en urgence les otages, toujours en état de choc, vers les escaliers qu'elles avaient sécurisés. De leur côté, les trois agents de l'Unité N°1 s'étaient tournés vers leur invitée surprise, armes toujours en mains. Toutefois, aucun d'entre eux ne la considérait visiblement plus comme une ennemie potentielle. Lenks lui adressa même de la tête un bref signe de reconnaissance alors qu'il se relevait. Feylin, elle, avait l'impression que le visage de l'Asari ne lui était pas inconnu; mais elle ne parvenait pas à fixer un nom, un pedigree, ou les circonstances d'une rencontre sur le masque impénétrable de marbre bleu qui lui faisait face. Quant à Andrak, il semblait inexplicablement pétrifié, la bouche grande ouverte alors qu'il dévisageait l'inconnue en armure noire comme s'il venait de voir une morte revenue à la vie.

    Sous l'escorte de Fédrisse et Elara, les otages avaient à présent évacué la grande salle du restaurant panoramique: n'y demeuraient plus, au milieu des tables renversées et des corps des terroristes neutralisées, que la mystérieuse combattante asari et les trois agents conciliens. Aucune parole n'avait encore été échangée. Tandis que Lenks pianotait sur son Omnitech un bref message codé à l'adresse de Dame Qoliad, Feylin s'apprêta donc à engager la discussion avec la guerrière sans nom, après avoir sécurisé son fusil Disciple en signe de bonne volonté. Mais à l'instant même où elle ouvrit la bouche, les ceintures d'explosifs que portaient encore les cinq extrémistes étendues au sol se mirent simultanément à s'illuminer et à biper aussi furieusement que le tableau de bord d'une navette en perdition: le signal d'une mise à feu imminente!

    La première surprise passée, l'Asari en armure noire fut la première à réagir: en un éclair, elle pointa du doigt sur un mur de la grande salle une cage d'ascenseur aux portes grandes ouvertes, donnant directement sur le vide en l'absence de toute cabine. Puis ayant ainsi manifesté son intention, elle se précipita vers l'ouverture à une vitesse surhumaine, et se jeta dans l'abîme sans l'ombre d'une hésitation! Dynamisée par cet exemple, Feylin Adamas, qui se trouvait alors entre Andrak et Lenks, ne fut guère plus longue à prendre sa décision: d'un même geste, elle enlaça d'un bras la taille du Galarien, et de l'autre celle beaucoup plus large du géant butarien. Puis d'une violente impulsion biotique, décuplant la puissance, l'amplitude et la vitesse de ses mouvements, la chasseresse se propulsa avec ses deux "colis" vers le puits où venait de disparaître leur alliée anonyme, et y plongea dans son élan, droit vers les profondeurs de la tour.

    Les trois agents en chute libre perçurent le vrombissement d'une explosion dantesque au-dessus d'eux, et la chaleur infernale de la cascade de flammes qui tentait de les rejoindre dans leur descente alors qu'ils dégringolaient sur cinq douzaines d'étages à la volée. Les bras de Feylin étaient immobilisés par les deux compagnons qu'elle soutenait; mais l'Asari était une athlète biotique surentraînée, qui n'avait besoin d'effectuer aucun mouvement physique pour activer mentalement, à intervalles réguliers, les impulsions cosmodésiques qui parvenaient à ralentir le trio dans sa chute, et à l'empêcher de venir percuter les parois du conduit d'ascenseur. Peu avant d'atteindre les soubassements de la tour – d'où elle était partie à peine une heure plus tôt! –, Feylin engagea tout ce qui restait de puissance biotique dans son organisme afin de réduire sa propre masse au minimum. En dépit des masses résiduelles d'Andrak et Lenks tout contre elle, l'Asari parvint ainsi à freiner suffisamment leur vitesse de chute pour leur éviter à tous trois d'aller s'écraser au fond du puits d'ascenseur. Le choc de leur arrivée au sol n'en fut pas moins violent, et assomma momentanément les trois casse-cous.

    L'inconnue providentielle qui venait de leur sauver à nouveau la vie avait déjà disparu – signe évident qu'elle s'était reçue avec bien plus d'élégance que Feylin! Encore sonnée, la jeune chasseresse commença péniblement à se relever sur ses mains, en toussant sous une pluie de cendres et de débris légers en provenance des étages supérieurs. C'est alors qu'un brusque hoquet lui coupa le souffle. Pas un contrecoup du choc de l'atterrissage brutal, non: c'était un hoquet de surprise, de saisissement.

    L'Asari en armure noire: elle venait de se rappeler où elle avait déjà vu son visage!...

    [...]

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