Unité N°1: Saison 2
 
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Unité N°1: Saison 2

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Dr Sordin Molus
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  • Épisode 10: Citadel has fallen !

    Secteur du Nexus d'Hadès – Système Alcas – Orbite du planétoïde Alcas Minor –
    Station d'Alcastarz, colonie pénitentiaire de haute sécurité de l'Alliance –
    Aile administrative, en salle de visioparloir



  • Guerdan avait envisagé d'établir un premier rapport de forces lors de cet entretien à distance avec la criminelle Maya Brooks, en commençant par la fixer longuement sans dire un mot, par écran interposé, de ce regard glacial qu'elle avait eut des siècles pour travailler, et qu'on prétendait capable de cryogéniser un Vortcha! Pourtant l'Humaine aux cheveux noirs lui coupa l'herbe sous le pied, lorsqu'elle entama d'elle-même les échanges verbaux, d'un ton clairement désinvolte, en surjouant délibérément la surprise et l'ingénuité qu'elle voulait laisser transparaître:

    –- Dame Guerdan Qoliad! Eh bien cela, c'est un honneur...
    –- Tout l'honneur est pour vous
    , répliqua abruptement la Spectre asari. Je constate que vous semblez déjà me connaître...
    –- Oh, mais naturellement!
    poursuivit la détenue de sa voix la plus enjôleuse, soulignée de son plus large sourire. Vous étiez déjà l'un des agents Spectres les plus anciens et les plus illustres de l'espace concilien lorsque je travaillais encore pour Cerberus. En vérité, vous l'étiez avant même que l'Humanité n'entre en contact avec les autres espèces! À une autre époque, j'ai moi-même été un assez bon agent de terrain: il était donc de mon intérêt de bien connaître les plus dangereux des adversaires dont j'aurais pu être amenée à croiser la route...
    –- Alors vous savez déjà que la flatterie ne fonctionne pas avec moi, Brooks... Au fait, dois-je vous appeler Maya Brooks?
    –- Si vous voulez... Bien sûr, vous savez tout comme moi que ce n'est pas ma véritable identité; mais depuis près de vingt ans maintenant que je suis détenue dans les prisons de l'Alliance, c'est le nom que j'aurais porté le plus longtemps au cours de ma vie. Alors oui, va pour Maya Brooks...

    Les agents du Conseil ne manquèrent pas de trouver assez déconcertante l'assurance placide qu'affichait la criminelle, face à une Spectre à la réputation aussi intimidante que Guerdan Qoliad. Si celle-ci était peut-être bien intriguée, elle aussi, elle fit en tout cas en sorte de n'en rien laisser paraître, lorsqu'elle commença à soumettre Brooks à son interrogatoire. La vieille routière asari opta pour un ton neutre, froid et détaché, sous lequel frémissait pourtant la menace d'une agressivité patente:

    –- Voici quatre jours, un attentat meurtrier a frappé le monde de Lusia, dans l'espace asari. La meneuse de ce raid sanglant était une mercenaire drelle recherchée, du nom de Bathyll Rakhtar. Cette Rakhtar a eu une conversation avec sa commanditaire depuis Lusia, via Extranet. Les coordonnées de cette correspondante ont pu être établies: ce secteur; ce système; ce pénitencier. La voix de la commanditaire a également pu être identifiée avec certitude: vous-même, Maya Brooks!
    Le code d'encryptage employé pour cette transmission avait été utilisé par Cerberus jusqu'à peu avant le début de la Guerre contre les Moissonneurs: c'est apparemment vers cette époque que Cerberus avait considéré ce code comme compromis, après la capture d'une de ses bases, puisqu'il n'avait plus été employé depuis – jusqu'à ces derniers jours... Il est vraisemblable que l'utilisateur de ce code désuet, de préférence à un plus récent, soit quelqu'un qui ait quitté l'organisation juste avant la Guerre. Or, c'est comme par hasard vers cette époque-là que vous avez planté ces fils de putes de Cerberus pour aller faire vos propres saloperies dans votre coin...

    Guerdan avait surveillé attentivement les réactions de son interlocutrice à ses mots. L'interprétation des tics faciaux des Humains n'avait en effet déjà plus de secrets pour elle. C'est d'un ton lugubre qu'elle constata:

    –- Je ne vous apprends rien, de toute évidence...

    De fait, Brooks n'avait adopté aucune de ces postures défensives propres aux inculpés soumis au feu roulant de l'accusation. Tout au contraire, elle commençait même à se détendre très ostensiblement, lorsqu'elle répondit d'une voix sucrée:

    –- Vous en revanche, Dame Qoliad, c'est pour obtenir des réponses que vous êtes venue jusqu'ici. Je vous rassure, j'ai pleinement l'intention de coopérer. Ce sera même pour moi un réel plaisir que de...
    –- Minute, ma petite!
    intervint Guerdan en pointant vers l'écran un index péremptoire. Ne pensez pas un instant pouvoir mener cet interrogatoire à votre guise! Je peux vous assurer quand j'en aurai fini avec vous, votre notion du plaisir sera à...


    Dame Qoliad s'interrompit brusquement dans son discours, bouche ouverte et index figé dans les airs. Damon, Feylin, Lenks et Andrak, ainsi que la probatrice T'Ribas, suspendirent également tous leur respiration. Sept paires d'yeux écarquillés – en comptant les deux paires du Butarien! – fixaient l'écran avec stupeur et incrédulité. Maya Brooks venait de congédier d'un signe de tête les deux mécas armés derrière elle, qui s'empressèrent de quitter la cellule de leur pas cadencé d'automates; puis l'instant d'après, les Omni-pinces scintillantes qui enserraient les poignets de la criminelle se désactivèrent comme par enchantement. Celle-ci put alors venir poser son menton sur ses mains jointes en se penchant vers l'écran, savourant visiblement la surprise de ses "invités":

    –- Alors? Avouez que vous ne l'aviez pas vue venir, celle-là... Spectre?

    Damon da Costa était alors le plus proche de la porte du parloir. Se retournant vers celle-ci en un éclair, il ne put toutefois que constater que l'unique issue de cette pièce, à présent marquée d'un verrou holographique rouge, avait été hermétiquement scellée. Loin de se laisser abattre par ce renversement de situation inattendu, les agents surentraînés réagirent au contraire avec une grande vivacité d'esprit. Guerdan tenta immédiatement de passer un appel d'alerte vers le SSV Citadel depuis son Omnitech – avant de s'apercevoir qu'elle ne recevait aucun écho en retour, pas même le crépitement de parasites caractéristique d'un brouillage actif. Dans le même temps, Feylin Adamas et Sialan T'Ribas déclenchèrent un véritable pilonnage de frappes biotiques répétées à l'encontre du portail de leur cellule, sans pourtant que l'intense concentration mise en œuvre par les deux Asari parvienne à obtenir le moindre effet notable. L'Ingénieur Sudaj Lenks, de son côté, avait déjà commencé à scanner les murs et le plancher en quête de panneaux accessibles et de nœuds de connexions piratables. En pure perte, hélas... Andrak Atkoso'dan sonda quant à lui le plafond dans un premier temps, avant de venir suppléer le lieutenant da Costa occupé à analyser la résistance du volet blindé sous les frappes concertées des deux biotiques asari. C'est du reste le grand Butarien qui établit le premier un compte-rendu de situation pour sa supérieure:

    –- Rien à faire, Dame Qoliad: aucun point de connexion au réseau du bloc, ni aucun accès au circuit électrique; juste ces fichus écrans qui fonctionnent en circuit fermé sur batteries autonomes... Aucun point faible non plus d'ailleurs dans la structure générale de l'ensemble. La porte, les murs, plafond et plancher, disposent d'un blindage d'une épaisseur inquantifiable avec les moyens du bord, et d'une densité telle que je n'en avais encore jamais rencontrée. Ce matériau semble totalement inattaquable! Et pour couronner le tout, aucun type de signal ne peut être ni émis, ni reçu. Je crains qu'on ne soit enfermés ici pour de bon!
    –- Vos agents sont d'une perspicacité remarquable, ma chère
    , ironisa Maya Brooks. Vraiment l'élite de la galaxie... Bon, maintenant, si je puis me permettre... J'aimerais vous éviter de gaspiller votre temps et vos efforts, mais je sais que vous tenterez quand même tout ce qui peut l'être afin de sortir d'ici. Alors je vais juste profiter de l'instant présent, et prendre plaisir à vous regarder vous débattre en vain. Mais sachez cependant ceci par avance: ce local où le bon directeur Kapoor vient de vous mener, fut autrefois conçu en tant que chambre de confinement étanche de cette ancienne base de recherches de Cerberus, l'espace sécurisé où la section scientifique locale pouvait maintenir sous contrôle ses projets les plus hasardeux. Et je peux vous certifier d'expérience que Cerberus a foiré plus d'un projet, à des niveaux cataclysmiques, avant de parvenir à mettre au point une chambre forte aussi inviolable que celle où vous vous retrouvez actuellement emprisonnés...

    Tandis que la criminelle en combi rouge pérorait, la probatrice T'Ribas avait pris une longue inspiration, les yeux clos, s'abîmant dans un profond recueillement tandis qu'un orbe d'éclairs bleus croissait en taille et en intensité entre ses mains. Lorsque sa frappe biotique – une Déchirure! – eût atteint son potentiel maximal de destruction, elle la relâcha droit sur l'un des murs du local de confinement. Le flux bleuté percuta violemment la paroi, mais ne fit que se disperser en longs filaments sur toute la surface verticale, faisant réagir et luire brièvement d'une teinte violette la barrière impénétrable qui venait de protéger l'intégrité de la muraille.

    –- Comme je vous le disais donc, reprit Maya Brooks visiblement amusée par l'échec de la probatrice, la solidité de ces murs est hors de portée de vos efforts. Cerberus est parvenu à en renforcer la structure à un niveau jamais égalé depuis, à l'aide d'une technologie inspirée de celle des relais cosmodésiques – des ouvrages virtuellement indestructibles, comme chacun sait. Une sorte de bouclier quantique, qui cimente les particules entre elles à un niveau subatomique... Quelque chose comme ça, en tout cas: après tout, je suis hackeuse, moi, pas physicienne! Oh, cette technologie expérimentale est bien sûr loin d'être aussi évoluée que celle des Moissonneurs... Mais admettez qu'à l'usage, cela demeure tout de même diablement efficace, non?
    Ce champ d'énergie avait heureusement pu être désactivé au moment de la chute de la base, voici vingt ans, ne laissant en place que des parois blindées parfaitement ordinaires. Depuis lors, ce système de défense est resté en sommeil, bien dissimulé. Et nous ne l'avons réactivé qu'après que cette station de l'Alliance soit passée sous mon contrôle...
    –- Attendez, j'ai raté quelque chose... Cette station est passée sous votre contrôle?!
    répéta mot pour mot une Guerdan incrédule. Là, je crois que vous nous devez quelques explications, Brooks. Je vous promets de rester attentive et de ne pas quitter la pièce.

    La criminelle humaine eut un sourire énigmatique lorsqu'elle recula le buste vers le dossier de son siège. Elle prit d'abord le temps de défaire son strict chignon de détenue, libérant une masse de cheveux qui retomba en une cascade d'un noir éclatant sur ses épaules vêtues de plastique rouge vif. Puis après avoir observé le bref silence de rigueur afin de bien s'assurer l'attention de son public, Maya Brooks débuta son histoire sur un ton sarcastique:

    –- Il y a maintenant vingt ans de cela, j'ai été capturée par le grand, le légendaire, l'immortel commandant Shepard. Comme la plupart des anciens membres de Cerberus détenus ici, j'ai passé les cinq années suivantes baladée d'une colonie pénitentiaire de l'Alliance à une autre; des séjours hélas trop courts pour pouvoir prendre mes marques ni organiser quoi que ce soit... Et puis, voici quinze ans, j'ai échoué ici: retour à la case départ sur cette ancienne base de recherches de Cerberus, à bord de laquelle j'avais travaillé à une époque, et où j'étais désormais condamnée à finir mes jours...
    Il m'a vite fallu admettre que j'étais tombée dans un établissement parfaitement pensé, conçu pour déjouer toute tentative d'émeute ou d'évasion. Sa garnison composée de gardiens exclusivement synthétiques rendait totalement inutile mon talent inné pour l'intrigue et la manipulation; je n'avais par ailleurs aucun outil pour prendre le contrôle de ces fichus mécas grâce à mes compétences en piratage; et mon placement en isolement surveillé me compliquait encore davantage la tâche. Bref, je m'apprêtais presque – presque! – à me résigner à mon sort, quand le destin m'a tendu une nouvelle perche...
    Comme le directeur Kapoor vous l'a peut-être déjà dit, mon profil a intéressé les nombreux psychologues de l'équipe scientifique affectée ici, qui m'ont régulièrement sollicitée pour des séances d'entretien par visioconférence. Or...»
    Maya Brooks eut un sourire carnassier, avant de reprendre: «...Or j'adore les psychologues! Si si, vraiment... Je suis toujours stupéfaite de constater combien l'empathie inhérente à ces spécialistes de l'âme, les rend vulnérables à mes manipulations les plus subtiles, les prédispose à tomber sous mon influence dès lors que j'ai assez de temps pour avancer mes pions... S'il est des êtres sur lesquels je possède une emprise, un pouvoir assez comparable à la capacité d'endoctrinement des Moissonneurs, eh bien les psychologues humains en font partie à coup sûr! Je suis ainsi parvenue à gagner chacun d'eux à ma cause, en les travaillant tous simultanément lors de nos entretiens – et ce, sans même m'être jamais retrouvée en présence physique d'un seul d'entre eux! Une de mes plus belles réussites, en vérité...
    –- Pfffh...!
    soupira le lieutenant N7 Damon da Costa. Je viens juste de me rappeler pourquoi j'ai jamais pu encadrer toutes ces foutues têtes d'œufs de psys...

    Dame Qoliad et ses agents commençaient déjà à voir se dessiner la suite des événements, que Maya Brooks allait visiblement prendre grand plaisir à leur raconter en détail:

    –- À partir de là, le ver était dans le fruit: la partie était déjà plus qu'à moitié gagnée. Mes nouveaux adeptes ont d'abord commencé par tâter le terrain du côté de leurs collègues scientifiques; puis ils se sont attelés à répandre pas à pas le venin que je leur avais moi-même instillé, auprès des cadres et des gardiens qu'ils recevaient régulièrement en consultation. Ce fut en fait bien moins difficile que je ne l'aurais cru. Les personnels postés à long terme sur ce genre de colonie pénitentiaire reculée sont généralement loin d'être l'élite de l'Alliance: cette affectation est une voie de garage, ils le savent et le vivent souvent mal. La promiscuité, l'ennui, la démotivation et l'aigreur les ouvrent aux influences les plus radicales. Il n'aura pas fallu très longtemps pour que l'ensemble de l'aile administrative finisse par se rallier à mes vues...
    Dans le même temps, l'équipe médicale avait validé ma levée d'isolement, et m'avait obtenu le droit de circuler dans l'ensemble de l'aire de réclusion, sous la protection rapprochée des mécas. J'ai ainsi pu aller prêcher ma cause auprès des autres prisonniers, et eux aussi, les rallier progressivement à mes idéaux...
    –- Ils auraient pourtant eu toutes les raisons de préférer vous faire la peau
    , fit remarquer Guerdan. Après tout, vous aviez trahi Cerberus par le passé...
    –- Certes; mais je suis toujours demeurée une ardente partisane de l'ascension et de la primauté de l'espèce humaine
    , se rengorgea fièrement l'irréductible activiste. J'ai donc mis en avant l'influence que j'avais acquise auprès de nos gardiens; j'ai fait miroiter à ces soldats perdus la possibilité de servir à nouveau leur cause – notre cause! –; je leur ai offert le moyen de reprendre la guerre qu'ils avaient perdue, et de la gagner cette fois-ci; je leur ai fait toucher du doigt un avenir auquel ils ne pouvaient plus que rêver... Et c'est ainsi que contre toute attente, conclut Brooks avec emphase, en unissant dans un but commun gardiens et détenus, je suis parvenue à faire de ce lieu d'oubli et de désespoir la base de départ de la nouvelle armée secrète de l'Humanité triomphante... À coup sûr la base d'opérations la plus insoupçonnable qui soit!

    Les agents échangèrent discrètement quelques regards consternés sur les dernières phrases du récit exalté de leur geôlière, révélatrices d'une mégalomanie manifeste. Tous semblaient partager à peu de choses près, bien qu'en des termes différents, la même pensée qui germait à ce moment-là, par exemple, sous le crâne humain de Damon da Costa:

    –- Cette salope-là est peut-être bien une criminelle de génie; mais elle a clairement aussi un sacré pète au casque! C'est sûr, vingt ans d'environnement carcéral dans le trou du cul de la galaxie ne font de bien à personne... Mais sur une fanatique de ce calibre, ce régime-là a carrément dû fusiller un sérieux paquet de neurones!...

    Guerdan prit néanmoins le parti de faire fi de ses propres doutes quant à la santé mentale de son interlocutrice, et de poursuivre son interrogatoire afin d'en apprendre le plus possible sur le mode de pensée et d'action de celle qui, après tout, tenait pour l'heure entre ses mains son sort, ainsi que celui de ses agents:

    –- Vous savez que vous commencez réellement à me fasciner, Brooks? Comment êtes-vous parvenue à maintenir si longtemps le secret sur vos opérations? Durant toutes ces années, il a bien dû y avoir des rotations parmi le personnel de la prison, non?
    –- Cela va de soi, Dame Qoliad. Mais comme à mon habitude
    , se targua l'Humaine avec fierté, j'ai réussi à convertir en avantage ce qui au départ pouvait sembler représenter un danger. Ainsi, lors de chaque relève – tout comme lors des rares inspections de l'Alliance, d'ailleurs –, la population locale recommençait pour un temps à jouer la comédie du pénitencier: les gardiens d'un côté, les détenus de l'autre. La même farce que nous venons de vous jouer, en fait... Les nouveaux arrivants étaient progressivement sondés sur leurs opinions, influencés par l'ambiance générale, puis s'ils se révélaient perméables, intégrés à notre projet; j'ai même fini par développer un protocole très efficace en ce sens! Les quelques rares éléments non assimilables ont été, hum... victimes d'accidents regrettables, comme il y en a hélas parfois en milieu orbital. Et pour gagner sur tous les tableaux, les personnels de l'Alliance rapatriés vers l'espace concilien pouvaient y monter leurs propres cellules, actives ou dormantes, dans l'armée comme dans le civil: de nouvelles ramifications, prêtes à soutenir mon organisation occulte à leur niveau local.
    Certes, je suis encore loin d'avoir réuni les mêmes moyens que l'Homme Trouble à son apogée. Dans un premier temps, il m'aura fallu de longues années de patience pour parvenir à développer depuis ce trou à rats une solide assise financière pour mes opérations, d'abord par piratages de comptes discrets, puis par montages d'identités fictives, prises de participations dans diverses sociétés honorables, etc... Mais dans le même temps, j'ai su me constituer toutes les bases de données, services d'informateurs, et réseaux d'influences dont j'avais besoin. Progressivement, j'ai pris la haute main sur à peu près toutes les organisations suprémacistes humaines de la galaxie dont j'aie pu avoir connaissance, en manipulant les unes, en en finançant d'autres, voire en en mettant certaines sur pied, sans jamais avoir eu à m'avancer moi-même hors de l'ombre... Je suis même parvenue à assembler dans les Systèmes Terminus une petite flotte militaire, prête à l'emploi, sous divers prête-noms de sociétés mercenaires!

    Brooks quitta alors sa confortable position au fond de son siège pour se rapprocher de l'écran, en prenant grand soin de placer son visage assez haut pour que son regard en contre-plongée donne l'impression de s'abaisser sur ses prisonniers:

    –- Mais tout a une fin, Dame Qoliad; et toute fin est un nouveau commencement... Je suis à présent en mesure de passer à une échelle d'activités supérieure, et il me faudra pour cela me relocaliser, et laisser Alcastarz derrière moi. Mes nouvelles bases d'opérations sont déjà prêtes... Mais avant cela, j'ai eu l'idée de me servir de cette maudite prison une toute dernière fois, comme appât, en vue de préparer l'action la plus spectaculaire que j'aie jamais orchestrée. Croyez-moi, je parle là de quelque chose en mesure de secouer toute cette galaxie assoupie dans l'illusion de sa propre sécurité! Seuls deux éléments manquaient à mon plan: un vaisseau militaire du Ministère de la Défense Concilien, avec son transpondeur authentique, ainsi que l'agent Spectre à son bord, avec ses codes et ses données biométriques. Et vous, Dame Qoliad, vous venez tout juste de me fournir ces deux ingrédients sur un plateau...

    Cependant que Brooks plastronnait, Guerdan s'abstint d'intervenir: l'Asari continuait de fixer sans un mot son interlocutrice d'un regard glacial, propre à lui montrer à quel point elle se laissait peu intimider par sa mise en scène grandiloquente. L'Humaine en combinaison rouge poursuivit donc sans interruption son monologue et l'exposé de ses plans, d'une voix pleine d'autosatisfaction:

    –- Je savais que la conseillère asari ne resterait pas indifférente à l'éventualité d'une résurgence du mouvement de Demoiselles de Lusia, et qu'elle ferait intervenir une équipe spéciale du Conseil. Par le passé, je m'étais déjà servie à deux ou trois reprises de ce petit groupe d'extrémistes asari, à leur insu pour mes propres buts, déjà par l'intermédiaire de Bathyll Rakhtar. Il était justement temps pour moi de couper définitivement les ponts avec ces pauvres idiotes; Rakhtar s'en est très bien sortie sur ce coup-là, une fois encore. En revanche, elle avait spécialement reçu ordre d'épargner votre vie sur Lusia, Spectre: comme je vous l'ai dit, vous étiez indispensable à la poursuite de mes plans. C'est sur mes instructions également que Rakhtar m'a jointe ici, par liaison directe: une communication traçable, protégée par un code 'secret' dont je savais pertinemment que les services de la Citadelle possédaient déjà la clé de décryptage, et qui associerait dans leur esprit cette transmission à une nouvelle menace de Cerberus. Il m'a semblé évident que le Conseil n'enverrait dans ce secteur agité qu'un vaisseau léger, discret, et une petite équipe dirigée par un agent Spectre, de préférence à une grosse force militaire. Et de fait, vous voilà, Dame Qoliad, juste là où j'avais prévu de vous mener...
    –- Quelque chose m'intrigue tout de même
    , observa Guerdan, impressionnée malgré elle. Comment la suprémaciste humaine, l'idéaliste dévoyée que vous êtes, a-t-elle fait pour s'assurer la loyauté d'une mercenaire drelle, d'une sociopathe amorale telle que Bathyll Rakhtar?! Pour moi, ça ressemble au mariage du pyjak et du varren; et ça ne finit jamais bien pour le pyjak!
    –- Mmm, merci de vous inquiéter du sort du pyjak
    , répondit patiemment Brooks, sans sembler prendre pour elle la pique de la Spectre asari. Pour ce qui est de Rakhtar, je la paie très bien, voilà tout... Je lui fournis le meilleur matériel, et lui assigne régulièrement des listes de cibles à éliminer de manière brutale: elle n'en demande guère plus. Elle ne m'a jamais déçue; et moi de mon côté, je n'ai jamais cherché à la trahir – ce qui, à ma connaissance, a été fatal à certains de ses anciens employeurs! C'est donc un partenariat mutuellement profitable, sur le long terme. Voyez-vous, pour atteindre mes buts, j'ai toujours su m'attacher les meilleurs, sans préjugés d'espèce. Demandez donc un peu à Shepard qui lui avait présélectionné son fameux commando-suicide anti-Récolteurs, quand vous le reverrez. Oh pardon, c'est vrai: je doute que vous le revoyiez jamais...


    Guerdan dut prendre sur elle pour retenir la répartie cinglante qui lui montait déjà aux lèvres: elle avait encore des questions à poser, et Brooks semblait d'humeur à y répondre; inutile de la fâcher trop tôt. La question suivante était cependant d'ordre assez personnel pour la Spectre asari comme pour son équipe, et elle ne put s'empêcher de la formuler sur le ton d'un grondement menaçant:

    –- Plus tôt, vous avez parlé de financements en sous-main au bénéfice d'autres organisations suprémacistes humaines... Anthropy, Kader Erbil, c'était vous aussi?! (1)
    –- En effet. Anthropy faisait partie de... disons des "franchises" que je soutenais matériellement. Quant à Erbil, je l'avais d'emblée considéré comme un élément prometteur, tout à fait ce que je recherchais: un ex-officier des renseignements de l'Alliance, mais un vrai patriote ultra-humaniste, qui se méfiait de tous nos chers alliés à trois doigts qui prétendent ne vouloir que notre bien. Aussi doué qu'aigri: un mélange généralement très productif! Oui, c'est bien moi qui lui ai mis le pied à l'étrier, moi qui lui ai permis de développer son organisation, et qui l'ai orienté vers la déstabilisation à grande échelle...
    Au final, Anthropy aura dépassé toutes mes espérances: un beau retour sur investissement – avant que vous ne mettiez un terme définitif à son expansion! Ç'aura été une bonne chose pour moi, que vous n'ayez pas jugé utile de prendre Erbil vivant. Oh, il n'aurait sans doute pas parlé; mais les Asari ont des moyens si déloyaux de sonder l'esprit de quelqu'un, par cet acte répugnant qu'elles appellent une fusion mentale... Même si nous savons toutes deux, Dame Qoliad, que vous-même ne sauriez pratiquer ce genre de fusion sans causer de très graves dommages neurologiques à votre malheureux "partenaire"... N'est-ce pas?

    La criminelle laissa passer un court moment, scrutant avec un intérêt visible les réactions de ses interlocuteurs, avant de laisser transparaître une légère déception sur son visage:

    –- Oh? Alors il semblerait que votre équipe soit déjà au courant de votre sale petit secret d'Asari, Spectre? Ainsi également que la probatrice ici présente – T'Ribas, c'est bien ça? Je dois admettre que c'est assez inattendu... Mais cela ne changera rien à ce qui va suivre...

    Maya Brooks passa furtivement sa langue sur ses lèvres, se délectant de l'appréhension qu'elle pouvait lire sur les traits de Dame Qoliad et de ses agents derrière elle, avant de reprendre d'un ton suave:

    –- Ah, ma chère, très chère Guerdan... – Vous permettez que je vous appelle Guerdan? – Je m'en veux tellement de devoir vous parler de cela maintenant, alors qu'il avait l'air de commencer à se passer quelque chose entre nous... Mais bon allez, tant pis, je me lance! Eh bien tandis que nous conversions aimablement, et que je captais toute votre attention, les troupes armées à ma disposition lançaient l'abordage contre votre frégate bloquée à quai par mes soins. Tout devrait se passer très vite: l'assaut est mené par... disons, par ma directrice des opérations; et à ce jour, elle s'est toujours montrée d'une efficacité mortelle...

    Le visage satisfait de Maya Brooks avait disparu de l'écran, pour être remplacé par les images mobiles des caméras de surveillance placées sur le quai de la baie d'amarrage où était ancré le SSV Citadel. Les armures bleu nuit des fantassins humains qui progressaient en file indienne le long du quai les désignaient comme les gardiens de la prison d'Alcastarz. La seule assaillante qui ne portât pas le même uniforme était revêtue d'une armure de couleur prune que Guerdan ne connaissait que trop bien... Une Drelle à visage découvert...

    –- Je suppose que vous reconnaissez ma très chère alliée Rakhtar? reprit la voix off de Maya Brooks. En fait, elle m'avait déjà rejointe bien avant votre arrivée, via un petit relais secondaire dissimulé ici même, au cœur de la ceinture d'astéroïdes du système Alcas, et que nous ne réactivons qu'occasionnellement en fonction de nos besoins. Un autre des nombreux petits secrets de Cerberus que nous avons pris soin de ne jamais révéler à l'Alliance...

    Dame Qoliad et ses agents serrèrent les poings, impuissants, en regardant à l'écran les troupes d'assaut s'aligner le long de la passerelle d'accès au sas d'entrée du Citadel, sous la direction de la mercenaire drelle. Une fois le volet du sas forcé, la redoutable tueuse biotique laissa d'abord pénétrer quelques Humains – pour éponger les premières pertes au combat –, avant de se jeter elle-même avec enthousiasme dans la mêlée. La vue caméra demeurait bloquée sur le quai et sur l'extérieur de la frégate, mais l'enregistrement retransmettait le son étouffé de tirs nourris et d'explosions en provenance de l'intérieur du vaisseau; quelques hurlements de douleur ou de panique furent également perceptibles. Ce spectacle atroce s'interrompit lorsque Maya Brooks reparut à l'écran, rayonnante de triomphe et clairement satisfaite de son petit effet:

    –- Je doute que vous appréciiez ce moment autant que moi; mais comprenez bien que je me devais de vous le faire partager. En ce qui concerne la suite des événements, eh bien... Même si la capture se passe sans trop de problèmes – ce qui est le cas d'après les dernières infos que je reçois, ajouta-t-elle en souriant tandis qu'elle portait deux doigts à son communicateur d'oreille –, j'ai bien peur qu'il ne me faille encore par la suite réduire drastiquement les effectifs de votre équipage. Il est toujours dommage de devoir se séparer d'un personnel humain de si grande valeur; mais c'est hélas indispensable pour la suite des opérations que je planifie... Je laisserai Rakhtar se charger elle-même de ces détails d'intendance: je suis sûre qu'elle appréciera l'intention!
    –- Hésap
    ! murmura Andrak Atkoso'dan, fou d'angoisse en songeant au péril qui menaçait son amie le docteur Avidar.
    –- Pourriture de terroriste! cracha Guerdan. Vermine sans nom! Cette fois, la mort elle-même ne m'empêchera pas de venir te régler ton compte!

    Pas impressionnée le moins du monde, Brooks adressa à ses prisonniers son plus aimable sourire, balançant son index de gauche à droite tout en usant d'une voix doucereuse, particulièrement agaçante:

    –- Oh, mais vous, mais vous n'allez pas mourir, Dame Qoliad. Non-non-non-non... J'ai bien d'autres plans pour vous, qui impliquent de vous maintenir en vie. Vous allez adorer quand je vous raconterai ce que...

    La communication s'interrompit brutalement lorsque Guerdan, toujours assise, tira en un éclair son pistolet Prédateur de sa taille, et logea en l'espace d'une seconde une demi-douzaine de projectiles dans l'écran qui lui faisait face. L'arme toujours pointée en avant, elle gronda sourdement à l'intention de son ennemie, sachant que celle-ci pouvait sans doute encore l'entendre si d'autres dispositifs de surveillance avaient été placés dans la pièce:

    –- Tu ne me raconteras rien du tout, saloperie!... C'est moi qui t'arracherai tous tes secrets, un par un, quand tu m'auras assez longuement suppliée de te laisser parler...

    Presque aussitôt, Sudaj Lenks commença à ressentir un léger vertige, et à éprouver des difficultés à respirer. Constatant la défaillance de son camarade galarien, Andrak consulta rapidement l'application d'analyse environnementale de son Omnitech, clamant presque aussitôt au travers du local de confinement:

    –- Mettez vos respirateurs, vite! Ils sont en train de réduire le niveau d'oxygène dans la pièce! Juste de quoi nous faire perdre connaissance, sans nous tuer. Je crois que cette Brooks vous veut vraiment vivante, Dame Qoliad...

    Andrak et Damon déployèrent aussitôt sur leurs crânes les casques rétractables de leurs armures, les complétant de leurs visières et respirateurs de manière à en assurer l'étanchéité. Lenks fit de même en frappant deux touches sur la base de son cou, matérialisant ainsi un casque holographique intégral qui enveloppa sa longue tête à cornes. Extérieurement, ce cocon d'énergie parfaitement isolant semblait constitué d'un maillage hexagonal de lumière dorée, assorti aux nombreuses plaques de renfort scintillantes qui couvraient déjà le torse et les membres de l'armure technique de l'Ingénieur galarien. Il s'agissait là de l'un des tout derniers modèles expérimentaux du GSI, que cet ancien agent d'élite était parvenu à se procurer grâce à ses vieux contacts au sein de ce service. Quant aux Asari, leur physiologie leur permettait de se limiter à un masque respiratoire partiel, une simple membrane translucide ne couvrant que le nez et la bouche, que Feylin Adamas et la probatrice Sialan T'Rribas s'empressèrent de chausser.

    Tous ces dispositifs pressurisables étaient censés permettre à leurs porteurs de respirer confortablement, même en l'absence totale d'atmosphère. Mais leur autonomie n'étaient toutefois pas illimitée... Tôt ou tard, les agents du Conseil finiraient par suffoquer, puis par sombrer dans l'inconscience. Et alors, la victoire de Maya Brooks serait totale.

    Seule Guerdan n'avait pas ajusté son appareil respiratoire. Alors que tous dans la pièce s'agitaient de manière plus ou moins confuse, la Spectre était demeurée assise avec une passivité étrangement inquiétante, pistolet toujours en main tandis qu'elle continuait à fixer les restes crépitants d'étincelles de l'écran large devant elle. Avec une lenteur calculée, elle finit pourtant par replacer son arme à la hanche, avant de se lever en repoussant son siège, commençant à gronder avec une rage croissante:

    –- Non... Ça ne se terminera pas comme ça... Ça ne se terminera pas comme ça!...

    Guerdan se tourna alors vers le volet blindé, ne prenant le temps que d'un bref signe des mains pour en écarter ses agents, avant que des brumes d'énergie noire ne commencent à jaillir de ses épaules et de ses bras. Ce qui suivit... fut un spectacle qu'aucun des témoins présents n'oublierait jamais, une manifestation de puissance biotique telle que nul ici n'en avait jamais vue, même chez les combattantes asari les plus légendaires. En moins de trois secondes, le bouillonnement d'ondes bleutées recouvrit l'ensemble du corps de la Spectre, s'amplifiant brusquement en intensité jusqu'à devenir brasier, une flamme verticale qui enveloppa bientôt toute sa silhouette. Poussière et meubles légers s'élevèrent brutalement dans les airs, avant de commencer à danser la sarabande dans toute la pièce. Dame Qoliad semblait à présent changée en une véritable torche vivante, nimbant d'une violente lumière bleue les murs de la chambre forte tout comme les visages sidérés de ses compagnons. Et au milieu de cet holocauste, l'Asari se mit à rugir d'une voix de tonnerre:

    –- ÇA NE SE TERMINERA PAS COMME ÇA !!!


    Même la probatrice T'Ribas, impressionnée, recula prudemment de quelques pas en invitant les agents à en faire de même. Dans un premier temps, rien ne sembla se passer au niveau du volet blindé auquel Guerdan faisait face. Puis progressivement, un rai de lumière bleutée sembla sourdre du centre de la paroi métallique; puis plusieurs autres encore tout autour, finissant par s'unir en un dôme incandescent, un véritable soleil bleu en expansion lente mais continue, dont le flamboiement aveuglant continuait irrésistiblement de ronger micromètre par micromètre la matière pourtant inaltérable de ce blindage. Par contraste, le cœur même de cet astre miniature, que l'on pouvait commencer à discerner au travers du métal fragilisé, semblait rejeter toute lumière autour de lui.

    Cet incroyable retournement de situation ne pouvait avoir qu'une seule explication: Guerdan était parvenue à réaliser l'exploit de créer une microsingularité au cœur même de la plaque d'acier! La Spectre asari aux ressources insoupçonnées venait de concentrer, en un point focal d'une taille inframoléculaire, un différentiel de gravité d'une amplitude incommensurable, sans commune mesure avec ce que peuvent générer d'ordinaire même les biotiques les plus puissants. Les forces mise en œuvre par ce phénomène inédit développaient ainsi une puissance d'attraction proprement inimaginable, à même de disjoindre l'intrication quantique qui unissait entre elles chacune des microparticules de cette paroi inviolable. D'abord l'une après l'autre, puis par pans entiers, celles-ci disparaissaient à un rythme frénétique au cœur de cet infime trou noir. Et tandis que le pouvoir de Guerdan ravageait méthodiquement ce qui avait été l'une des avancées technologiques les plus abouties de Cerberus, la flamme vivante qui enveloppait le corps de la Spectre biotique, ainsi que les soubresauts du terrifiant maelström d'énergie brute qu'elle avait enfanté, continuaient à projeter sur les murs de la pièce teintée de bleu les ombres mouvantes et fantomatiques des silhouettes des spectateurs médusés.

    –- Par la Déesse! murmura Sialan T'Ribas, fascinée par ce déchaînement de puissance absolue.

    Même si aucun mot ne parvenait à franchir ses lèvres tétanisées, la même exclamation de stupeur asari tournait peut-être bien en boucle sous le crâne bleu de Feylin Adamas, littéralement pétrifiée devant ce spectacle hallucinant. Quant à Damon da Costa, qui se tenait alors au côté de Sudaj Lenks, lui aussi fixait la scène dans un état second, les yeux hagards. Tout juste l'Humain parvint-il à bredouiller:

    –- Bordel... C'est... C'est...!
    –- ...dingue?
    compléta le Galarien d'une voix impassible. Oui, j'allais le dire.

    En moins de trente secondes d'une intense concentration, Guerdan eut bientôt dégagé un passage circulaire d'un diamètre suffisant pour que chacun puisse s'y glisser – sauf sans doute Andrak, pour lequel il faudrait manœuvrer la porte une fois de l'autre côté. Le monstrueux globe irradiant commença alors à se résorber, avant de disparaître d'un seul coup, en balayant le local d'une violente onde de choc qui projeta les agents au sol, et qui envoya les meubles et objets en suspension se fracasser contre les murs. De ce phénomène dantesque, qui l'instant d'avant semblait capable de replier tout le volume de la pièce dans l'espace-temps, ne subsistaient plus que quelques éclairs bleutés grésillant encore sur les bords de l'ouverture béante pratiquée dans le blindage. C'est d'un seul coup également que s'éteignit le brasier qui semblait consumer Dame Qoliad: seules quelques flammèches bleues persistèrent très brièvement à danser sur ses épaules. La Spectre vacilla un instant sur ses chevilles, avant de s'effondrer sur place comme une marionnette dont on aurait coupé les fils, et de demeurer au sol sans connaissance.

    –- Guerdan !!

    Écartant vivement Sudaj Lenks, pourtant l'infirmier attitré de l'équipe, Feylin Adamas se précipita au chevet de son aînée, se laissant glisser sur un genou pour venir se placer à hauteur du corps étendu à même le sol. Paniquée, l'Asari se mit à rechercher de manière éperdue un pouls, une respiration, une réaction des pupilles qu'elle ne parvint pas à trouver. En se penchant, elle finit pourtant par percevoir un très faible gémissement en provenance des lèvres serrées de sa congénère inerte:

    –- J'espère qu'il te reste encore du 'Loukoum de Serrice'... Je crois que je suis complètement vidée...

    La jeune chasseresse soupira d'aise, avant de tourner un visage rayonnant vers ses compagnons afin de les rassurer; les mots lui faisant défaut, elle ne put que pointer en l'air un pouce tremblant d'émotion, souligné d'un large sourire. Un concert de rires nerveux mais soulagés accueillit le retour à la vie de l'increvable Spectre asari. Feylin tira de son ceinturon une barre énergétique, qu'elle glissa entre les lèvres de Guerdan encore grelottante d'épuisement. Les nutriments solubles firent rapidement effet, et la Spectre commença à mastiquer avec un appétit croissant. Elle finit par se relever avec l'aide de Feylin et Andrak, encore peu assurée sur ses jambes dans un premier temps. La probatrice T'Ribas fit également boire à son ancienne élève le contenu d'un petit tube empli d'un liquide violacé, qui acheva visiblement de la revigorer.

    Pendant ce temps, Lenks fut le premier à passer la tête au travers de la brèche circulaire ouverte par Guerdan, après que Damon eût consulté son scanner de poignet, et l'ait assuré de l'absence de toute menace l'attendant dehors. Le Galarien acheva bien vite d'extraire toute la longueur de sa carcasse filiforme, se rétablissant sur ses pieds au milieu du couloir par lequel l'équipe était arrivée dans ce traquenard. Une fois à l'extérieur, ce fut un jeu d'enfant pour l'Ingénieur émérite que de trouver un point de connexion accessible, proche de la porte, puis de le pirater depuis son Omnitech. Les dommages critiques subis par le volet blindé empêchèrent ses panneaux de se rétracter en totalité, mais l'ensemble des agents emprisonnées put néanmoins quitter la sinistre chambre forte de Cerberus. Marchant en tête, Guerdan semblait avoir pleinement recouvré son équilibre et ses facultés.

    À peine sorti, Damon se hâta de déployer son fusil de précision, puis de se poster genou à terre tout contre un des murs de métal noir de la galerie, tenant en joue l'angle du couloir situé devant lui:

    –- 'Faudrait voir à pas trop traîner par ici! lança-t-il sans dévier sa visée. Dès qu'ils donneront l'alerte, il ne faudra pas plus longtemps pour qu'il nous converge du brutal droit sur le dos...» Les échos d'une alarme sonore lointaine retentirent à ce moment sous le plafond bas des galeries obscures, arrachant un soupir fataliste au Sniper humain: «...Et voilà, qu'est-ce que je disais?...

    Guerdan glissa vivement deux doigts entre ses lèvres et émit un sifflement suraigu, bref mais violent: un signal de ralliement propre aux soldats de métier de l'Alliance, que la Spectre asari avait fini par adopter après avoir souvent vu Damon l'exécuter. Une fois ses troupes rassemblées autour d'elle, Dame Qoliad exposa son plan de bataille de manière rapide et concise:

    –- Feylin, Damon, Andrak et Lenks: tous les quatre, vous allez remonter vers la baie d'amarrage, en empruntant une autre voie que celle par laquelle on est arrivés; et là, vous tâcherez de reprendre possession du Citadel, et de sécuriser la position! Piratez ce que vous pourrez pour demeurer invisibles jusqu'au moment de frapper. Si vous pouvez dézinguer la Drelle au passage, c'est tout bonus; mais gaffe: c'est une vicieuse! Une fois à bord, utilisez l'ansible pour prévenir la Citadelle de ce qui se passe réellement ici, et pour demander l'envoi d'une flotte de secours de l'Alliance: le brouillage de la station ne pourra pas bloquer cette transmission. Feylin, tu prendras la tête du groupe; je te transfère mes codes prioritaires de Spectre, pour obtenir une liaison directe avec le Conseil...

    La jeune Asari vérifia brièvement la réception des codes sur son Omnitech, avant de demander d'une voix légèrement inquiète:

    –- Et toi-même, où seras-tu? Et la probatrice T'Ribas?

    Guerdan échangea un regard complice avec la probatrice à côté d'elle, avant de poursuivre avec un sourire troublant:

    –- De notre côté, ma vieille Sialan et moi, on va aller semer le boxon comme à la grande époque! On tentera d'aller choper Brooks par la voie directe, en faisant en sorte de rabattre un maximum de ces salopards sur nous pour vous dégager la route...» La Spectre balafrée passa alors son bras autour de l'épaule de la vénérable probatrice, un peu surprise de la familiarité du geste: «...Croyez-moi, si cette foutue donneuse de leçons, toute coincée du cul qu'elle est maintenant, vaut encore seulement la moitié de ce qu'elle a été quand je l'ai connue chasseresse, on va répandre la panique comme une pluie d'aiguilles dans une réunion de Volus – soit dit sans offense pour les Volus, bien sûr... Bon, tout est clair pour vous?

    Un murmure d'assentiment général parcourut le petit groupe. Satisfaite, Guerdan arma son fusil Séide dans un claquement sec, avant de lâcher d'un ton résolu son ultime mot d'ordre:

    –- Personne ne me vole mon vaisseau!

    [...]

    ______________________________

    (1) Anthropy était l'organisation affrontée par notre équipe lors de la saison précédente: Unité N°1: A Mass Effect Story

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  • Épisode 11: Retour de flamme

    Secteur du Nexus d'Hadès – Système Alcas – Orbite du planétoïde Alcas Minor –
    Station d'Alcastarz, colonie pénitentiaire de l'Alliance passée à l'ennemi –
    Couloirs d'entretien vers la baie d'amarrage principale

  • -– Bon sang, Feylin! grogna Damon en abaissant son pistolet lourd devenu inutile. Tu sais que j'aurais très bien pu me charger de ces deux-là sans aucun problème...
    -– Je n'en doute pas
    , répondit joyeusement l'Asari en battant l'une contre l'autre ses paumes encore frissonnantes d'énergie noire. Mais là vois-tu, j'avais vraiment trop besoin de me défouler un peu!

    Deux mécas FENRIS, bien mal inspirés, venaient de tenter de charger le quatuor d'agents fugitifs au détour d'un couloir. Il n'en restait plus à présent que deux épaves grésillantes, après que Feylin eût déchargé toute la colère et la frustration accumulées au cours de cette dernière heure, sous la forme d'une violente Onde de choc biotique qui avait balayé toute la longueur de la galerie. Tandis que Damon passait à la hauteur des restes fumants des deux quadrupèdes cybernétiques retournés sur le dos, le natif terrien qu'il était nota avec amusement que l'un d'entre eux persistait à gratter stupidement l'air au-dessus de lui d'une de ses pattes avant, ainsi que l'aurait fait l'un des canidés de son monde d'origine en signe de soumission.

    -– Il y a pas moins de deux cents mécas LOKI sur cette station, murmura Andrak tandis qu'il passait à son tour à côté des deux épaves de FENRIS. On n'a pas fini de voir débouler de la ferraille humanoïde! Et je ne parle même pas des mécas YMIR, que je n'ai aucune envie d'affronter dans des galeries aussi étroites...

    Le petit groupe reprit sa marche oppressante au travers de ces corridors obscurs. Le lieutenant-major Damon da Costa avançait en tête à pas mesurés, Carnifex au poing et détecteur de présence en alerte, avec Sudaj Lenks sur ses talons. L'Ingénieur galarien, quant à lui, consacrait exclusivement ses scans réguliers au repérage de certaines interférences, typiquement révélatrices de la proximité de dispositifs de surveillance – dispositifs qu'il s'attachait alors consciencieusement à leurrer l'un après l'autre, avant que le groupe ne puisse progresser à nouveau. Feylin Adamas suivait le mouvement, sans arme en mains, mais prête à déchaîner à nouveau sa puissance biotique à la demande, tandis qu'Andrak Atkoso'dan, le grand chasseur de primes butarien, fermait la procession en veillant sur leurs arrières. À un moment donné, la jeune Asari se porta à la hauteur de son ami humain pour lui murmurer:

    -– Hé, Damon! Tu as pu entendre ce que Guerdan m'a répondu, quand je lui ai donné mon avis sur sa mission de diversion avec Sialan T'Ribas, sur le risque insensé de tenter rien qu'à elles deux d'attirer toutes les forces armées d'Alcastarz droit sur elles?

    Le soldat de l'Alliance répondit à voix toute aussi basse à Feylin, tandis qu'il vérifiait un angle du couloir:

    -– Ouaip. Texto, elle t'a sorti: «Quoi, une probatrice et une Spectre asari contre toute une armée de crevards de chez Cerberus? T'as raison, va, c'est clairement pas un combat à armes égales: ces pauvres bâtards n'ont pas l'ombre d'une chance!» Pas à dire, Ardat-machin ou pas, c'est bien toujours la même sacrée vieille collectionneuse de scalps!...


    La Spectre et la probatrice semblaient effectivement tenir leurs promesses et rameuter toutes les forces vives du pénitencier vers elles, car l'équipe ne croisa la route d'aucun autre parti adverse après la rencontre avec les deux mécas FENRIS. Aux abords d'une nouvelle section de galeries, Damon adressa un signe convenu à ses compagnons derrière lui: Andrak prit à son tour la tête de la formation, avec son fusil Chasseur pointé droit devant lui. Profitant de la courte pause, l'Humain reprit ses échanges de vues avec Feylin, sans que le volume de sa voix s'élevât au-dessus d'un murmure:

    -– Au fait, explique-moi un peu: c'était quoi, ce truc qu'on a vu tout à l'heure avec Guerdan, la porte blindée, tout ça...? J'avais déjà vu des Asari user de pouvoirs biotiques sacrément balèzes, mais là...! C'était juste dément!

    L'Humain ne put voir le rictus de la jeune chasseresse derrière lui lorsqu'elle lui répondit: le sujet des Ardat-Yakshi la mettait toujours terriblement mal à l'aise.

    -– On dit... Hum, on dit que les Ardat-Yakshi deviennent plus puissantes à chaque rapport fusionnel où elles dévorent la vie de leur partenaire. D'où leur addiction, d'ailleurs... Alors tu imagines Guerdan, avec ses 600 ans! Ceci dit, je ne l'avais encore jamais vue faire montre d'un tel pouvoir; je suppose qu'elle devait se restreindre en notre présence, depuis qu'elle a été mise à la tête d'une unité spéciale. Mais je comprends mieux maintenant certains des succès qui ont fondé sa légende, lors de missions réputées impossibles qu'elle avait remplies en tant que Spectre solo... De celles où il ne restait aucun témoin en vie pour raconter comment tout s'était déroulé...
    -– Jeeeeuh vois
    , acquiesça Damon d'un ton peu convaincant. Bon, ben... C'est une bonne chose qu'elle soit de notre côté, alors!...

    Le groupe aborda bientôt une nouvelle portion de galeries, un peu plus larges. Sudaj Lenks y avisa tout à coup un petit poste de contrôle vitré, enchâssé dans la paroi, et tout aussi désert que les couloirs que les agents venaient de parcourir. Semblant faire fi de toute précaution, l'Ingénieur galarien quitta aussitôt son poste dans le groupe pour s'avancer d'un pas rapide en direction du réduit, sous les regards stupéfaits de ses compagnons:

    -– Aaaah... Voilà juste ce que je cherchais...!

    Un bref passage de son Omnitech devant la petite porte coulissante suffit pour lui donner accès au local de sécurité. Tandis que les trois autres agents se rapprochaient – avec davantage de prudence que n'en avait montré Lenks! –, ce dernier activait l'interface holographique de la console de service. Après quelques recherches rapides, son visage s'éclaira, et son débit vocal s'accéléra très nettement, signe habituel chez lui d'une grande excitation intellectuelle:

    -– Parfait: console possède accès au réseau général de la station. Permet mise à jour en temps réel des systèmes de sécurité, si nouvelles instructions reconnues recevables et conformes aux protocoles permanents. Concerne toutes les IV de la station, mécas aussi...
    -– Oui, bon, et alors?
    intervint nerveusement Feylin.

    La jeune Asari paraissait aussi mal à l'aise avec l'ambiance sinistre de ces corridors froids et obscurs, qu'avec la menace insidieuse des puissantes forces ennemies qui continuait à peser tout autour d'eux. À l'inverse, Lenks, lui, semblait presque extatique lorsqu'il reprit le cours de ses pensées à voix haute:

    -– Vous avez noté faible diversité des fournisseurs matériels militaires sous IV en dotation dans cette prison de l'Alliance? Mécas LOKI: fantassins de base fabriqués par Corporation Hahne-Kedar! Mécas FENRIS et drones légers: Hahne-Kedar! Même gros mécas YMIR: Hahne-Kedar aussi!
    -– Par pitié, Sauterelle!
    gémit presque Damon. Où tout cela nous mène-t-il?!

    Il y avait vraiment des moments où le vétéran N7 aurait encore préféré endurer un récital de poésie hanari déclamée par des duettistes elcors, plutôt que l'un de ces interminables monologues hermétiques si chers à l'Ingénieur galarien... Celui-ci passa outre à l'interruption impatiente de son camarade humain, poursuivant avec enthousiasme:

    -– Voici vingt ans, une chaîne de montage de mécas militaires de Corporation Hahne-Kedar sur monde de Capek, Nébuleuse du Titan, a subi contamination par virus rendant IV instables, paranoïaques, meurtrières. Totalité des personnels organiques de l'usine massacrée par mécas. Lourdes pertes collatérales ailleurs, du fait dissémination des IV infectées sur station de recherches Jarrahe, cargo MSV Corsica, et j'en passe... Gros scandale à l'époque! Depuis, Hahne-Kedar a installé en série système d'autodestruction par détonation sur ses modèles, activable par téléchargement d'instructions codées. Fonctionnalité tenue secrète, bien sûr. Or, – Hi-hi-hi! – je dispose justement ici des encodages confidentiels de commande déclenchement autodestruction! "Trouvés" dans les serveurs "sécurisés" [Lenks matérialisa visuellement les guillemets à l'aide des longs doigts de ses deux mains] du siège même de Corporation Hahne-Kedar, sur Elysium. Ancienne mission d'infiltration pour GSI, que je vous raconterai peut-être un autre jour... Ou pas!

    Le Galarien gloussait encore tandis qu'il pianotait à une vitesse hallucinante sur le clavier virtuel disposé devant lui. Il passa une nouvelle fois son Omnitech au-dessus de la console, pressa une dernière touche holographique sur son poignet, avant de se retourner vers les autres agents avec un sourire satisfait, son index filiforme dressé dans les airs:

    -– Bien. Entré... confirmé... envoyé... Eeeeet...!

    Un fracas inquiétant s'éleva brusquement au loin, un grondement continu qui se répercuta et remonta toute la longueur des couloirs de la station jusqu'à nos agents. À mesure que ce roulement de tonnerre enflait et se rapprochait d'eux, ceux-ci purent commencer à le décomposer en une multitude d'explosions distinctes. Quelques hurlements, brefs mais stridents, percèrent également par-dessus ce tumulte d'apocalypse. Lorsque enfin la terrifiante onde sonore fut passée, on n'entendit plus résonner dans les couloirs que les cris de douleur distants d'un blessé, et les appels de détresse paniqués d'un autre Humain, peut-être aux côtés du premier. Sudaj Lenks rayonnait de triomphe:

    -– Voilà. Finis, les mécas! J'espère que nombreuses troupes ennemies se trouvaient à proximité lors des déflagrations. Hé hé! Fortes pertes en termes effectifs et cohésion nous aideraient bien à progresser...
    -– Mouais
    , bougonna Andrak. Moi, j'espère juste que ni Dame Qoliad, ni la probatrice T'Ribas ne se trouvaient engagées en combat rapproché contre une de ces ferrailles sur pattes, lorsque tu les as faites détoner!

    Les yeux de l'Ingénieur galarien s'élargirent brusquement, dans le même temps où les coins de sa bouche s'affaissèrent:

    -– Oupsss...! Paramètre non pris en compte; désolé. J'espère que tu as raison...

    La petite unité concilienne reprit ensuite sa progression, à présent libérée du poids de la menace de toute une armée synthétique autour d'eux. Au sortir de la galerie, les agents croisèrent les carcasses disloquées et encore fumantes d'un groupe de six mécas LOKI; puis un peu plus loin, alors qu'ils abordaient une sorte de large placette octogonale au carrefour de quatre couloirs, ils tombèrent sur les restes éparpillés aux quatre vents de ce qui avait été un méca YMIR, un véritable cuirassé terrestre à la formidable puissance de feu, dont ils auraient eu bien du mal à venir à bout sur un tel terrain. Andrak, Damon et Feylin ressentirent une brève bouffée de gratitude envers leur ami Lenks, lorsqu'ils reconnurent au sol le redoutable canon automatique de bras de la terrifiante machine de guerre bipède, auquel ils auraient dû faire face sans le génie du Galarien.

    Trois corps bien abimés gisaient également parmi les débris et pièces détachées de l'YMIR: trois combattants ennemis qui avaient été pris dans le rayon de l'explosion, au moment où Lenks avait déclenché l'autodestruction des mécas. Il s'agissait là de détenus, à en juger par leurs combinaisons de plastique rouge vif. Depuis que Maya Brooks avait uni sous sa poigne gardiens et prisonniers d'Alcastarz pour en faire le socle de son armée nouvelle, il est bien évident que le cloisonnement théoriquement hermétique de la station entre aile administrative et quartier de détention n'avait plus lieu d'être. Par contre, les adversaires que les quatre agents auraient à affronter lors de la recapture du SSV Citadel, seraient probablement les soldats de métier bien équipés qu'ils avaient vus s'emparer du vaisseau, tandis qu'eux-mêmes étaient maintenus prisonniers, impuissants.

    Feylin revérifia rapidement le bon fonctionnement de son communicateur: hélas, toujours pas de nouvelles de Dame Qoliad ni de la probatrice T'Ribas...

    Restant sur leurs gardes, les quatre agents poursuivirent ainsi jusqu'à proximité de la grande salle de transit par laquelle ils étaient arrivés, seul point d'accès au quai où était amarré le SSV Citadel. Ils avaient toutefois pris soin, par prudence, d'y revenir par un couloir latéral secondaire, différent de la galerie principale qu'ils avaient empruntée à leur arrivée.

    -– Toujours personne jusqu'à maintenant, nota Damon. Les gardiens sont probablement encore à bord du Citadel, avec l'équipage. Quant aux forces mobiles de Brooks, elles doivent être lancées sur la trace de Guerdan et Sialan. Ils n'auront sans doute laissé que quelques arrière-gardes et défenses statiques. Si on a de la chance, il ne s'agira que de simples tourelles de défense sous IV autonomes, rien d'insurmontable...
    -– Et si on n'a pas de chance?
    demanda Feylin en plissant le front.
    -– On n'a pas de chance! confirma gravement Andrak qui venait de s'arrêter net, les yeux fixés sur son scanner de poignet.

    Le diamètre impressionnant de l'unique point rouge qui occupait le centre de la salle de transit, sur l'écran que le Butarien montra à ses compagnons, ne laissait aucun doute sur la masse, et donc sur la nature de l'adversaire: tous les mécas YMIR étant désormais hors de combat, il s'agissait là de toute évidence du méca Atlas, prise de guerre sur Cerberus, qui figurait très officiellement sur les états du matériel de la station. Ce vieil engin piloté, dépourvu d'IV, n'était naturellement pas concerné par les mesures de sauvegarde prises par Hahne-Kedar après la Guerre, et qui venaient d'être fatales à tous les autres mécas d'Alcastarz.


    Le brouillage continu émis par Lenks permettait d'étouffer les communications ennemies, et d'empêcher le repérage précis de l'écho des agents dans l'aire qu'il couvrait. Toutefois, cette même aire d'interférences avait l'inconvénient, justement, de prévenir de la proximité d'un brouilleur d'ondes! Le pilote de l'Atlas était donc parfaitement informé de la présence de forces hostiles en approche. Heureusement, trois couloirs distincts convergeaient dans la salle de transit, et le brouillage de Lenks empêchait l'ennemi de présumer duquel des trois allaient bien pouvoir déboucher les intrus..

    -– Il va falloir aller l'engager à découvert, sur son terrain, constata Andrak avec regret. Il n'est même pas envisageable de rester ici et de lui tirer dessus depuis l'abri de ce couloir: entassés comme on est dans un espace clos aussi étroit, c'en sera fini de nous tous à la première roquette qu'il nous balancera!

    Damon da Costa décrocha de son ceinturon une paire de petits disques renflés, lisérés de brun: des grenades standard de l'Alliance, sécables au moment du lancer en cinq sous-munitions couvrant une bien plus vaste surface:

    -– Un bon magicien n'entre jamais sur scène sans quelques fumigènes sur lui! Je vais en placer un à la sortie de notre couloir, et balancer l'autre à travers la salle vers l'entrée du couloir opposé. Comme ça, ce filho da puta ne pourra pas deviner tout de suite par laquelle des deux portes nous allons déboucher, ce qui devrait nous laisser le temps de nous disperser et de trouver des abris d'où le flanquer.
    -– Damon
    , intervint Lenks, j'ai souvenir très précis de cette salle. Ne me rappelle pas de beaucoup d'abris; aucun capable de soutenir les tirs d'un Atlas.
    -– Je sais, Sauterelle
    , soupira le soldat. Alors il nous faudra rester mobiles, tirer parti de la lenteur de ses déplacements, le harceler de tous côtés, jusqu'à ce qu'on ait trouvé sa faille. Bon, vous êtes prêts? Feylin, okay? Alors lancer dans trois... deux...

    L'Humain s'était avancé à quatre pas de la sortie du couloir: à son propre signal, il laissa glisser l'une des grenades devant lui, et projeta la seconde en direction de l'entrée de l'autre galerie en face, sur laquelle il bénéficiait d'une vue bien dégagée. Deux nuages d'une fumée brune lourde et persistante se déployèrent assez rapidement à l'entrée des deux couloirs opposés. Comme l'avait prévu Damon, l'ennemi n'avait aucun moyen de présumer duquel des deux nuages allait bien pouvoir émerger la menace: au travers de l'écran de fumée qui leur masquait à présent l'accès à la salle de transit, nos agents purent percevoir le vacarme du piétinement de l'énorme machine d'assaut se retournant nerveusement de part et d'autre.

    En désespoir de cause, le pilote humain en était réduit à lâcher alternativement de courtes rafales au jugé, au travers de l'un puis l'autre nuage. Il allait donc falloir choisir le bon moment pour ne pas se ruer sur le terrain au beau milieu d'une averse de balles! Feylin laissa volontiers Damon seul juge de ce moment: l'officier N7 était en effet reconnu comme le meilleur tacticien de l'Unité N°1 en l'absence de Guerdan, le plus apte à diriger une équipe en situation de combat. La paume gauche relevée, l'Humain s'avança en tête de groupe jusqu'au débouché du couloir, en bordure de l'écran de fumée brune. Puis alors que le ronronnement des lourds vérins de l'ennemi baissait en intensité sonore, il abattit brusquement son bras en lançant un vif:

    -– Go! Go! Go!

    Comme un seul homme, les quatre agents traversèrent l'écran de fumée au pas de course, avant de se disperser dans la salle de transit. Feylin et Lenks, les membres de l'équipe les plus véloces et les moins lourdement équipés, s'arrangèrent pour se croiser dans le champ de vision du pilote de l'Atlas, de façon à attirer les premiers tirs sur eux et à permettre à leurs compagnons Andrak et Damon, bien mieux armés, de se placer dans une position de tir efficace. Feylin fut la première à essuyer le feu du méca lourd, et dut puiser dans ses ressources biotiques pour accélérer sa course et déjouer la visée du pilote ennemi. Fort heureusement, il était douteux que l'armée ultra-humaniste de Maya Brooks ait fait optimiser le logiciel d'acquisition des cibles du monstre d'acier par un quelconque ingénieur quarien – une pratique assez répandue chez bien d'autres organisations criminelles. Sinon, l'Asari aurait grandement risqué d'y laisser ses deux belles jambes!

    De son côté, Lenks, sans ralentir sa course, avait d'abord lancé depuis son Omnitech une Surcharge sur son volumineux adversaire, parvenant à affaiblir ses puissants boucliers sans pourtant les neutraliser tout à fait. Puis une dizaine de mètres plus loin, il tira une micro-charge détonante de son pistolet Scorpion, en direction de l'énorme machine de guerre. L'idéal aurait bien sûr été d'atteindre la canopée translucide située à l'avant du méca, derrière laquelle on pouvait voir le pilote s'activer sur ses commandes: bien que faite d'un matériau composite spécialement renforcé, cette verrière était reconnue comme le principal point faible de l'Atlas. Mais le Galarien préférait prudemment ne pas se retrouver directement en face de la redoutable machine de guerre, dans l'arc de tir de son puissant canon de bras!... La micro-charge adhésive à basse vélocité franchit néanmoins sans encombre les barrières cinétiques de l'Atlas, pour venir s'accrocher à la jointure de son bras gauche – celui pourvu d'une pince. L'explosion suffit à neutraliser ce membre mécanique, qui demeura pendant sur le côté, inerte, et déséquilibrant quelque peu l'assiette de l'Atlas.

    Sur les arrières du méca, Andrak avec son fusil Chasseur, et Damon avec son pistolet Carnifex, arrosaient pour l'heure au jugé l'énorme silhouette blindée, dans le seul but de parvenir à abattre enfin ses boucliers. Ceux-ci semblaient pourtant d'une endurance à toute épreuve, car les tirs nourris des deux agents s'écrasaient invariablement sur cette barrière cinétique, en produisant toujours les mêmes impacts superficiels bleutés. Le pilote de l'Atlas finit par se décider à faire pivoter sa machine vers cette nuisance. Son premier tir fut pour Damon: celui-ci se déplaçait de côté en pas chassé tout en changeant la cartouche thermique de son arme, lorsqu'il vit une roquette fuser vers lui. L'Humain parvint de justesse à esquiver le gros de l'explosion par une roulade latérale; mais le souffle le projeta néanmoins contre une des parois de la salle de transit, le laissant au sol, assommé.


    -– Damon!

    Face à cette nouvelle situation, le sang d'Andrak ne fit qu'un tour. Il avait déjà prouvé sur Digeris de quelle abnégation, de quelle témérité forcenée il était capable lorsque l'un de ses nouveaux frères d'armes se trouvait en danger de mort. Et là encore, voyant Damon à terre, il n'hésita pas: lâchant aussitôt son fusil, il se rua droit vers la verrière faciale du méca, et en seulement quatre enjambées, il fut au contact direct de sa cible avant que le pilote ait pu rectifier sa visée. Le colosse butarien empoigna fermement à main gauche une cavité situé sous la canopée, et pour se rehausser et mieux assurer sa prise, plaça son pied sur l'entrejambe blindé de l'engin d'assaut. Ainsi positionné, Andrak tira son pistolet lourd Paladin et en colla la gueule tout contre la verrière, déjouant ainsi les boucliers cinétiques qui protégeaient encore le méca. Le Butarien n'eut cependant le temps de placer que deux des trois tirs tolérés par la cartouche thermique de son arme, avant que l'Atlas ne parvienne à l'éjecter d'un puissant revers de son bras mécanique, l'envoyant rejoindre Damon au sol, tout aussi groggy que lui.

    L'audace insensée d'Andrak était pourtant parvenue à fragiliser suffisamment la canopée de l'Atlas pour que Feylin puisse en venir à bout d'une puissante Déchirure biotique: le flux bleuté passa les barrières cinétiques de l'engin et fit voler sa verrière en éclats, blessant et désorientant le pilote, et endommageant ses commandes. Dans le même temps, Lenks, situé derrière la machine, avait pu placer une autre micro-charge de son Scorpion droit dans l'œil flamboyant de la petite turbine à ailettes située dans le dos du méca – l'autre point faible de ce formidable blindé bipède. L'action conjuguée des deux derniers combattants encore debout mit enfin un terme à cet affrontement épique: l'Atlas se redressa et commença à convulser, avant d'exploser bruyamment en dispersant en tous sens débris et fragments. Feylin et Lenks n'eurent que le temps de se plaquer au sol tandis que les plus grosses pièces du méca fusaient et rebondissaient sur les murs de la salle de transit.

    -– Notre premier Atlas! gémit Damon qui émergeait péniblement, en ôtant son casque de son crâne douloureux. Et Guerdan n'était même pas là pour voir ça!
    -– Oh, pas d'inquiétude: j'ai tout enregistré, bien sûr!
    se rengorgea fièrement Lenks, qui une fois encore semblait n'avoir pas compris le second degré de la plaisanterie de l'Humain.

    Lenks inclina la tête d'un air perplexe lorsqu'il vit Damon, toujours allongé au sol, commencer à partir dans un fou rire d'une intensité croissante. Peu de chances pourtant que cela eût quoi que ce soit à voir avec le contrecoup de la commotion reçue, pour ce que l'infirmier galarien savait de la physiologie humaine. L'hilarité gagna peu à peu Andrak, ainsi que Feylin qui s'était affalée à côté des deux vétérans à terre, laissant Lenks debout dans l'embarras le plus total. Ce moment de jubilation partagée fit presque autant de bien à l'équipe que le sentiment de la victoire qu'elle venait de remporter de haute lutte. Ce n'était peut-être pas superflu: le plus dur restait sans doute encore à venir pour nos héros...

    [...]

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  • Épisode 12: Frappe furtive

    Secteur du Nexus d'Hadès – Système Alcas – Orbite du planétoïde Alcas Minor –
    Station d'Alcastarz, colonie pénitentiaire de l'Alliance passée à l'ennemi –
    Vers la frégate SSV Citadel, bloquée à quai sous contrôle armé



  • Andrak, Damon, Feylin et Lenks prirent encore le temps de récupérer un peu de leurs contusions et de leurs efforts, assis ou allongés dans la salle de transit, au milieu des débris fumants de l'énorme méca d'assaut qu'ils venaient de pulvériser. Ensuite seulement, l'Ingénieur galarien put se consacrer au piratage de la porte du sas donnant directement accès à la baie d'amarrage principale – sans bien sûr laisser aucune trace de son intrusion. La silhouette rassurante du SSV Citadel toujours à quai fut la première chose qui sauta aux yeux des membres de l'équipe, dès qu'ils atteignirent les docks. Les lignes majestueuses de la frégate de classe Normandy se découpaient si harmonieusement sur le fond scintillant de la ceinture d'astéroïdes visible derrière le champ de confinement, qu'un tel spectacle aurait été de nature à couper le souffle d'individus moins blasés que nos agents.

    La seconde chose que virent ceux-ci, toutefois, ce fut un piquet de garde ennemi posté sur le quai à l'entrée de la passerelle d'accès au vaisseau: trois hommes armés, des gardiens renégats d'Alcastarz toujours revêtus des armures intégrales bleu nuit des forces de l'Alliance. Heureusement, ils ne semblaient pas avoir aperçu les nouveaux venus, qui s'étaient immédiatement plaqués à couvert derrière un parapet du quai. Feylin avait eu le temps d'estimer leur distance à l'avant-poste ennemi à environ 120 mètres, soit à peu près toute la longueur du quai: bien trop loin pour la plupart des armes en possession du petit groupe, à l'exception du fusil de Sniper de Damon. En outre, les sentinelles avaient la possibilité d'aller s'abriter derrière une sorte de petite barricade improvisée faites de caisses, racks, et autres bobines de câbles. Après une rapide évaluation de la situation, l'Asari se retourna vers l'Ingénieur de l'équipe:

    –- Lenks, tu pourrais brouiller leurs communications?
    –- Efficacité à cette distance? Mm, limite, mais faisable!
    répondit brièvement le Galarien.
    –- Damon, poursuivit l'Asari en se retournant vers son ami humain, la cartouche thermique de ton fusil Veuve Noire a bien une tolérance de trois coups, oui? Tu penses pouvoir descendre ces trois-là avant qu'ils ne réagissent?
    –- Hey, ce n'est pas une arme à tir rapide, mon cœur!
    protesta le Sniper tout en dépliant le lourd fusil de précision qu'il venait de détacher du dos de son armure. Quand bien même j'utiliserais le tout dernier mod Silencieux que je viens d'installer – un bijou! –, le temps que j'en allonge un, et les deux autres auront déjà eu tout le loisir de piger et de se mettre à couvert, sans qu'on n'ait aucun moyen de les déloger... Oh, j'aurais pu facilement les aligner tous les trois d'un coup, si j'avais emmené mon lance-grenades. Seulement voilà, il a fallu qu'on s'équipe léger avant de partir! Soi-disant qu'il ne fallait pas effaroucher ces pauvres matons, tu te souviens?
    –- Eh bien on va tenter autre chose
    , répliqua Feylin sans se démonter. Lenks, envoie-leur donc un de tes drones: je te fais le pari que dans le doute, il ne devrait pas attirer immédiatement leurs tirs, et qu'il pourrait peut-être même parvenir à capter leur attention. Sinon, attends mon signal avant d'activer une aire de brouillage...


    Derrière sa barricade, le chef du petit groupe de gardiens retournés faisait les cent pas, sentant la nervosité ambiante le gagner. C'est que les dernières nouvelles reçues n'étaient pas franchement bonnes: on parlait de deux Asari qui semaient à elles seules un chaos monstre dans l'aile administrative, et apparemment, la totalité des mécas sous IV de la station venait de s'autodétruire, avec pertes et fracas! Trop incroyable pour y accorder réellement foi, mais sait-on jamais?... Plus inquiétant était le fait qu'aucune autre nouvelle n'était parvenue depuis: la liaison avait même été perdue depuis peu avec le méca Atlas qui couvrait l'accès aux quais. Mais le vieux Cole qui le pilotait connaissait sa bête de guerre sur le bout des doigts: si les deux Asari ou l'autre groupe d'intrus tentaient de forcer le passage, ils allaient au devant de gros ennuis...

    Les réflexions de l'ex-gardien pénitentiaire furent brusquement troublées par l'arrivée inopinée d'un petit drone sphérique, ceint d'un halo orangé. Ami, ou ennemi? Dans le doute, les trois hommes se jetèrent à couvert avant l'arrivée des premières rafales. Mais cet invité surprise se contenta de survoler leur position, revenant ensuite sur sa trace pour repartir en sens inverse. L'engin lumineux poursuivit quelque temps encore son ballet inoffensif. S'étant relevés, les gardiens continuèrent à suivre son vol des yeux jusqu'à ce qu'enfin, il se décide à disparaître de l'autre côté de la carlingue du Citadel.

    C'est en activant son Omnitech afin d'envoyer un rapport de contact, que le chef de dispositif réalisa que son communicateur n'ouvrait plus que sur un flot continu d'interférences. Puis un immonde bruit spongieux le fit se retourner juste à temps pour voir le corps d'un de ses hommes rejoindre au sol celui de son camarade. Ensuite... plus rien. Damon s'autorisa un sourire satisfait en éjectant la cartouche thermique surchauffée de son cher Veuve Noire, dont le mod Silencieux avait bel et bien fait merveille. Tandis que le Sniper rétractait et replaçait son fusil de précision sur le dos de son armure, ses trois compagnons étaient déjà en train de s'élancer vers la passerelle d'accès à l'écoutille du Citadel, devant laquelle étaient maintenant étendus trois corps sans vie.

    Les quatre agents vinrent se positionner de part et d'autre du sas d'entrée du vaisseau, là même où s'étaient placées les troupes d'assaut menées par la Drelle Bathyll Rakhtar, moins d'une heure plus tôt. Andrak dérouta une grande partie de l'énergie de son armure de technicien pour arracher les meilleures performances à son scanner, et ainsi parvenir à établir un état de la situation de l'ennemi au travers de la coque épaisse de la frégate:

    –- Aucun écho derrière le sas; aucun mouvement d'ailleurs au niveau du Pont principal. Ennemi et équipage sont apparemment tous regroupés au niveau du Pont intermédiaire, plus précisément dans l'espace central du mess de l'équipage. Vue la masse de leurs armures, je compte huit hostiles. Pour ce qui est de nos gars, une trentaine d'échos immobiles, encore actifs: c'est plutôt bon signe...
    Quelque chose me chagrine, toutefois. Du fait de notre brouillage des communications, ils ont forcément pris conscience de notre présence ici, et de la menace que nous représentons. Pourtant, eux-mêmes ne brouillent pas leurs propres échos! Soit ils ne sont pas équipés pour ça, soit ils commencent déjà à paniquer. J'opterais de toute façon pour le second choix, d'après leurs mouvements désordonnés
    , ajouta Andrak en observant le ballet nerveux des points reportés en rouge sur l'écran de son scanner. Ces matons encroûtés ne sont pas de vrais soldats. Ils me feraient presque pitié...
    –- Et la Drelle, Rakhtar?
    demanda Feylin. Elle portait une armure plus légère, sur les vidéos prises lors de l'assaut...
    –- ...Ce qui ne permet pas de la distinguer pour l'instant
    , confirma le Butarien. Il nous faudra l'acquérir visuellement, au moment même d'engager le combat; pas ce qu'il y a de mieux, mais on n'a pas d'autre option.

    Sous la protection de ses compagnons, Lenks déverrouilla le panneau d'accès au sas de la frégate, après avoir obtenu confirmation qu'il n'était pas piégé. L'opération ne présenta en fait aucune difficulté: les assaillants n'avaient même pas pris la peine de réencoder les protocoles de sécurité derrière eux! Un nouvel indice quant à la médiocrité supposée des adversaires auxquels il allait falloir faire face... Dès qu'ils pénétrèrent sur le Pont principal, au niveau du couloir obscur reliant le poste de pilotage à la passerelle de commandement, les agents eurent le sentiment moins de visiter un champ de bataille que de violer un tombeau. Le silence pesant, la lumière basse des éclairages de secours, et les postures torturées de nombre des corps gisant au sol, donnaient une touche plus lugubre encore à cette exploration déjà bien macabre.

    De multiples traces d'impacts en rafales constellaient les parois en divers endroits du pont. En examinant les environs à la lumière des torches de leurs casques, les agents eurent vite la confirmation que l'ensemble du petit contingent de marines embarqués, cinq hommes et femmes en tout, avait malheureusement péri lors de l'assaut ennemi. Deux membres d'équipage non-combattants faisaient également partie des victimes. Plusieurs de ces dépouilles présentaient des mutilations assez atroces, caractéristiques de frappes biotiques de type Déchirure: l'œuvre de Rakhtar, à n'en pas douter. Point plus rassurant toutefois, les agents dénombrèrent également les corps de six gardiens en armures bleu nuit, abandonnés par les leurs là où ils étaient tombés: autant d'adversaires en moins à affronter.


    Derrière une ultime barricade improvisée, entre la passerelle de commandement et la porte de l'ascenseur, le corps massif du second lieutenant Ksénia Chesnokova, commandante des marines du bord, était affaissé tout contre la cloison, percé de multiples blessures. Mais de toute évidence, elle n'était pas tombée seule: sa dépouille était environnée de celles de pas moins de trois gardiens, vraisemblablement terrassés en combat rapproché au pistolet ou à l'arme blanche. Le casque de l'un d'eux semblait même avoir été traversé de part en part par la frappe directe de l'Omni-lame de poing de la redoutable pugiliste! Le lieutenant avait vendu chèrement sa peau, en véritable marine de l'Alliance...

    Toute vie en elle semblait déjà éteinte, lorsque les agents se rapprochèrent de l'ascenseur. Pourtant, son regard s'anima à nouveau, et sa respiration repartit faiblement, au moment où le faisceau d'une torche éclaira son visage, et où elle reconnut les silhouettes des membres de l'équipe trans'espèce au travers du voile de sang épais qui recouvrait son rude faciès de boxeuse.

    –- Par la Déesse! s'exclama Feylin. Elle est encore en vie!

    Les agents mirent aussitôt genou à terre auprès de la combattante blessée – à l'exception d'Andrak qui maintint une veille prudente sur les environs, fusil Chasseur en mains. L'Humaine n'en avait visiblement plus pour très longtemps. Tentant en vain de lever une main vers les visages amis autour d'elle, la malheureuse parvint tout juste à articuler péniblement:

    –- Lieut'nant Chn...va... au rapporrt... Trrop nombreux... Rien pu fairre... P-prrésente mes exc...

    Les yeux de la valeureuse guerrière de l'Alliance se révulsèrent, alors que son corps se tassait un peu plus contre la paroi. Damon posa trois doigts tout contre sa carotide, puis après un soupir négatif, lui ferma les paupières avec respect.

    Les yeux embués, Feylin se releva en coup de vent pour se diriger vers la petite cabine d'holo-conférence attenante à la passerelle de commandement, juste à côté: c'était là qu'elle pourrait le mieux évaluer l'état de l'ansible du vaisseau, et si elle fonctionnait, lancer le message d'alerte que lui avait confié Dame Qoliad. Se concentrer sur sa mission lui semblait pour l'heure le seul moyen de parvenir à dégager son esprit de toutes ces visions de cauchemar qui l'environnaient. Lenks se releva à son tour afin d'apporter son support technique à l'Asari; mais celle-ci réémergeait déjà du petit local, avec son propre diagnostic:

    –- A priori, l'ansible fonctionne encore; l'ennemi n'a eu le temps d'effectuer aucun sabotage, la Déesse en soit louée. Mais elle reste inutilisable pour l'instant, tant que ce niveau reste privé de courant. Il va falloir descendre réactiver manuellement les consoles de répartition énergétique en salle des machines, au Pont inférieur.

    C'est alors qu'une voix puissante s'éleva du Pont intermédiaire, juste en-dessous, montant depuis l'escalier circulaire qui enserrait le conduit d'ascenseur situé face aux agents, sur toute la hauteur du bâtiment de guerre. Une voix humaine, dure, visiblement habituée à commander, mais où perçaient en ce moment précis des accents de panique et de désespoir. De toute évidence, la voix du chef des gardiens renégats, qui se savaient désormais pris au piège par une unité d'agents d'élite du Conseil:

    –- Ohé! Vous nous entendez, là-haut? On tient vos potes de l'équipage! Bordel, je suis en train de plaquer mon flingue sur la gueule d'un de ces connards! Vous les entendez geindre, là? Alors n'essayez même pas de descendre ici, c'est compris? Sinon, on les bute tous, on arrose dans le tas! Putain, je vous jure qu'on le fait!!

    Feylin, Damon, Andrak et Lenks échangèrent des regards tendus. À compter de ce moment, l'Asari, l'Humain, le Butarien et le Galarien adoptèrent le ton du murmure pour leurs discussions, afin d'éviter d'informer de leurs plans un ennemi si proche d'eux.

    –- Encore une prise d'otages, soupira Damon, blasé. En définitive, rien de bien différent de ce qu'on s'est farci sur Lusia voici seulement quatre jours...
    –- Sauf que sur Lusia, on a lamentablement foiré notre coup!
    corrigea Andrak. Et que là, ce sont des gens qu'on connaît: le commandant Hackett, le timonier Kang...
    –- ...Le docteur Hésap Avidar...!
    compléta ingénument Sudaj Lenks, sans aucune intention malicieuse de chambrer le grand Butarien.
    –- Il va nous falloir un plan, s'avança Feylin. Vite fait, et un rudement bon! Ils ont l'air complètement livrés à eux-mêmes là-dessous, et prêts à tout! Mais il pourrait bien s'agir une fois encore d'un plan tordu de la Drelle pour nous pousser à la faute...

    Damon avait déjà mûri sa décision durant ce bref échange de vues. Posant la main sur la frêle épaule de l'Ingénieur galarien, il lui demanda d'une voix étonnamment égale:

    –- Sauterelle, je suppose que nos amis en bas ont dû piéger l'escalier? Je sais que ça ne te posera aucun difficulté de désamorcer à distance tous leurs petits chausse-trappes minables; alors colle-toi-z'y dès maintenant, okay? Quant à moi, eh bien... Dès que le passage sera ouvert, je vais descendre leur rendre une petite visite, en tâchant de me faire aussi discret que possible!

    Chacun comprit immédiatement le sens de ces derniers mots: Damon était en effet le seul au sein de l'équipe à disposer d'un module de camouflage optique, et à être pleinement entraîné dans son usage. "Entraîné" était d'ailleurs un parfait euphémisme, tant le Sniper humain passait pour un véritable expert dans l'art de se rendre invisible, lorsqu'il lui fallait par exemple passer d'un poste de tir à l'autre. Andrak, bien que formé dans la spécialisation exigeante de Franc-tireur – hybride de soldat et de technicien, aussi doué dans l'emploi des armes lourdes que dans celui de l'Omnitech –, avait quant à lui préféré faire l'impasse totale sur l'usage des systèmes de camouflage tactique: sa corpulence impressionnante ruinait de toute façon par avance toute chance de discrétion de sa part! Le géant butarien intervint d'ailleurs à ce moment, sur une autre spécialisation technique qu'il maîtrisait bien mieux, lorsqu'il vérifia une dernière fois son scanner de poignet:

    –- Au dernier repérage, ils sont toujours huit au niveau du mess, dont six formant une première ligne de feu, et deux autres positionnés à proximité immédiate de l'équipage captif. Plus éventuellement la Drelle: c'est l'inconnue la plus dangereuse de l'équation...
    –- Damon
    , s'interposa Feylin, tu ne peux pas t'aventurer là-dessous sans un plan un peu plus sérieux que: «Je vais descendre leur rendre une petite visite»! Ton impréparation met les otages en danger au même titre que toi-même! Alors comment comptes-tu t'y prendre pour neutraliser autant d'hommes armés en même temps, et assez longtemps pour qu'on puisse descendre te prêter main forte?!
    –- Mm'oui, tu n'as pas tort
    , admit l'Humain. En fait, à la base, j'avais prévu d'utiliser une paire de grenades 'Flash-Bang': neutralisation de masse, sans danger mortel pour les otages... Mais ça risque de tomber à plat si leurs casques sont pourvus de visières opacifiantes. Or, en y repensant, les trois jobards que j'ai étendus là-haut tout à l'heure en étaient équipés...
    –- Oui, eh bien justement, j'ai une petite idée de remplacement
    , intervint à nouveau Andrak, en plongeant sa grosse main dans la musette de cuir attachée à la plaque d'armure de sa cuisse gauche. Mais je vais avoir besoin de l'aide de notre spécialiste en explosifs préféré, quand il en aura fini avec la sécurisation de l'escalier...

    De son côté, Lenks avait déjà repéré et désamorcé ceux parmi les pièges détonants installés par l'ennemi qui étaient à sa porté immédiate. Et il était alors en train de déployer l'un de ses drones et de l'envoyer parachever le travail dans le reste de la section de l'escalier circulaire, en veillant bien à maintenir la petite sphère lumineuse hors du champ de vision des preneurs d'otages du niveau inférieur.

    Une fois son drone récupéré, le Galarien rejoignit bientôt le groupe, où Andrak avait déjà accompli sa part d'ouvrage. Le Butarien put alors détailler son idée à voix basse, avec force gestes. Ce plan risqué emporta l'adhésion enthousiaste de Lenks, mais reçut un accueil bien plus mitigé de la part de Feylin, et surtout de Damon qui aurait à le mettre en œuvre! Le soldat de métier sut cependant s'abstenir d'élever la voix, et finit assez vite par se rallier à l'unique proposition disponible. D'ailleurs, les manœuvres les plus audacieuses étaient toujours celles qui avaient le plus de chances de le séduire! Lenks lui remit donc le fruit de leur travail, à Andrak et à lui-même: quatre objets d'assez petite taille, que Damon disposa sur son ceinturon de manière à y avoir facilement accès. Puis après avoir élevé les deux mains, doigts croisés en un éventuel salut d'adieu muet, le N7 activa son camouflage tactique, disparaissant aussitôt aux yeux de ses compagnons lorsque sa silhouette se fondit dans la pénombre ambiante.

    –- Fais gaffe à toi, Champion! murmura Feylin, sans même savoir si l'Humain était encore présent sur la passerelle.

    De fait, celui qui n'était plus à présent qu'une vague ombre aux contours indéfinissables, était déjà en train de descendre les escaliers, en restreignant et ralentissant toujours davantage ses propres mouvements à mesure qu'il se rapprochait de leur débouché. Au moins, Damon savait pouvoir compter sur l'aire de brouillage générée par Lenks, depuis le Pont principal, pour n'émettre aucun écho sur les détecteurs de l'ennemi. En outre, il n'était pas uniquement équipé d'un module de camouflage optique, mais avait également activé un système d'occultation sonore, qui étouffait efficacement les bruits de sa respiration et de ses pas. Pour autant, l'expert en furtivité qu'il était s'attachait à réduire ceux-ci au minimum. Lorsqu'il pénétra enfin dans le mess, l'homme n'aurait sans doute pas progressé plus précautionneusement s'il avait arpenté les gonades d'un dévoreur endormi...

    Contrairement au Pont principal et à la passerelle de commandement, le Pont intermédiaire bénéficiait encore d'un éclairage complet – ce qui n'allait pas faciliter la tâche de Damon. Tout comme l'avait annoncé Andrak, l'infiltrateur put compter six hommes en armure bleu nuit déployés face à la porte de l'ascenseur et au débouché des escaliers, prêts à allumer tout intrus qui pointerait son nez, plus deux autres en retrait pour maintenir les otages sous contrôle. Ces derniers étaient rassemblés en un groupe compact au centre du mess, assis à même le sol avec les mains sur la tête. Quant aux ex-gardiens, leur état de tension et d'extrême nervosité sautait aux yeux: il allait falloir agir rapidement avant que la situation ne dégénère. Pour le reste, le N7 ne vit aucune trace de Bathyll Rakhtar, l'âme damnée de Maya Brooks; il n'aurait toutefois su dire si cela était rassurant, ou inquiétant.

    Damon nota que les huit fantassins avaient tous abaissé la visière opaque de leur casque: comme il l'avait escompté, ses grenades aveuglantes n'auraient guère eu d'effet sur eux. Pas grave en soi, puisqu'il allait finalement avoir recours au bricolage d'urgence tout droit sorti de l'esprit décidément très inventif d'Andrak Atkoso'dan. En mesurant ses mouvements à l'extrême durant chacune des opérations, il alla donc disposer successivement au sol trois mystérieux dispositifs, en trois points de la salle formant l'arc d'un demi-cercle dont le groupe compact des gardiens serait le centre.

    Une fois achevé son étrange manège, Damon tira son pistolet lourd du logement de son armure, avec une lenteur soigneusement calculée, puis se dirigea à pas de loup vers le groupe des otages assis. Le fantôme circula ainsi au milieu de ses compagnons, de ses amis pour certains d'entre eux, encore insoupçonneux de sa présence salvatrice. Si par malheur un seul d'entre eux bougeait de manière inopportune, pour allonger ses jambes ou détendre ses épaules par exemple, et entrait en contact avec le soldat furtif, l'écran d'invisibilité de celui-ci se désactiverait sur-le-champ, le révélant ainsi en bien mauvaise posture aux yeux de huit adversaires armés! Par chance, les malheureux membres de l'équipage du Citadel étaient maintenus sous une contrainte bien trop sévère pour oser faire le moindre mouvement. La brutalité de leurs geôliers allait bientôt coûter cher à ces derniers.

    Damon se rapprocha du surveillant le plus en retrait dans la salle, pour parvenir enfin presque à son contact direct. Son camouflage tactique se désactiva à l'instant où il pressa le canon de son Carnifex tout contre la carotide de l'homme, au défaut de l'armure – et fit feu. Le tir à bout touchant rejeta violemment la tête de l'infortuné sur le côté, au milieu d'un nuage de sang vaporisé, avant que son corps ne s'affaisse sur lui-même.


    Lorsque les six gardiens et le dernier surveillant se retournèrent, stupéfaits, vers l'homme en armure N7 qui venait de se matérialiser sur leurs arrières, celui-ci ne pointait vers aucun d'entre eux le pistolet lourd qu'il tenait encore à main droite. Non, ce qu'il brandissait au-dessus de sa tête dans sa main gauche, c'était une simple poignée, en laquelle les ex-soldats de l'Alliance reconnurent immédiatement un détonateur à distance! Damon n'adressa qu'un bref regard de défi au chef des renégats, au moment où son pouce pressa le bouton de mise à feu:

    –- Bouffez-moi ça!

    Dans un fracas soudain, l'espace entre Damon et les six gardiens se remplit instantanément d'une densité mortelle de fragments d'acier tranchants. Les trois dispositifs que l'infiltrateur avait placés au sol peu auparavant, et qu'il venait d'activer, n'étaient autres que trois grenades à fragmentation, hâtivement reconverties par Andrak en explosifs à effet dirigé, eux-mêmes synchronisés par Lenks avec l'un des détonateurs à distance que l'Ingénieur galarien portait toujours sur lui. Encore un beau travail d'équipe pour l'Unité N°1! La triple onde de choc assomma et projeta à terre les six gardiens pris dans son rayon, tandis que la grêle de shrapnel qui déferla sur eux abattit d'un coup leurs boucliers cinétiques, sans toutefois parvenir à pénétrer les blindages de leurs armures. Entretemps, Damon s'était jeté contre le dernier surveillant des otages, le renversant et le désarmant avant de tenter de prendre l'avantage sur lui. La lutte au sol n'était certes pas la spécialité du Sniper; mais un N7 est censé briller par sa polyvalence, et le lieutenant-major da Costa semblait plutôt bien s'en tirer...

    Dès que le vacarme de l'explosion leur eût donné le signal, Andrak, Feylin et Lenks, qui piaffaient d'impatience en haut des marches, se ruèrent dans l'escalier circulaire, armes en mains. Avec ses boucliers renforcés, son armure technique lourde, et sa vaste carrure, le gigantesque Butarien était le meilleur choix pour ouvrir la charge – et pour essuyer les premiers tirs, le cas échéant! L'impressionnante Omni-lame flamboyante qu'il avait déployée sous le canon de son fusil Chasseur rendait plus effrayante encore son irruption brutale, à supposer que cela fût nécessaire. Car lorsque les trois agents déboulèrent dans le mess, prêts à faire face à toutes les situations, leurs adversaires en étaient encore à se relever, passablement sonnés. Andrak se décala donc instinctivement afin de laisser le champ libre à Feylin juste derrière lui, l'arme maîtresse du groupe en matière de combat rapproché.

    Malgré le peu d'élan qu'elle pouvait acquérir dans un espace si étroit, l'Asari exécuta aussitôt une Charge biotique dévastatrice droit sur le chef des renégats, identifiable aux galons qu'il portait encore sur les épaulières de son armure de l'Alliance. Le choc renversa celui-ci, déséquilibrant également les hommes à côté de lui. Puis alors que le temps semblait encore suspendu autour de l'Asari, et du soldat propulsé en arrière au ralenti, Feylin lui porta à la face un direct renforcé de puissance biotique, qui fit voler sa visière en éclats. L'instant d'après, elle enchaîna sur une frappe Nova, l'une des plus redoutables attaques de l'arsenal des chasseresses asari, le fruit d'un très long entraînement, convertissant ainsi instantanément toute la puissance de sa Barrière biotique en une vague d'énergie brute qui dispersa en tous sens les Humains rassemblés autour d'elle.

    De son côté, Andrak n'était pas demeuré inactif. Il avait commencé par éliminer d'une courte rafale bien groupée en pleine poitrine l'un des gardiens qui s'était déjà presque relevé. La Nova soulevée par Feylin le bouscula à peine, et ne l'empêcha pas de renvoyer au sol d'un violent Choc neural celui de leurs adversaires qui avait le mieux résisté à la tourmente biotique. Puis en resserrant sa prise sur son fusil, il se jeta contre l'ennemi casqué le plus proche, l'étourdit d'un coup de genou porté à la tempe, et s'assura à l'aide d'une rapide combinaison crosse-baïonnette que celui-ci ne se relèverait plus.

    Lorsque Sudaj Lenks déboucha à son tour sur le champ de bataille, sur les pas de l'Asari et du Butarien, prêt à remplir son rôle d'Ingénieur de soutien... il eut la surprise de se sentir pour une fois totalement inutile! Ses grands yeux virevoltèrent rapidement à droite et à gauche, sans qu'il puisse trouver plus rien à faire. Plus de barrières cinétiques à surcharger, puisque celles des gardiens avaient déjà été réduites à néant; plus d'armes à faire surchauffer, puisque l'ennemi n'était de toute façon plus en état de pouvoir les utiliser. Pas même question d'employer son cher pistolet Scorpion et ses micro-billes détonantes, tant était mince la distance entre Feylin, Andrak, et les gardiens en armures. Le Galarien se contenta donc de regarder ses deux compagnons achever à terre leurs piteux adversaires sonnés et désorientés, à coups d'Omni-lame, de fusil à pompe, et de décharges biotiques. Un carnage impitoyable, laid et sans nom... Pas une seconde il ne vint à l'idée des agents de capturer leurs ennemis vivants. La sécurité absolue des otages exigeait cette mesure; et la mort du lieutenant Chesnokova et de ses marines appelait cette revanche.

    Feylin porta un regard du côté de Damon, qui avait fini par briser la nuque de son propre adversaire au terme d'une lutte au sol acharnée. Tout en reprenant son souffle à demi coincé sous le corps inerte de son ennemi malheureux, le N7 tendit en direction de l'Asari un pouce levé en signe de victoire. Cet affrontement bref mais violent semblait donc enfin achevé, lorsqu'en se retournant, Feylin s'aperçut avec horreur que le chef des gardiens, à qui elle pensait avoir réglé son compte d'une puissante frappe biotique, était encore en état de bouger. L'homme s'apprêtait à déclencher l'explosion sans délai d'une grenade incendiaire, tirée de son ceinturon qui en portait encore bien d'autres! L'Asari croisa le regard déterminé du fanatique au travers de sa visière éclatée: quitte à partir en fumée, il emmènerait les chiens du Conseil avec lui!

    Puis d'un coup, ce visage féroce, que Feylin avait cru un court instant devoir être sa dernière vision de ce monde, explosa littéralement! La grenade lisérée de rouge roula au sol sans avoir été armée... C'était là l'œuvre du commandant Joe Hackett, qui s'était jeté dans l'action en compagnie de quelques autres parmi les otages privés de surveillance. Le capitaine en second du Citadel, qui avait ramassé le fusil Mattock du premier garde abattu à bout portant par Damon, venait de neutraliser la menace d'un tir groupé parfaitement ajusté.

    Après avoir relâché un discret soupir de soulagement, Feylin commença par rejoindre le commandant Hackett, pleine de reconnaissance pour son intervention. L'officier, qui avait déjà reposé son arme, était alors en train d'aider un Galarien âgé à se relever: le professeur Bel Gottras, l'ingénieur en chef du Citadel, et le seul représentant de son espèce parmi l'équipage de l'Alliance.

    –- Heureuse de vous revoir, commandant! lança joyeusement l'Asari tout en aidant elle aussi le vieux Galarien. Heureuse de voir également que vous n'avez pas perdu la main: merci pour votre aide... Vous n'êtes pas blessé?
    –- Ça va, Madame. Le professeur est indemne, lui aussi, mais en état de choc. Ceci dit, je sais que les Galariens ont l'habitude de gérer rapidement leurs émotions: il devrait vite passer à autre chose. Après avoir vu ce que ces salauds ont fait au docteur Avidar, je croyais qu'ils tueraient tous les non-Humains à bord. Mais dans un but que j'ignore, ils tenaient apparemment à préserver l'ingénieur en chef de ce vaisseau...

    Andrak s'était rapproché sur ces entrefaites. Son stress transparut nettement dans sa voix, lorsqu'il s'adressa au commandant Hackett:

    –- Mes respects, Monsieur. Je vous ai bien entendu parler du docteur Avidar?! Savez-vous où elle se trouve? Je ne la vois pas dans l'équipage...

    Les traits du jeune officier se décomposèrent lorsqu'il aperçut le grand Butarien. Son regard se fit fuyant, sa voix hésitante:

    –- Oh, euh... Andrak, je... Je suis désolé... Le docteur est... Oh, mon Dieu...

    Les yeux d'Andrak se tournèrent instinctivement vers l'angle du mess que le regard du commandant s'efforçait d'éviter. Quatre corps étaient allongés là, recroquevillés, exsangues: trois Humains en uniformes de l'Alliance, et... une Butarienne en combinaison médicale. Son sang répandu au sol s'était mêlé à celui des Humains étendus auprès d'elle. Andrak avait déjà souvent eu l'occasion de songer à quel point les sangs humain et butarien se ressemblent par leur texture et leur teinte rouge sombre; mais c'était la première fois que cette simple constatation le touchait aussi personnellement.

    Le lieutenant Kang Jihui, le timonier du vaisseau, s'était agenouillé près des corps, visiblement aussi choqué que le reste des survivants de l'équipage. Il se releva cependant à l'approche du colosse butarien, pour lequel il ressentait la même sympathie qu'à peu près tous les autres Humains à bord:

    –- Bon Dieu, je suis navré, Andrak. C'est ... C'est la Drelle qui dirigeait nos assaillants qui a exécuté tous ceux-là, après qu'on ait cessé le combat; froidement; délibérément; et tous à l'arme blanche. Inès était étendue juste ici, gravement blessée...» Le pilote désigna le corps d'un membre d'équipage de pont, une jeune femme, allongé juste à côté de celui du docteur Avidar. À bien y regarder, l'Humaine était morte avec la main encore posée sur la joue de la Butarienne. Le lieutenant Kang poursuivit: «...Quand la Drelle a voulu l'abattre, le docteur Avidar s'est interposée. Alors cette furie verte l'a égorgée! Puis elle a achevé Inès alors que celle-ci tentait de porter secours au docteur. Elle semblait... Seigneur! cette salope semblait réellement prendre son pied!...
    –- Et où est la Drelle, à présent?
    demanda Andrak d'une voix grondante, lourde de menaces pour quiconque connaissait le ton ordinairement bienveillant du colosse butarien.
    –- Elle n'est plus sur le vaisseau... partie peu avant votre attaque. Juste après nous avoir rassemblés, elle a reçu un appel sur son communicateur. Elle a pesté un bon coup, puis elle a ordonné à ses troufions humains de tenir sur place jusqu'au dernier, avant de se barrer en courant. Elle en avait clairement rien à faire de leurs peaux. Mais eux, ils n'ont pas protesté: c'était visible, qu'elle les terrifiait; et je les comprends... Par pitié, dites-moi qu'elle ne va pas revenir ici!...
    –- Quand je pense qu'on a dû la rater de peu en arrivant ici!
    s'agaça Damon.
    –- En tout cas, on dirait que diversion de Guerdan et probatrice fonctionne bien, observa Lenks. Serais étonné de voir renforts ennemis arriver, maintenant. On peut poursuivre sécurisation du vaisseau.
    –- Andrak, tu es toujours avec nous?
    demanda Feylin – peut-être plus énergiquement qu'elle ne l'aurait souhaité – au Butarien encore agenouillé, prostré au côté de la pauvre dépouille de celle qui avait été pour lui bien plus que le médecin de bord du Citadel.
    –- Oui, je... Oui! Allons-y... Je... J'espère bien qu'il en reste encore d'autres à bord!

    Tandis que le commandant Hackett s'employait à répartir les armes récupérées sur leurs adversaires vaincus, les quatre agents explorèrent rapidement le reste du Pont intermédiaire, avant de descendre vers le Pont inférieur. Là, Lenks se dirigea vers la poupe où se trouvaient les panneaux de la centrale à fusion, afin de réapprovisionner en énergie l'ensemble des secteurs du Citadel. Feylin remonta aussitôt vers le Pont principal, afin de pouvoir transmettre son appel de détresse via l'ansible de la frégate, dès l'instant où le courant serait rétabli. Quant à Damon et Andrak, ils poursuivirent leur fouille méthodique des derniers ponts jusqu'à la baie d'appontage, sous le ventre du vaisseau, sans y découvrir la moindre présence hostile. En passant devant le petit bloc carcéral qui s'y trouvait relégué, le lieutenant N7 jeta un rapide coup d'œil à l'intérieur: Turnus Védrim, le conjuré turien capturé sur Digeris, se trouvait toujours en cellule derrière son champ de confinement, et n'avait visiblement pas la moindre idée de ce qu'il venait de se passer au-dessus de sa tête.

    –- Ils ne sont sans doute pas descendus jusqu'ici, supposa Damon. Sinon, ils auraient éliminé "ça", qui ne leur était d'aucune utilité. Décidément, prends n'importe quel vaisseau, à n'importe quelle époque, la vermine du fond de cale est étrangement ce qui survit toujours le mieux à un naufrage!

    Leur mission accomplie, l'Humain et le grand Butarien remontèrent au pas de course vers le mess où se trouvait encore rassemblé l'équipage. Lenks venait tout juste d'y revenir lui aussi, après avoir rétabli et sécurisé l'usage de l'ascenseur central du vaisseau. Et Feylin les rejoignit bientôt, dominée par un état d'excitation manifeste:

    –- J'ai pu joindre la Citadelle, lança-t-elle dans un souffle. L'amiral Padias Eldon est tombé des nues, mais il va s'arranger avec Shepard et le Conseil pour nous dépêcher une flotille de secours au plus vite...» Un hourrah puissant retentit dans le mess, soulevé par les poitrines de tout un équipage enthousiaste; Feylin reprit: «... Et presque aussi important, Guerdan m'a enfin envoyé de ses nouvelles! Elle a dû laisser derrière elle la probatrice T'Ribas, blessée, et poursuit seule la traque de Maya Brooks. Mais elle m'a également appris que toute la station est piégée, prête à sauter sur réception d'un signal d'autodestruction que Brooks pourra envoyer à bonne distance, dès qu'elle aura évacué avec tous les éléments humains indispensables à la poursuite de ses plans!...

    L'assistance fut parcourue d'un mouvement d'effroi muet, mais tout aussi palpable que le moment d'allégresse qui l'avait précédé. Pourtant, le commandant Hackett s'avança presque aussitôt de deux pas décidés, comme pour exprimer en son nom propre la détermination de tout son équipage à exécuter sur l'instant les consignes que les agents du Conseil voudraient bien lui donner.

    –- Depuis le temps qu'on a affaire à Rakhtar et Brooks, on aurait dû se douter de quelque chose dans le genre, bougonna Andrak.
    –- Ouais, c'est vrai, pourquoi ça ne m'étonne même pas? confirma Damon.
    –- L'important pour l'heure, intervint Feylin, c'est de trouver le moyen de bloquer le signal de Brooks! On n'a pas le plan des emplacements des charges explosives, et de toute façon, elles sont certainement trop nombreuses, trop dispersées, et trop difficilement accessibles en zone de combat pour qu'on puisse envisager de toutes les désamorcer. Pas moyen non plus de s'éloigner d'ici avec le Citadel: la frégate est bloquée à quai, et d'ailleurs, les niveaux d'énergie sont trop bas pour décoller; et puis surtout, il est simplement hors de question d'abandonner Guerdan dans cet enfer! Alors, ce signal? Des idées?

    Sans surprise, l'éclair de génie providentiel vint une nouvelle fois de Sudaj Lenks:

    –- Trouvé! s'exclama brusquement l'Ingénieur galarien. On devrait pouvoir brouiller réception du signal d'autodestruction à l'aide reconfiguration des transmissions du Citadel; utiliser pleine puissance des équipements du vaisseau pour saturer les ondes, noyer toutes les fréquences sous flot de messages aléatoires, gros volumes, chiffrements polymorphiques... Permettrait d'empêcher tout signal de transiter, dans rayon couvrant bien plus que le volume de la station. Mais...
    –- Mais...?
    demanda Feylin inquiète.
    –- ...Tout usage communications exceptée ansible deviendra impossible. On ne pourra plus maintenir contact avec Guerdan; ni émettre, ni recevoir. Tes ordres?

    L'hésitation de Feylin fut presque imperceptible. Empêcher la destruction de la station, des éléments de preuves qu'elle pouvait encore contenir, ainsi que de la frégate elle-même et des personnels à son bord, était incontestablement la priorité du moment! Et l'Asari ne voyait décidément aucune alternative à l'idée de Lenks...

    –- Bien, on n'a pas le choix! File vers le central com, et va y mettre ton plan en application. Puis remonte ici en vitesse. Oh, et emmène le lieutenant Raj avec toi, ajouta Feylin en invitant du geste l'officier transmissions du Citadel à accompagner l'Ingénieur galarien.

    La jeune chasseresse regarda les deux techniciens disparaître rapidement dans les escaliers vers le Pont inférieur, avant de se retourner vers Damon et Andrak. Jamais son visage n'avait encore affiché une telle résolution depuis le début de cette maudite journée:

    –- Dès que Lenks en aura fini, je repars avec lui à la recherche de Guerdan et de la probatrice. Même si nos communications sont HS, je suppose qu'il suffira de suivre la piste de dévastation et de sang humain qu'elles auront laissée derrière elles pour les retrouver! Lenks s'occupera de réencoder le verrouillage du sas derrière nous... Vous deux, vous tiendrez le vaisseau, prêts à faire face à un retour offensif des ex-Cerberus. Faites redresser les barricades, et prenez la tête des survivants de l'équipage en état de combattre: qu'ils récupèrent armes et armures sur les corps de l'ennemi, et...» Feylin marqua un temps d'arrêt avant de poursuivre: «...Et sur ceux de nos marines aussi. Au besoin, aidez-les à s'équiper, et assignez-leur des positions défensives mobiles. On ne reperdra pas le Citadel une deuxième fois!

    [...]

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  • Épisode 13: Vengeance bleue

    Secteur du Nexus d'Hadès – Système Alcas – Orbite du planétoïde Alcas Minor –
    Station d'Alcastarz, colonie pénitentiaire de l'Alliance passée à l'ennemi –
    Galeries principales du Secteur administratif

  • Quand Guerdan Qoliad avait exprimé sa ferme intention de rameuter vers elle-même – ainsi que vers la probatrice Sialan T'Ribas – le plus gros des forces armées d'Alcastarz, on aurait pu se douter qu'elle n'allait certainement pas faire les choses à moitié, quitte à ajouter au chaos des affrontements sanglants et des destructions gratuites une bonne gueulante maison bien provocatrice, à destination des suprémacistes humains qui peuplaient la station – gardiens tout comme prisonniers:

    –- Allez, approchez donc un peu, bande de foutus primates velus, gloire de la Terre de mes fesses! Quoi, vous n'avez quand même pas peur de deux pauvres vieilles sous-espèces bleues toutes seules, si ?!?

    La Spectre asari avait ouvertement adressé ce genre de bravades de défi à chacune des caméras de surveillance devant lesquelles elle était ostensiblement passée, avant de les faire sauter l'une après l'autre. Son agressivité débridée avait obtenu l'effet escompté: elle et la probatrice avaient très régulièrement vu des barrages plus ou moins bien défendus se dresser sur la route qu'elles suivaient, tandis que de petits groupes de harcèlement les talonnaient de près. Les deux Asari s'en étaient prises tout aussi régulièrement aux uns ou aux autres, le temps de les anéantir avant de reprendre leur course éperdue.

    Sialan et Guerdan, le maître et l'élève, la probatrice et l'Ardat-Yakshi, luttaient côte à côte avec une efficacité toute à l'honneur de l'exigeante formation militaire des commandos asari, en tapissant de sang rouge la piste qui devait peut-être les mener jusqu'à Maya Brooks. Car si l'honorable probatrice T'Ribas savait montrer davantage de retenue verbale que Guerdan, elle n'en était pas moins elle aussi une formidable combattante biotique. Elle avait ansi su faire preuve en particulier, à plusieurs reprises, d'une habileté tout à fait surprenante – et fort utile! – à détourner en vol les grenades qui leur étaient lancées en abondance, pour les rediriger vers leurs expéditeurs!

    Contrairement à l'équipe de recapture du SSV Citadel – Feylin, Damon, Lenks et Andrak –, les deux chasseresses bleues n'avaient pas eu affaire aux gardiens du pénitencier, mais bien aux détenus eux-mêmes, reconnaissables à leurs combinaisons de plastique rouge vif. Pour autant, le défi n'en était pas moins épique... Les gardiens avaient beau être bien armés et bien équipés, ils n'en restaient pas moins des militaires de garnison manquant dramatiquement d'entraînement, et surtout de motivation. À l'inverse, il était heureux que bien peu parmi les prisonniers aient eu le temps de revêtir une armure partielle, car presque tous étaient d'anciens soldats et agents de Cerberus, parfaitement formés aux manœuvres d'assaut coordonnées et aux tactiques de harcèlement ou d'embuscade. Quant à leur combativité, chaque soldat des troupes de choc avait reçu de Cerberus des améliorations cybernétiques garantissant de sa part une loyauté sans faille; et chacun des agents de terrain, qui eux étaient dépourvus de tels implants, avait en revanche été sélectionné pour son dévouement fanatique à la cause de l'Humanité telle que l'avait définie l'Homme Trouble.


    Lors de leurs premiers combats, Guerdan et Sialan avaient également dû faire face à de fortes concentrations de mécas LOKI et FENRIS. Même si ces pathétiques conserves sur pattes ne représentaient pas un gros potentiel de nuisance à titre individuel, leur nombre croissant au fur et à mesure des rencontres armées ne laissait pas d'être inquiétant! Puis à un moment donné, la Spectre et la probatrice s'étaient retrouvées confrontées à une véritable marée de mécas LOKI, remontant lentement vers elles en les flanquant depuis deux couloirs adjacents. Plusieurs combattants humains en combis rouges progressaient également à l'abri de cette première vague d'assaut sacrifiable. Avec ces détenus en soutien, les ferrailles de chez Hahne-Kedar réunissaient une solide puissance de feu, à même de soumettre la position des deux Asari à un tir de suppression assez dense pour obliger celles-ci à demeurer à couvert.

    La situation commençait à devenir tendue, lorsque brusquement, les androïdes s'étaient figés sur place, secoués de convulsions grotesques, tandis que les cercles de lumière rouge qui leur tenaient lieu de visage clignotaient frénétiquement. La suite avait été plus stupéfiante encore: les mécas avaient tous détoné simultanément, démultipliant la puissance de la déflagration par leur proximité les uns avec les autres, dans un fracas qui sembla secouer la station toute entière! La plupart des Humains qui suivaient au plus près leur avant-garde synthétique avaient été hachés menu par les débris des explosions; les rares survivants avaient reflué dans le désordre et la panique, pour être fauchés presque aussitôt par les tirs nourris des deux Asari.

    Guerdan aurait parié sa somptueuse garde-robe que ce coup de théâtre inattendu était l'œuvre de Sudaj Lenks, l'Ingénieur galarien de son unité. Elle s'était dit qu'elle avait vraiment de la chance de l'avoir, celui-là; qu'en fait, elle avait de la chance de tous les avoir, tous les membres de son équipe, Feylin, Damon, et même Andrak le dernier venu. La vénérable Spectre aurait tant aimé qu'ils soient tous là, à ses côtés, pour son ultime mission-suicide. Et la seule raison pour laquelle elle espérait survivre à celle-ci, c'était pour pouvoir les revoir, et pour fêter leur succès avec eux, tous ensemble une dernière fois, avant son départ en retraite forcée sous la garde de la probatrice T'Ribas.

    Le tout dernier affrontement des deux guerrières biotiques s'était cependant moins bien passé que prévu. Là encore, leurs adversaires étaient un petit groupe de détenus armés placés en embuscade dans les angles d'un couloir, ainsi que sur une galerie supérieure transversale. Mais contrairement à leurs prédécesseurs malheureux, ceux-là n'avaient pas fait usage de grenades, et les deux Asari n'avaient guère tardé à comprendre pourquoi. Tandis que l'échange de tirs fixait leur attention devant elles, un ex-agent de Cerberus sous camouflage tactique était parvenu à se glisser sur leurs arrières, et à poignarder Sialan au niveau des reins. Si la probatrice avait été humaine, ce coup lui aurait été immanquablement fatal! Heureusement, l'assaillant paraissait plutôt mal informé quant à la physiologie particulière des Asari...

    L'Humain devait pourtant être pleinement conscient qu'une telle attaque directe signait son arrêt de mort; que son écran d'invisibilité se désactiverait au premier coup qu'il porterait, et qu'il n'aurait certainement pas le temps de neutraliser la seconde Asari avant que celle-ci ne l'élimine sans grand effort. Son indifférence quant à son propre sort, donnait la mesure de la détermination des adversaires auxquels se confrontaient Guerdan et Sialan. De fait, ce fut la probatrice elle-même qui se débarrassa de son agresseur juste après que celui-ci l'eût frappée, en le repoussant d'une violente Projection biotique qui l'envoya se briser l'échine contre une poutrelle d'acier. Ce n'est qu'après avoir fourni cet ultime effort que Sialan T'Ribas tomba sur ses genoux, puis s'effondra face contre terre sans connaissance.

    Guerdan puisa dans la chute de son ancien mentor le regain de rage destructrice qui lui permit de libérer ses pouvoirs biotiques les plus puissants, ceux qu'en temps normal elle prenait tant de soin à dissimuler. Les Humains qui lui faisaient face en firent les frais: quelle qu'ait été l'ampleur de leur fanatisme, peut-être bien eurent-ils tout de même le temps de ressentir la peur, tandis que la frénésie biotique de l'Asari taillait littéralement leurs rangs en pièces. Quoi qu'il en fût, le combat prit bientôt fin, faute d'opposition. Il ne restait dans le camp humain qu'un unique survivant, salement amoché à l'épaule et à la cuisse droites – un unique survivant, du moins après que Guerdan eut écrasé d'un vigoureux coup de talon les cervicales d'un autre moribond! Après avoir éloigné du pied le fusil du blessé assis dos contre la cloison, la Spectre alla s'assurer de l'état de santé de la probatrice T'Ribas.

    Elle commença par récupérer au sol e poignard de son assaillant, afin de vérifier qu'il ne s'agisse pas d'une de ces ignobles lames empoisonnées qu'affectionnaient en leur temps les agents de Cerberus. Une fois rassurée sur ce point, elle examina le corps de Sialan, qui gisait toujours allongée face contre terre, inconsciente. Sa blessure aux reins n'était vraiment pas des plus engageantes, mais elle ne semblait pas non plus mortelle à court terme – en tout cas, pas selon les critères asari. L'armure légère de Guerdan ne disposant que d'une IV médicale d'auto-diagnostic rudimentaire, la Spectre dut se contenter d'appliquer du Médigel concentré directement sur la plaie, en espérant que cela suffise à stabiliser l'état de son ancien maître d'armes. Elle ne pouvait malheureusement rien faire de plus pour l'instant...

    L'effrayante Asari balafrée revint ensuite s'agenouiller face au soldat de Cerberus blessé, qu'elle empoigna par le col de sa combinaison rouge de détenu. Sans surprise, les yeux vides et luminescents de l'Humain montraient qu'il s'agissait là d'un Implanté: il n'allait pas être facile de le faire parler, celui-là... Pourtant, Guerdan était déterminée à obtenir des réponses, en particulier au sujet de la position de Maya Brooks: après les derniers combats qui venaient de lui coûter Sialan, elle commençait à en avoir plus qu'assez de cavaler en vain derrière une ombre en mouvement.

    –- À nous deux, mon coco! commença-t-elle d'une voix rude. Même une bande de guignols tels que vous a dû mettre au point des protocoles de sauvegarde, dans un cas comme celui-ci. Alors tu vas me dire où est censée se replier ta patronne, là, la nouvelle Madame Trouble. Et plus vite que ça, si tu ne veux pas voir ce qui se passe quand je me mets vraiment en colère! conclut la Spectre en étendant le bras vers les corps mutilés des anciens compagnons de l'Humain.


    Celui-ci eut un rictus d'incommensurable mépris, qui compensa pleinement le manque total d'expressivité de son regard. Et c'est peut-être avec l'intention de se faire pulvériser au plus vite, avant que l'interrogatoire ne devienne par trop déplaisant, que le cyber-soldat cracha d'un ton empli de morgue:

    –- Toi la pute bleue, tu peux retourner faire du pole dance à poil sur la Citadelle! Et n'essaie pas de me trifouiller le cerveau avec tes trucs de sorcière asari: Cerberus m'a entraîné à y résister!
    –- Charmant... Désolée pour le pole dance, gamin, j'ai passé l'âge. Quant à mes trucs de sorcière... Tiens, ça c'est une idée!

    Dame Qoliad fixa le blessé droit dans les implants qui lui servaient d'yeux. Une brusque éruption de vapeurs biotiques jaillit soudain de ses épaules, suivie d'un flux régulier de légères fumerolles, à peine plus rassurant. Les yeux de l'Ardat-Yakshi avaient déjà viré au noir, lorsqu'elle commença à faire usage de sa voix de succube. Une voix chaude et profonde, sépulcrale et pourtant vibrante de vie, une voix à la fois douce et impérieuse, sensuelle et dominatrice. Une voix qu'aucun être conscient ayant survécu à ce jour n'aurait pu témoigner avoir jamais entendu Guerdan employer, tandis qu'elle caressait le visage meurtri de l'Humain tétanisé:

    –- Toi, beau mâle... Quel est ton nom?
    –- A-Anton, Madame
    , balbutia le prisonnier, qui semblait en proie à une hallucination divine.
    –- Anton... Tu as envie de m'être agréable, n'est-ce pas? Sais-tu ce qui ferait naître un sourire sur ces lèvres, Anton? Je veux que tu me dises où je puisse trouver Maya Brooks, celle à qui tu as juré fidélité. Rien ne sera possible pour nous deux tant qu'elle se tiendra entre toi et moi. Je sais que tu me comprends, Anton...

    L'air s'était chargé d'une énergie noire pervertie, presque palpable, et les appendices crâniens de Dame Qoliad semblaient littéralement prendre vie, comme dans un mirage au travers des brumes sombres qui irradiaient du corps de la terrifiante biotique asari. La vision était tout à la fois hypnotique et cauchemardesque. Totalement asservi à la volonté de l'Ardat-Yakshi, le prisonnier humain ne put faire autrement que de livrer tous les secrets pour lesquels il était pourtant prêt à mourir l'instant d'avant:

    –- Brooks, oui... Madame Brooks... Méchante femme! Toutes les mesures sont prises depuis longtemps pour abandonner définitivement cette station... En cas de crise extrême, les personnels indispensables retenus pour évacuation d'urgence doivent rejoindre Madame Brooks au Hangar pour navettes légères N°4, au 11e niveau...» L'esclave de Dame Qoliad pointa du doigt un panneau mural discret, à 50 mètres d'eux: «...Cet ascenseur peut vous conduire directement au niveau 11, à condition d'entrer les bons codes d'accès. Vous les trouverez ici, ainsi que les plans détaillés des deux ailes de la prison qui vous donneront la meilleure route à suivre...

    Avide de complaire à la maîtresse de ses désirs, l'Humain tira son datapad de la grande poche de pantalon de sa combinaison rouge, et en débloqua obligeamment les codes de verrouillage avant de le tendre à l'Asari. Puis sans même que celle-ci lui ait rien demandé, il poursuivit ses révélations avec une servilité confondante:

    –- Madame... Il faut que vous sachiez... Toute cette station où nous nous trouvons est piégée, truffée de charges explosives, prête à s'autodétruire sur réception d'un signal que Madame Brooks pourra envoyer à bonne distance, dès qu'elle aura évacué. Moi, j'étais de ceux qui devaient demeurer sur place si nécessaire, pour couvrir l'évacuation des personnels sélectionnés... J'étais.. sacrifiable! Prêt à sauter avec la station! J'avais juré...» L'Implanté eut un semblant de résistance, vite dominé à nouveau par la fascination sans partage qu'exerçait l'Ardat-Yakshi: «...J'avais juré de mourir pour la cause... même si je ne me rappelle plus trop ce que ça signifie, maintenant... Mais vous... Vous, je ne veux pas que vous mourriez, Madame! Je tiens bien trop à vous!

    Guerdan lui accorda en récompense le même genre de sourire d'encouragement que l'on adresse à un gentil demeuré qui ne se serait trompé que d'une unité en calculant 2+2. Le sourire niais que lui rendit l'Implanté donna à l'Asari l'envie de lui faire sauter le crâne sur place, tant ce rictus benêt s'accordait mal au visage ravagé de l'être à peine humain qui lui faisait face, changé en machine de guerre sans âme par les améliorations cybernétiques de Cerberus. Guerdan avait cependant plus important à faire pour l'heure: elle se releva donc et s'éloigna de quelques pas pour entrer en communication avec Feylin Adamas, sa consœur asari qu'elle avait placée par intérim à la tête du reste de l'Unité N°1, de manière à l'informer des derniers développements inattendus de leur campagne contre les forces de Maya Brooks.

    Une fois délivrées ses informations cruciales, Guerdan prit connaissance à son tour du compte-rendu d'opérations que lui transmit Feylin, en continuant à fixer le gantelet holographique de son Omnitech. Bien qu'elle ne prononçât pas un mot durant ce rapport, l'expression du visage couturé de l'Asari passa par plusieurs variations très nettes, à mesure que sa correspondante l'informait des événements survenus à bord du Citadel. La communication s'acheva d'ailleurs sur un violent hurlement de rage de la part de la Spectre:

    –- Foutue raclure de Drelle! Bordel de sale petite crevure de...! Je m'en vais lui arracher sa putain de peau de lézard, et m'en faire une descente de lit! Si je peux lui marcher sur la gueule tous les matins pour les cinq cent prochaines années, ça illuminera mes...!
    –- Calme-toi, Guerdan... Dis-moi plutôt ce qu'il s'est passé?

    Sialan T'Ribas venait de reprendre connaissance. Elle s'était relevée sur un coude, et au vu de la douleur qui tordait ses trais, ce seul effort lui avait déjà énormément coûté. Guerdan lui répondit avec emportement, le visage fumant – littéralement! – de colère:

    –- Rakhtar!! Cette ordure verte a massacré mon équipage! Mes équipes de pont, tous mes marines, mon médecin de bord! Elle a égorgé de sang-froid des prisonniers à terre, blessés, désarmés! Vérole de Déesse, je...! Je vais lui faire des choses innommables quand je l'aurai coincée! Même un Krogan n'aura plus envie de grailler ce que je laisserai derrière moi quand j'en aurai fini avec elle!

    La probatrice se retourna péniblement sur le flanc, puis désigna d'un mouvement de tête le survivant humain toujours adossé contre la cloison, prostré dans un état d'hébétude absolue:

    –- C'était là une très impressionnante démonstration de domination contre nature, Guerdan... Je n'aurais jamais imaginé que... que l'on puisse oser faire montre d'une telle maîtrise dans l'abject... pouvoir de succube... en présence même d'une probatrice!...

    La Spectre poussa un soupir profondément agacé, tout en semblant focaliser son attention sur le recalibrage de son fusil Séide:

    –- La Déesse m'en soit témoin, Sialan: Tu-M'em-Merdes! Je ne me suis pas unie charnellement à cette bouse humaine, que je sache? Non, car je t'ai juré, sur ma vie, de ne jamais plus tuer qui que ce soit, bon ou mauvais, par l'acte de fusion intime! Et ce serment, je le respecterai. Par contre... Je ne me suis engagée en rien en ce qui concerne le sort que je réserve aux chiures de pyjaks qui ont pris mon vaisseau et massacré mon équipage!

    Sur ces derniers mots, Guerdan plaqua la bouche de son fusil tout contre la tempe de l'Humain Anton désemparé. Son tir à bout touchant éparpilla la boite crânienne de l'infortuné sur une bonne longueur de couloir. Sialan T'Ribas n'émit qu'un bref soupir de désapprobation, avant de commencer à ramper douloureusement, en signant son chemin de croix d'une traînée de sang mauve, en direction d'un renfoncement du mur à proximité. Le soldat de Cerberus qui avait occupé ce poste d'embuscade était encore allongé là où il était tombé. Refusant d'un geste l'aide de Guerdan, la rude probatrice alla caler son corps meurtri dans cette position de tir bien placée, à l'abri derrière la dépouille de son ennemi. Puis reprenant son souffle entre ses dents serrées, elle se décida enfin à s'adresser à la Spectre qui attendait patiemment ses instructions:

    –- Guerdan, je... Je resterai ici... Je tiendrai ce couloir... seule... Les bloquerai le temps qu'il... qu'il faudra... Apporte-moi les grenades... de ces Humains... Toutes celles que tu pourras trouver... Et ce fusil, là, aussi... Quant à toi... Toi... Tu es la dernière à pouvoir venger nos... nos sœurs de Lusia... Alors...» Le visage de la probatrice se durcit au-delà encore de la souffrance physique qu'elle éprouvait, lorsqu'elle pointa du doigt l'ascenseur en crachant ces derniers mots: «...Remonte la trace de cette Humaine de malheur... Maya Brooks... Et massacre-la!... Et si tu le peux, tue la Drelle avec!

    Dame Qoliad acquiesça en silence puis se releva, le visage empli de détermination. C'est avec la même expression, telle un adieu muet de soldat à soldat, qu'elle fixa son ancien maître d'armes lorsqu'elle disposa devant elle les armes et munitions qu'elle avait rassemblées. À peine s'était-elle élancée vers les combats qui l'attendaient encore que Sialan la rappela, d'une voix cassée par l'épuisement:

    –- Guerdan...

    Quand celle-ci se retourna vers la probatrice, le visage de cette dernière n'était déjà plus qu'un masque de pure souffrance. C'est dans un souffle que la malheureuse demanda:

    –- Tu n'as jamais envisagé... une seule seconde que ma... que ma mort pourrait... te libérer de ton serment... N'est-ce pas?...

    L'implacable Spectre asari était déjà repartie lorsqu'elle lui lança par-dessus son épaule:

    –- Si, bien sûr... Mais pas plus d'une seule seconde!

    Sialan regarda s'éloigner son ancienne disciple, ne la quittant pas des yeux avant que le volet de l'ascenseur ne se soit refermé sur elle. Alors seulement, la fière probatrice s'autorisa un long gémissement de douleur.

    * * * * * *

    Dame Qoliad remontait au pas de course les couloirs d'Alcastarz, en direction du hangar à navettes que lui avait indiqué l'Humain Anton, en s'aidant des données du datapad de celui-ci ainsi que des codes de signalisation portés au sol ou sur les murs. Depuis le combat acharné qui l'avait obligée à laisser Sialan T'Ribas derrière elle, la Spectre n'avait plus croisé personne, n'avait dû faire face à aucune opposition à ce niveau de la station orbitale. Et elle venait de pénétrer dans l'ultime galerie avant le sas du hangar, lorsque brusquement, elle pila net dans son élan...

    Bathyll Rakhtar arpentait l'autre extrémité de ce large couloir, 30 mètres devant elle, seule, une mitraillette Hurricane au bout du bras, et un sourire suffisant sur les lèvres. Le visage de la mercenaire drelle s'éclaira davantage encore lorsqu'elle vit arriver la Spectre asari. Malgré la colère qui montait au front de Guerdan à présent qu'elle se trouvait à si faible distance de son ennemie jurée, elle sut faire taire les instincts qui lui hurlaient de se ruer droit sur elle: le souvenir cuisant de la mésaventure qu'elle avait subie sur Lusia, suffisait en effet à la dissuader de venir affronter la Drelle sur un terrain que cette dernière aurait pu piéger à l'avance.

    –- Je t'avais bien dit qu'on se reverrait, Bleuette, ironisa Rakhtar, en lui rappelant justement les circonstances humiliantes de leur première rencontre. Bien remise de tes engelures? Alors, tu me montres un peu ce que tu vaux, sans ta bande d'aliens?
    –- Il me reste encore une station à pacifier aujourd'hui
    , gronda Guerdan d'un ton menaçant, des représailles à mener, un équipage à venger, et une terroriste humaine à dépecer... Alors évite de me faire perdre trop de temps!

    Relevant d'un geste lent sa mitraillette vers son épaule, Rakhtar commença à parader d'un pas faussement nonchalant, main sur la hanche. Les ondulations suggestives de sa silhouette élancée accentuaient encore le caractère reptilien qu'inspirait la peau verte et écailleuse de son visage. Pas de quoi cependant abuser l'œil expert de Dame Qoliad, pour qui tout en elle trahissait en vérité la bête de proie prête à bondir.

    –- L'Humaine? reprit la Drelle en souriant. Elle est juste derrière ce sas! Sa navette n'est pas encore partie: trop de secrets à emporter ou à détruire avant de quitter le terrain, je suppose... Moi, je préfère toujours voyager léger: pas d'ancrage, pas d'attaches, pas d'états d'âme... L'Humaine et ses complices sont à toi – si tu parviens à enjamber mon cadavre! Mais je pense t'avoir déjà prouvé que ce ne sera pas si facile que cela...

    Tandis qu'elle plastronnait, Rakhtar, l'air de rien, s'était rapprochée de deux pas de plus d'un abri potentiel que Guerdan avait repéré dès le début de leurs échanges: le signal net pour elle que les hostilités allaient démarrer pour de bon. La Foudre de guerre asari activa aussitôt une puissante Barrière biotique, matérialisant un halo bleuté autour de son corps en prévision de l'échange de tirs qui allait forcément suivre. Mais contre toute attente, au lieu d'ouvrir le feu, la Drelle s'élança vers son adversaire en une irrésistible Charge biotique: une vague bleue bien trop vive pour qu'un œil organique puisse en détailler le mouvement; un type de frappe que Guerdan avait déjà vu Feylin employer plus d'une fois, avec des effets dévastateurs.

    La Spectre comprit en un éclair qu'elle avait été leurrée une fois de plus par la redoutable tueuse drelle. Outre que celle-ci maîtrisait visiblement ses dons biotiques naturels à très haut niveau, elle privilégiait également de toute évidence l'affrontement au corps-à-corps sur le combat à distance tel que le pratiquait Guerdan. Or, si la Barrière levée par l'Asari pouvait contrer efficacement les projectiles à haute énergie cinétique, elle était sans effet contre les attaques portées au contact direct. Guerdan eut tout juste le temps de rouler sur le côté pour éviter le missile biotique, qui pila net à l'endroit où elle s'était tenue deux dixièmes de seconde plus tôt.

    Tout en se relevant dans son élan, la Spectre chevronnée embrassa d'un regard rapide la nouvelle situation à laquelle elle devait faire face. Elle vit tomber au sol la mitraillette que la Drelle avait lâchée pour se concentrer sur le corps-à-corps qui s'annonçait. Mais surtout, elle vit une lame flamboyante, forgée instantanément par l'Omnitech de Rakhtar, se matérialiser dans le prolongement de l'avant-bras que son adversaire avait levé au-dessus de sa tête. Ainsi prise en défaut avant même d'avoir pu se remettre totalement sur ses jambes, l'Asari esquiva de justesse l'attaque plongeante en se rejetant d'un coup de rein tout contre la tueuse drelle... éprouvant aussitôt une douleur fulgurante, localisée sous les côtes!

    Le souffle coupé, Guerdan eut néanmoins l'instinct de rouler à nouveau immédiatement hors de portée des coups de Rakhtar. Alors qu'elle se redressait sur un genou, prête à repousser d'une Projection biotique l'adversaire qui allait immanquablement se ruer sur elle, elle réalisa que celle-ci n'avait pas bougé. La Drelle avait quitté sa posture ramassée de pugiliste et restait là, debout, détendue, à la détailler de ses yeux insondables, avec un étrange sourire au coin des lèvres. L'éphémère Omni-lame au bout de son bras droit avait disparu; mais ce qui retenait l'attention de Guerdan, c'était le court poinçon déployé sur le dos de son gantelet gauche: l'arme qui l'avait frappée au torse en traversant le mince blindage de son armure légère. Ce n'est qu'alors que l'Asari s'aperçut que durant toute la durée inquantifiable de sa réflexion, elle n'avait pas songé à esquisser un mouvement – et qu'elle n'était d'ailleurs plus capable de bouger de sa propre volonté. L'équilibre précaire de sa posture finit par l'amener à retomber lourdement sur son autre genou, et à demeurer ainsi, passive, offerte.

    –- Un poison de ma composition, se vanta la Drelle alors qu'elle levait triomphalement son gantelet gauche, et la pointe fourbe qui l'ornait. Je l'ai baptisé: "Kalahira Express"! Concentration maximale, pour un effet foudroyant. Tout spécialement pour toi, ma chérie. L'élite du Conseil mérite ce qu'il y a de mieux, tu n'es pas d'accord?

    Le juron de défi que voulut lancer Guerdan mourut sur ses lèvres, tout comme s'éteignait sa volonté de poursuivre la lutte. Se délectant d'un sourire cruel au spectacle de l'agent Spectre agenouillée, impuissante, Bathyll Rakhtar en fit le tour à pas lents, tout en tirant d'un geste mesuré un long poignard à lame mono-moléculaire de contre sa cuisse: celui-là même avec lequel elle avait impitoyablement éclairci les rangs de l'équipage du Citadel, peu auparavant. Une fois parvenue derrière l'Asari, la tueuse drelle entreprit de glisser précautionneusement la pointe de son arme entre le cou et l'épaule gauche de sa victime, au défaut de l'armure – puis d'enfoncer très progressivement la lame dans ses chairs, la poussant à la verticale en direction du cœur, avec une lenteur calculée, de façon à faire durer le plaisir à mesure qu'un sang mauve toujours plus abondant perlait à la surface de la plaie.

    Éperdue, Guerdan sentait la froideur de la lame se frayer un chemin vers son muscle cardiaque, sentait remonter en bouche l'atroce goût salé de son propre sang emplissant ses poumons... mais elle ne pouvait rien y faire. La torpeur qu'engendrait le poison endormait jusqu'à la sensation de douleur qui aurait pu la faire réagir. L'esprit aussi engourdi que le corps, elle commençait à admettre l'évidence: Bathyll Rakhtar était tout simplement trop forte pour elle. Tout allait s'arrêter ici; c'en était fini de sa longue vie de chasseresse, de dame asari, de Spectre, de... d'Ardat-Yakshi!?

    Dans l'esprit embrumé de Guerdan, une idée encore imprécise commençait à naître autour de cette malédiction génétique, de ce secret honteux qu'elle avait si longtemps cherché à préserver. Ses yeux s'abaissèrent sur ses mains nues figées au bout de ses bras ballants. Ayant toujours su s'arranger pour éviter le combat au contact, elle ne portait jamais ses gantelets d'armure, affirmant y gagner une plus grande finesse au dégainer, au lancer, ou dans l'activation de ses pouvoirs biotiques. Oh certes, ç'avait parfois été bien utile aussi, lorsque se présentait l'opportunité, rapide et sans témoins, d'une fusion mortelle à l'encontre de quelque infecte vermine, pirate ou assassin. Eh bien à présent, cette fantaisie allait pouvoir lui servir une dernière fois... pour une sortie de scène en beauté!

    Après tout, un serment prêté sur sa propre vie n'engageait déjà plus une morte en sursis...

    –- C'était vraiment trop facile, soupira Rakhtar d'un ton blasé, tout en poursuivant avec minutie son lent mouvement de pénétration. Tu sais que tu es ma première Spectre? Quand je pense qu'on en fait toute une affaire! Allez, il n'y en a plus pour très longtemps...
    –- ...rasss...tèr...té...
    , balbutia faiblement l'Asari, emmurée dans sa léthargie.
    –- Quoi, quoi? ricana la tueuse en se penchant sur la joue de sa victime. Je t'entends pas, Bleuette. C'est quoi, tes dernières paroles?

    En concentrant toute sa volonté pour secouer son apathie, Guerdan parvint à rassembler ses dernières forces en un geste ultime, et empoigna brusquement de sa main nue l'imposant jabot de chairs qui saillait du col de l'armure légère de sa meurtrière. Ce contact soudain avec cette région très richement innervée du corps de la Drelle permit à l'Asari de fusionner en un éclair leurs deux systèmes nerveux, celui de l'Ardat-Yakshi prenant presque instantanément le dessus sur celui de sa "partenaire" stupéfaite. Les yeux de Dame Qoliad virèrent au noir d'encre en un battement de cœur, tandis qu'elle libérait sa nature profonde de Démone des Vents nocturnes:

    –- EMBRASSE L'ÉTERNITÉ !!!


    Un véritable orage d'éclairs bleus enveloppa les corps des deux puissantes biotiques. Paniquée, totalement prise au dépourvu par la violence d'un pouvoir dont elle n'avait jamais entendu parler, Bathyll Rakhtar tenta de rompre le contact, de repousser cette force irrésistible qu'elle sentait envahir et dévorer tout son être. Mais la jeune Drelle ne pouvait lutter contre plusieurs siècles d'expérience dans l'art sombre de la fusion démoniaque... Elle laissa sa terreur la dominer lorsqu'elle sentit ses forces, sa volonté, et jusqu'à son âme s'échapper entre ses doigts – alors que l'Ardat-Yakshi revitalisée continuait de hurler, son visage aux yeux couleur de nuit crispé en une expression terrifiante de faim insatiable:

    –- Embrasse l'Éternité, espèce de salope verte! C'est là que je t'envoie!

    Tétanisée, son système nerveux désormais anéanti, Rakhtar ne tarda pas à subir les effets visibles d'une hémorragie cérébrale massive: son sang suinta puis se mit à couler abondamment de son nez, de sa bouche, de ses yeux... Sa dépouille sans vie finit par basculer mollement sur le côté. Durant sa chute, un dernier spasme biotique fit sursauter d'un bon mètre le corps de la Drelle. Celui-ci alla s'étaler au sol en glissant dans son élan sur la flaque de sang gras qu'il continua à approvisionner généreusement.

    Guerdan restait maintenant seule, agenouillée dans la même position, le long poignard de la tueuse toujours enfoncé à mi-lame entre le cou et l'épaule. Ses yeux avaient retrouvé leur aspect habituel, vitreux cependant, et éclairés de la joie malsaine d'une victoire par mort subite. Contemplant avec un sourire mauvais sa victime au sol devant elle, l'Asari cracha une glaire de sang violet en direction de la silhouette recroquevillée baignant dans son propre sang rouge. Puis subitement, elle commença à pouffer avant de partir dans un long fou rire qui secoua sa poitrine de convulsions. Gargouillis, toux et expulsions de sang ne purent mettre un terme à cet ultime accès de démence incoercible – qui finit pourtant par s'achever sur un long râle aigu. Dame Qoliad demeura ainsi immobile un long moment, les yeux démesurément ouverts, et le visage figé sur l'expression d'une jubilation sauvage. Puis elle bascula en avant, et s'abattit face la première dans une mare de sang où le mauve venait se mêler à l'écarlate.

    Vaincue; mais victorieuse !...

    [...]

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  • Épisode 14: Changement de direction...

    Anneau du Présidium sur la Citadelle –
    Épilogue ...

  • La flottille de secours promise par l'amiral Padias Eldon avait fini par atteindre Alcastarz, au terme des mêmes quatre journées standard que le SSV Citadel avait dû consacrer à ce trajet. Mais lorsque les navettes des commandos de l'Alliance prirent d'assaut les quais de la station orbitale, ce fut pour s'apercevoir que l'Unité GEIST N°1, secondée par les volontaires les plus motivés parmi l'équipage de la frégate, était déjà parvenue à pacifier l'ensemble de la colonie pénitentiaire rebelle...

    Les combats avaient duré pas moins de deux jours, et avaient été particulièrement acharnés. L'indice le plus parlant en était le très faible nombre de prisonniers qu'avaient pu faire les agents GEIST et leurs forces de soutien: de l'ensemble des personnels et détenus que Maya Brooks avait laissés derrière elle dans sa fuite, condamnés à sauter avec la station, seule une petite trentaine avait renoncé à l'idée de mourir pour leur cause. Sans surprise, nombre de ceux-là étaient des scientifiques et chercheurs, vraisemblablement considérés comme non-indispensables par Brooks, et abandonnés sur place au moment de l'évacuation. De manière tout aussi prévisible, les Implantés étaient par contre fort peu représentés parmi les survivants. Mais le véritable exploit de cette reconquête, était qu'elle n'avait pas coûté aux forces conciliennes plus de cinq blessés en tout – dont Feylin Adamas, la chasseresse asari de l'Unité N°1.

    C'était Feylin elle-même qui avait découvert la première le corps sans vie de Dame Qoliad dans la galerie du hangar à navettes, baignant dans son sang au côté de celui de la mercenaire drelle Bathyll Rakhtar. La mort de son aînée si vénérée l'avait visiblement bouleversée davantage encore que les autres membres de l'unité; car lors des combats sans merci qui s'en étaient suivis contre les ex-Cerberus, la jeune Asari avait fait montre d'une intrépidité et d'une rage vengeresse qui avaient effrayé même un vétéran aussi impavide qu'Andrak Atkoso'dan, le gigantesque chasseur de primes butarien. Sa témérité n'avait protégée Feylin des balles que jusqu'à un certain point; et sans le secours opportun d'Andrak, elle y serait peut-être restée pour de bon...

    En tant que nouvelle commandante par intérim de l'Unité N°1 et du SSV Citadel, l'Asari blessée et diminuée avait pris la décision de ramener vers la Citadelle ses effectifs décimés et épuisés, en laissant le soin aux militaires de l'Alliance de sécuriser la station, de désarmer les charges de démolition toujours présentes, et de compiler et transmettre toutes les informations qu'ils pourraient recueillir sur site. Au moins le voyage de retour de la frégate concilienne prit-il bien moins de temps qu'à l'aller. Car dans sa fuite précipitée, Maya Brooks avait abandonné derrière elle de très nombreuses bases de données intactes, vouées à disparaître lors de l'autodestruction de la station orbitale – qui n'avait finalement jamais eu lieu. Et Sudaj Lenks, l'Ingénieur galarien, avait ainsi pu découvrir dans ces fichiers la localisation du relais secondaire dont avait parlé Maya Brooks, dissimulé dans la ceinture d'astéroïdes du système Alcas, ainsi que le moyen de l'activer.

    –- Tirons-nous d'ici, avait ordonné Feylin au commandant Hackett, d'un ton las tandis qu'une infirmière de l'Alliance pansait ses plaies. J'en ai assez de cette taule...

    * * * * * *

    Quelques jours seulement après ces sombres événements, les quatre agents furent conviés à deux commémorations, deux veillées funèbres devant se tenir coup sur coup la même soirée, sur l'Anneau du Présidium de la Citadelle. La première aurait lieu en comité restreint dans un cadre très simple, une baie d'amarrage réservée aux forces armées de l'Alliance, où il était prévu de rendre les derniers honneurs aux dépouilles des marines et membres d'équipage du Citadel tombés sur Alcastarz, avant leur rapatriement vers la Terre – ou pour plusieurs d'entre eux, vers les autres mondes et colonies où leurs familles avaient fait leur vie. La seconde cérémonie, tout au contraire, aurait pour cadre l'un des sites les plus prestigieux de tout le Présidium: l'ambassade asari, c'est-à-dire la plus ancienne et la plus illustre des légations représentées sur la Citadelle! Car c'était là que toutes les figures les plus éminentes de la communauté asari comptaient se réunir pour rendre un ultime hommage à l'une des leurs, Dame Guerdan Qoliad, qui avait porté si haut durant tant de siècles les couleurs de leur peuple.

    La première cérémonie fut d'une sobriété toute militaire, en présence exclusive des survivants de l'équipage du Citadel, des membres de l'unité GEIST qui les avait sauvés, et de quelques huiles de l'Amirauté. La baie d'amarrage avait été tendue de noir; et les cercueils de métal brut avaient été alignés sur trois rangs le long de la piste d'embarquement. Chacun d'entre eux était drapé du célèbre étendard des forces armées de l'Alliance, frappé des trois étoiles désormais connues aux quatre coins de la galaxie. Onze marins et soldats, hommes ou femmes sur une quarantaine de membres d'équipage, avaient été tués lors de la capture et de l'occupation de la frégate par les forces armées de Maya Brooks. Ce qui représentait douze cercueils au total, en comptant celui du docteur Hésap Avidar.

    Les Butariens n'observent d'ordinaire aucun rite mortuaire particulier; mais les survivants de l'équipage humain du Citadel avaient insisté pour que celle qui fut leur officier médical, aimée de tous à bord, bénéficie en tous points des mêmes attentions que les corps de celles et ceux dont elle avait tant pris soin de leur vivant. Andrak fut intimement touché par cette marque de respect envers celle qu'il aurait voulu voir partager le reste de sa vie, et avec laquelle il n'aurait finalement partagé que bien trop peu de temps. Sa douleur, et la profondeur de son recueillement faisaient peine à voir.

    –- C'est moi qui aurais dû être allongé ici dans cette boite, se répétait en boucle le grand Butarien, comme un mantra récité à mi-voix. Ç'aurait dû être moi. Moi, pas elle. Moi, je suis fait pour encaisser les coups. Elle, elle était faite pour les réparer; c'était ça, sa vie. Ç'aurait dû être moi, pas elle...

    Feylin considéra son gigantesque ami avec tristesse. Elle se souvint que nul n'avait jamais vu un Butarien verser des larmes de tristesse. De douleur physique, oui, parfois, mais jamais le chagrin le plus profond n'était parvenu à humecter les quatre globes oculaires dont ils se montraient toujours si fiers. Savoir pleurer fait pourtant parfois tellement de bien, songeait l'Asari. Et elle en savait quelque chose, elle-même qui avait sangloté seule six nuits d'affilée après la mort de Guerdan...

    Cette brève mais poignante cérémonie d'adieux fut présidée par l'amiral Steven Hackett, au nom de l'état-major des forces armées de l'Alliance. Le héros des deux batailles pour la Citadelle lut une courte biographie de chacun des hommes et femmes tombés en service, avant de venir déposer tour à tour sur chaque cercueil l'Étoile de Bronze, pour mérites au combat. L'Étoile d'Argent pour bravoure remarquable fut décernée au second lieutenant Ksénia Chesnokova, eu égard aux circonstances particulièrement héroïques dans lesquelles l'officier de marines avait succombé, telles que les avaient rapportées les agents de l'Unité N°1.

    L'amiral vint ensuite serrer la main de chaque membre de l'assistance, militaires comme agents, sachant trouver pour chacun d'entre eux les mots de réconfort les plus propres à apaiser leurs troubles. Puis le vieil officier s'entretint plus longuement avec son petit-neveu, le capitaine en second Joe Hackett, sans doute au sujet du devenir du SSV Citadel: l'équipage dans son ensemble était en effet ressorti profondément traumatisé de cette expérience inattendue de contact direct avec un ennemi aussi abject qu'impitoyable, et il était vraisemblable que plusieurs de ses membres allaient demander prochainement leur réaffectation sur des postes moins exposés...

    L'ambiance générale dans la baie d'amarrage était d'ailleurs en train de tourner à des discussions à mi-voix, intimes, feutrées, entre marins qui travaillaient ensemble chaque jour, et où les agents de terrain n'avaient plus vraiment leur place. Ceux-ci laissèrent donc discrètement officiers et équipage entre eux, pour se diriger vers l'ambassade asari et leur rendez-vous suivant. Feylin boitait encore un peu, suite aux blessures reçues sur Alcastarz. Quant à Andrak, il contempla une dernière fois le cercueil du docteur Avidar, avant d'emboîter le pas à ses compagnons.

    * * * * * *

    Il était prévu que l'amiral Padias Eldon, leur supérieur et celui de Guerdan Qoliad au sein du Ministère de la Défense Concilien, soit présent à la cérémonie tenue en l'honneur de la défunte Spectre asari. Ce serait la première fois, depuis leur débriefing au retour d'Alcastarz, que les agents reverraient le vieux Galarien; et chacun envisageait l'hypothèse qu'à cette occasion, il leur présenterait le nouveau chef de l'Unité N°1. Mais qui, songeaient-ils tous, qui pourrait un jour remplacer Dame Qoliad?! Ni Feylin, ni Damon, ni Lenks, ni bien sûr Andrak le dernier arrivé, n'avaient jamais connu d'autre chef à leur petite équipe si soudée: non, depuis qu'elle en avait reçu le commandement, c'est bel et bien Guerdan qui en avait toujours été le cœur et l'âme (et les bolas, aurait peut-être même ajouté crûment Damon da Costa)...


    C'est avec ces pensées obsédantes toujours en tête que nos quatre agents franchirent le seuil majestueux du hall d'honneur de l'ambassade asari. L'assistance y était déjà fort nombreuse, en très grande majorité des Asari issues des milieux les plus huppés du Présidium, parées avec un goût exquis. Les agents n'eurent donc aucun mal à repérer leur supérieur galarien, qui paraissait bien seul au milieu de toutes ces beautés bleues, debout avec sa flûte de liqueur thessienne à la main. L'amiral parut si soulagé de les voir arriver qu'il s'avança immédiatement à leur rencontre:

    –- Heureux de vous retrouver, agents! J'avais perdu de vue que l'on puisse gaspiller tant de temps et d'énergie en caquetages futiles...» Le vieux Galarien ignora délibérément les regards offusqués autour de lui avant de poursuivre: «...Nous allons enfin pouvoir aborder des sujets de conversation un peu plus constructifs!
    –- Je suppose que vous avez nouveautés sur affaire Maya Brooks?
    avança Sudaj Lenks avec une curiosité non dissimulée. Données extraites d'Alcastarz, sans doute?

    L'amiral acquiesça, mais prit le temps d'entraîner ses agents à l'écart de la foule – et aussi des dispositifs d'écoute et de surveillance dûment recensés de l'ambassade asari – avant de poursuivre:

    –- En effet. D'après le décompte des corps, nous savons que Maya Brooks – ou quel que soit le véritable nom de cette criminelle – a pu fuir en navette avec plusieurs cadres et scientifiques du pénitencier, et sans doute aussi quelques anciens agents d'élite de Cerberus qui y étaient détenus; mais il n'est pas encore possible de déterminer exactement lesquels à l'heure actuelle. Le directeur Kapoor n'en faisait en tout cas pas partie: il a été retrouvé dans son bureau du secteur administratif d'Alcastarz, exécuté d'une balle dans la tempe. Ce pantin n'était apparemment plus considéré comme un élément utile dans les plans de Brooks.
    Autre chose... D'après vos indications, nous avons pu remonter la trace de toutes les 'taupes' au service de Brooks, c'est-à-dire les personnels de l'Alliance ayant effectué une période sur Alcastarz, avant d'être réaffectés ou rendus à la vie civile. Pour la plupart, ils ont pu être retrouvés et arrêtés. Quelques uns ont dû être abattus; certains autres sont parvenus à se fondre à temps dans le paysage, et sont toujours activement recherchés. En tout état de cause, le noyau des cellules clandestines de Brooks a été démantelé. Mais on ne saurait dire combien d'autres agents ils ont pu recruter, combien d'autres cellules cloisonnées ils ont pu former. Nous parlons peut-être là d'un véritable cancer en expansion au cœur de la galaxie!...
    –- En a-t-on appris davantage sur les plans que Maya Brooks avait pour le
    Citadel et pour Dame Qoliad? s'enquit Andrak. Sait-on pourquoi elle voulait la Spectre en vie, et la frégate en état de vol?
    –- Oh oui!
    répondit l'amiral. En fait, son plan était à la fois fort simple... et parfaitement diabolique! Il était apparemment question de bourrer le SSV Citadel d'explosifs et d'ézo instable, et de l'armer d'un personnel réduit de fanatiques, comprenant aussi quelques spécialistes de votre équipage qui auraient été soigneusement épargnés et contraints à collaborer. Le transpondeur authentique de la frégate capturée, ainsi que les accréditations et données biométriques soutirées à Dame Qoliad, auraient alors permis à cette véritable bombe volante de venir s'arrimer directement aux quais sécurisés du Ministère de la Défense Concilien! D'après nos projections, l'explosion aurait vraisemblablement rasé l'ensemble des bâtiments ministériels, et causé un maximum de victimes civiles collatérales sur l'Anneau du Présidium. Maya Brooks n'aurait en outre pas manqué d'en tirer parti pour décrédibiliser les Spectres et le Conseil, quand cet acte terroriste aurait été revendiqué par une Spectre asari renégate disparue dans la nature!... Cerise sur le gâteau, en volatilisant le MDC, elle aurait eu de grandes chances d'y éliminer en même temps le sur-amiral Shepard, l'icone même de l'Humanité pro-alien...
    –- Par la Déesse!
    murmura Feylin, qui s'était faite inconsciemment la porte-parole de ses trois compagnons, muets de stupeur devant l'audace d'un tel plan.
    –- Et du même coup, annonça la voix ferme d'un nouveau venu, Brooks assurait sa petite vengeance personnelle contre l'homme qui l'avait envoyée croupir en prison. Cette femme a du génie; mais il faut admettre qu'elle a toujours eu un sale petit côté mesquin!...

    Tout le monde se retourna pour saluer respectueusement l'arrivée du sur-amiral John Shepard, l'invité d'honneur de cette soirée. Très élégamment cintré dans son uniforme de cérémonie, le héros de la galaxie affichait une belle cinquantaine bien portante, et se montrait décidément toujours aussi doué pour susciter une sympathie immédiate chez ses interlocuteurs, quelle que soit leur espèce.

    Deux matriarches asari flanquaient de part et d'autre l'officier humain, toutes deux vêtues de robes extrêmement soignées, dont la sobriété apparente ne faisait que souligner la confection sans défaut. La première était Dame Novo, l'ambassadrice de la République asari sur la Citadelle, et la maîtresse de cette cérémonie; la seconde matriarche n'était autre que la probatrice Sialan T'Ribas, qui semblait parfaitement remise des graves blessures reçues sur Alcastarz. En l'absence de toute assistance médicale, elle n'avait dû sa survie qu'aux soins assidus dispensés par l'Ingénieur Sudaj Lenks: l'infirmier officieux de l'Unité N°1 avait en effet su mettre à profit toutes les connaissances empiriques qu'il avait pu accumuler sur la physiologie asari, en rafistolant très régulièrement Guerdan ou Feylin. Sialan dédia d'ailleurs, au cours de ses salutations, une inclinaison du buste tout particulièrement appuyée à l'adresse du Galarien.

    D'un geste discret, Dame Novo fit former un cercle étroit l'unissant à la probatrice, aux quatre agents, et aux deux amiraux présents. Puis c'est à à mi-voix qu'elle s'adressa à eux, en tâchant cependant d'éviter les mines de conspiratrice qui ne pourraient qu'attirer l'attention de la foule alentours:

    –- Bien, après moult palabres, je suis enfin parvenue à arracher l'assentiment de la vénérable probatrice T'Ribas ici présente. Nous voici donc tous d'accord: ce qui fut le secret honteux de Dame Qoliad, que nous connaissons tous ici... nous devrons rester les seuls à le connaître! Pour tous, et pour toujours, Guerdan Qoliad demeurera le bouclier des valeurs conciliennes, et le modèle des vertus de courage et d'engagement. Au lieu de personnifier l'opprobre, son nom restera ainsi, pour plusieurs siècles encore, un exemple pour les jeunes générations asari à venir. Un exemple qui, je l'espère, continuera à pousser nombre de demoiselles parmi les plus douées et les plus motivées à intégrer la formation des commandos de la République. Croyez-moi, probatrice T'Ribas, sur le long terme, c'était bel et bien le meilleur choix pour l'avenir de notre peuple...
    –- Oui, oui
    , répondit celle-ci d'une voix lasse. Vous m'en avez déjà convaincu, ambassadrice; inutile de revenir là-dessus. Je saurai faire taire mes doutes et mes remords: pour le bien de notre peuple par-dessus tout, comme m'y astreint mon allégeance au Code des probatrices.

    Le cercle se dispersa aussi vite qu'il s'était formé. Le sur-amiral Shepard s'éloigna avec l'ambassadrice Novo, et les agents avec leur supérieur direct l'amiral Padias Eldon. Seule Feylin Adamas éprouva le besoin de demeurer en compagnie de Sialan T'Ribas, dont elle ressentait le trouble:

    –- Vous avez fait le bon choix, vénérable probatrice, la rassura-t-elle. Un silence n'est pas un véritable mensonge, même selon votre Code. Et puis, vous savez très bien que l'ambassadrice a raison: bien des certitudes s'effondreraient chez nos sœurs, si une icone aussi incontestable que l'était, que l'est toujours Dame Qoliad, se retrouvait aussi radicalement remise en question. Savez-vous que c'était déjà son exemple, les légendes qui couraient sur elle dès les débuts de sa carrière de Spectre, qui m'ont poussée à franchir le pas, à entamer une formation militaire, et à me donner à fond dans le développement de mes capacités biotiques, dans le seul espoir de parvenir un jour à lui ressembler?! Imaginez-vous quel orgueil j'ai ressenti, le jour où j'ai appris que j'avais été jugée digne de pouvoir servir sous ses ordres directs? Par la Déesse, je... Je n'arrive toujours pas à admettre qu'elle soit... partie! Quelle perte irréparable...
    –- C'est peut-être mieux ainsi, pourtant
    , répondit Sialan d'un ton indifférent, comme si elle tentait de se convaincre de la justesse de ses propres mots. Je sais qu'une battante telle que l'était Guerdan n'aurait jamais pu tenir bien longtemps dans un monastère Ardat-Yakshi. Et je crois que je n'aurais jamais eu le cœur de l'exécuter moi-même, même avec le Code pour armer ma main. Oui, c'est peut-être mieux ainsi...


    C'est à ce moment que Dame Novo frappa par trois fois dans ses mains, en un appel qui résonna sous l'immense voûte du hall d'honneur de l'ambassade: le signal que le moment était venu d'initier un rituel particulièrement important lors des cérémonies funèbres asari. Il y est en effet d'usage que la famille et les amies de la défunte honorent publiquement sa mémoire par l'évocation d'un unique souvenir marquant, spécialement retenu parmi tous les autres. Ce dernier point n'est pas sans signification, dans la mesure où certaines de ces proches pouvaient avoir côtoyé la chère disparue tout au long de nombreux siècles. Les conversations cessèrent, Asari et invités se regroupèrent au centre du hall, là où la voix portait le mieux. Ce fut le sur-amiral Shepard qui s'avança d'abord, pour apporter la première contribution à ce mémorial éphémère:

    –- J'ai rencontré Dame Qoliad pour la première fois lors de l'entretien d'évaluation que je lui avais fait passer, après que l'amiral Padias Eldon m'ait recommandé cette Spectre émérite pour prendre la tête d'une unité GEIST. Lorsqu'à un moment j'ai dû admettre que j'avais certaines préventions à l'encontre des Spectres asari, suite à quelques déboires avec l'une d'entre elles du nom de Tela Vasir, Guerdan a brutalement quitté mon bureau outrée, sans me laisser la moindre chance d'en placer une, en me lançant, textuellement, «que j'étais un foutu connard, et que si les Asari me débectaient autant, je n'aurais pas dû jouer à docteur Shepard avec le docteur T'Soni!» Notre second entretien a heureusement été bien plus constructif... J'ai appris par la suite que Guerdan et Tela Vasir avaient toujours été à couteaux tirés, en particulier au sujet de leurs conceptions diamétralement opposées du métier de Spectre. Voilà quel genre de personne de caractère était Dame Guerdan Qoliad.

    Son éloge achevé, le sur-amiral regagna sa place dans l'assemblée, tout en étendant le bras pour inviter l'intervenant suivant à venir prendre la parole. Le lieutenant-major Damon da Costa, le Sniper humain de l'Unité N°1, s'avança donc à son tour:

    –- Une fois, pendant une mission sur Namakli, on s'était retrouvés coincés sur le flanc d'une vallée de montagne, cloués derrière nos rochers par la demi-douzaine de mitrailleurs vortchas qui s'étaient retranchés sur l'autre versant. Pas moyen de lever le nez sans se faire allumer! Et bien sûr, c'est Guerdan qui nous a sortis de cette situation merdique en quittant son couvert pour attirer les tirs sur elle, après avoir levé une de ces Barrières biotiques impénétrables dont elle avait le secret. Pendant qu'elle courait d'un rocher à l'autre en donnant l'impression de chercher une position de flanquement, j'ai pu repérer et aligner les Vortchas un par un, jusqu'au dernier. Guerdan nous a rejoints après ça. Et cette foutue Spectre, qui venait de cavaler sous une grêle d'acier, souriait comme si elle revenait de sa course d'entraînement matinale! Voilà quel genre de chef était Dame Guerdan Qoliad.
    –- Lors d'une évacuation d'urgence sous le feu ennemi
    , relata à son tour Feylin Adamas, un dernier tir avait brusquement déséquilibré notre navette qui s'éloignait. J'ai été assommée, et éjectée par la trappe d'accès encore ouverte. Guerdan a réussi in extremis à me retenir suspendue dans le vide, alors même que son bras avait été gravement atteint. Elle ne m'a lâchée qu'après que nous nous soyons déplacés hors de portée du danger, avant que ses dernières forces ne l'abandonnent. Et elle a consacré celles-ci à me placer durant ma chute dans un champ de Stase, qui m'a protégé au moment de l'impact au sol. C'était ma première mission avec elle, et la première fois qu'elle me sauvait la vie. Voilà quel genre de chasseresse asari était Dame Guerdan Qoliad.

    Enfin ce fut au tour de Sudaj Lenks de retracer un moment marquant de ses presque quatre années passées sous les ordres de la Spectre disparue. Touché par la solennité du moment, le Galarien prit soin de ralentir son débit naturel et de bien détacher ses mots:

    –- Durant une course-poursuite dans les bas-fonds d'Oméga, Guerdan et moi nous nous étions retrouvés bloqués par un portail verrouillé, alors que tout un gang nous talonnait. Je lui ai dit qu'il me faudrait vingt secondes pour forcer l'ouverture, si elle me couvrait. L'ennemi nous a rejoints pendant que je travaillais; Guerdan a déployé un Dôme biotique autour de nous, et les échanges de tirs ont commencé. L'opération m'a finalement pris une trentaine de secondes en tout. J'ai bien senti deux coups de botte agacés m'arriver dans les reins pendant le délai supplémentaire... Mais pas une fois je ne me suis senti en danger, pas une fois je n'ai perçu un impact de balle trop proche de moi. Lorsque j'en ai eu fini, les tirs avaient déjà cessé. Guerdan avait reçu deux blessures en me protégeant. Et dans le couloir en face d'elle, six adversaires étaient étendus au sol, plus un encore emprisonné dans une Singularité biotique. Les autres avaient battu en retraite devant une résistance si acharnée. Voilà quel genre de Spectre était Dame Guerdan Qoliad.

    Plusieurs autres Asari présentes, dont l'ambassadrice Novo, vinrent à leur tour porter témoignage du courage, de l'intégrité, ou du caractère sans concessions de Dame Qoliad. La probatrice T'Ribas semblait tiraillée par des émotions contradictoires lorsqu'elle refusa d'un geste muet, le visage baissé, l'honneur de prendre la parole la dernière. Lorsqu'un peu plus tard ce soir-là, Feylin voulut aller échanger à nouveau quelques mots avec elle, ce fut pour s'apercevoir que la fière probatrice s'était déjà éclipsée, sans se signaler, avec la même discrétion dont elle avait déjà su faire preuve lors de leur première rencontre dans l'Hôtel Siari sur Lusia. À bien y penser, cette mise en retrait était compréhensible. Si la disparition de Dame Qoliad laissait toute l'Unité N°1 orpheline, il était pourtant probable que Sialan souffrait plus intimement encore de cette perte irréparable. Feylin douta de jamais croiser à nouveau un jour la route de la probatrice; mais après tout, sur les quelques trois siècles qui restaient encore à vivre à la vénérable matriarche, tout restait possible...

    L'Asari rejoignit le groupe de ses amis, en pleine conversation avec le sur-amiral John Shepard et avec l'amiral Padias Eldon. Le ton du héros humain était particulièrement passionné, mais Feylin ne parvint à capter que les dernières bribes de sa tirade:

    –- ...Remonter la trace de Brooks fait désormais partie de nos priorités absolues, amiral. Vous comprendrez sans doute que je considère son cas de manière très personnelle. D'une, je suis particulièrement bien placé pour savoir tout ce dont cette fichue voleuse de vaisseaux est capable; et de deux, c'est à cause d'un choix stupidement généreux de ma part, voici vingt ans, qu'elle est encore en vie et a donc pu faire tout le mal qu'elle a fait. Alors quand vous l'aurez retrouvée, eh bien... Ma foi, d'ordinaire, je ne cautionne pas le meurtre légalisé. Mais là, ajouta-t-il avec un clin d'œil appuyé à l'adresse des agents, vous avez carte blanche!

    Le sur-amiral vit venir le moment de faire ses adieux à l'équipe, ce qu'il concrétisa en serrant chaleureusement la main de chacun des agents:

    –- Mes amis, je vous souhaite une belle fin de soirée, et vous laisse à présent entre les mains de l'amiral Padias Eldon. Je crois qu'il a encore quelques nouvelles pour vous; et ce vieux pirate ne me pardonnerait pas de lui gâcher ses effets...

    L'intéressé tiqua imperceptiblement sous la pique de son supérieur. Le vieux Galarien toujours pressé prit pour une fois le temps de laisser s'éloigner le héros de la galaxie, décidément bien trop charismatique à son goût, avant d'aborder enfin seul avec ses agents les sujets qui lui tenaient à cœur:

    –- Bien, avant de parler de l'avenir de votre unité, je dois vous faire part d'une chose. Notre amie Feylin Adamas, vous le savez peut-être, était pressentie depuis plusieurs missions déjà pour être promue au rang d'agent Spectre à part entière. L'examen de ses toutes dernières actions sur Digeris, Lusia et Alcastarz, a achevé de me convaincre d'appuyer sa candidature auprès du Conseil. Et après agrément de celui-ci, je viens tout juste d'informer notre amie de son admission au sein des rangs de cette prestigieuse et vénérable institution...

    L'amiral prit le temps de savourer l'instant de stupeur qu'il put lire sur les visages du Butarien, de l'Humain, et du Galarien qui lui faisaient face, avant de poursuivre:

    –- ...Cependant, l'honneur de diriger une équipe GEIST n'est généralement confié qu'à des Spectres déjà expérimentés, et particulièrement distingués. Feylin n'aurait donc pu reprendre la tête de l'Unité N°1 si elle avait été promue; il lui aurait fallu quitter votre équipe, afin d'entamer sa nouvelle carrière d'agent solo. Et c'est pourquoi elle a décidé de renoncer provisoirement à cette promotion, afin de pouvoir demeurer avec vous pour quelque temps encore...

    Damon, Lenks et Andrak tournèrent tous trois vers Feylin un regard muet où se mêlaient étonnement, admiration, et reconnaissance. L'Asari surjoua intentionnellement le sourire condescendant qu'elle rendit à ses camarades:

    –- Hey, les garçons, c'est juste le temps de quelques dernières missions ensemble: un an, deux tout au plus; bref, trois fois rien dans la vie d'une Asari! Et puis, comment feriez-vous sans moi pour vous ouvrir la voie, quand un obstacle a besoin d'être un peu bousculé?!
    –- Merci à toi en tout cas, Tornade Bleue
    , répondit Damon avec chaleur. Bon, je ne vais pas prétendre que je ne savais pas à quel point on compte pour toi. Tu aurais surement fait une Spectre formidable; mais c'est vrai, je trouve quand même plus rassurant de te garder à nos côtés...
    –- Reste qu'il nous faut tout de même nouvel agent Spectre à la tête de l'unité
    , rappela Lenks en se tournant à nouveau vers son vénérable aîné. Je devine que vous avez déjà fait votre choix, Monsieur?
    –- Naturellement
    , répondit le vieux Galarien avec un demi-sourire d'autosatisfaction. Plusieurs noms de Spectres chevronnés étaient sur les rangs; mais à mes yeux, l'un d'eux sortait très nettement du lot. Le sur-amiral Shepard a approuvé ma proposition avec enthousiasme, et je vous assure que cela ne tient pas uniquement au fait qu'il s'agisse d'une de ses congénères, et consœurs. Oui, votre nouveau chef d'unité est en effet un officier d'élite des Forces Spéciales de l'Alliance, de rang N7. C'est une biotique, tout comme l'était Dame Qoliad – et de ce que j'en sais, c'est l'une des plus puissantes que l'Humanité ait jamais produite! Combattante distinguée à d'innombrables reprises, leader né, avec une compétence reconnue dans le commandement d'équipes inter-espèces les plus hétérogènes. Spectre depuis seulement cinq ans, mais possédant déjà un palmarès extrêmement impressionnant en tant qu'enquêtrice et, hum, pacificatrice. Son nom vous dira peut-être quelque chose: il s'agit du capitaine Saïda Keren.

    À l'énoncé de ce nom, Damon écarquilla les yeux avant d'émettre un long sifflement. Les autres agents avaient heureusement appris par ailleurs ce que traduit cet étrange comportement humain, car ils n'avaient pas souvent entendu une manifestation d'admiration si éloquente de la part de leur ami:

    –- Saïda Keren? La Saïda Keren?! 'Vache!
    –- Tu as déjà entendu parler d'elle?
    lui demanda Feylin d'un ton intrigué.
    –- Mais mon sucre bleu, tous les N7 ont déjà entendu parler d'elle! Et aussi tous les officiers de terrain de l'Alliance, et sans doute à peu près tous les petits puceaux sur Terre qui rêvent de devenir N7... Cette femme-là est une légende! Ce n'est pas juste une biotique d'une puissance hors du commun: c'est aussi une référence en matière de survie en milieu hostile, une tacticienne et une athlète exceptionnelle; j'en passe et des meilleures... Elle a été graduée N7 tout juste dix ans avant moi – elle doit avoir une petite quarantaine d'années aujourd'hui. Elle avait alors proprement explosé tous les scores enregistrés à chacune des épreuves qu'elle a passées! Et quand j'ai passé celles-ci à mon tour dix ans plus tard, au Camp Anderson de Gibraltar, presque tous les standards de référence à battre étaient encore les siens! Bon, j'ai tout de même dû en dépasser une paire, mais de quelques points seulement...
    –- Le capitaine Keren
    , intervint l'amiral galarien d'un ton gêné, a décliné notre offre de prendre part à cette cérémonie. Elle a demandé à vous rencontrer, appelons cela sur son propre terrain, dans les locaux qui lui servent généralement de quartier général.
    –- Je suppose: au Bureau des Spectres, quartier des Ambassades?
    avança Lenks.
    –- Eh bien en fait... non! répondit l'amiral, visiblement très embarrassé. Le capitaine Keren semble avoir décidé d'établir, hum, ce qui ressemble le plus à une base d'opérations permanente... dans un établissement de loisirs appelé Le Purgatoire, situé sur le Présidium! Personnellement, hum, je ne m'y suis jamais rendu; mais l'endroit traîne une réputation assez sulfureuse...

    * * * * * *

    L'immense bar-dancing connu sur tout le Présidium sous le nom de 'Purgatoire' avait été rebâti et réaménagé à l'identique, après les lourds dégâts subis vingt ans plus tôt par la Citadelle, lors des ultimes combats de la Guerre du Dernier Cycle. Dès qu'ils en franchirent l'entrée, Damon, Feylin, Andrak et Lenks passèrent donc sans transition de la paisible terrasse servant de parking aérien à l'établissement, baignée du doux ensoleillement artificiel de l'Anneau du Présidium, à un authentique chaudron de passions débridées, plongé dans une obscurité irrégulièrement déchirée d'éclats stroboscopiques, et secoué du battement assourdissant des basses d'une musique électronique démente. L'endroit était surpeuplé d'une foule bigarrée d'êtres de toutes espèces spécialement venus ici pour s'éclater, et dont la conception du défoulement allait de la frénésie dansante la plus échevelée, à la catalepsie éthylique la plus avancée.

    Une fois passées les podiums de "compositions chorégraphiques" de jeunes Asari fort peu vêtues, les agents localisèrent et identifièrent rapidement le capitaine Saïda Keren, d'après les photos jointes au dossier que l'amiral avait fait transférer sur leurs Omnitechs. La Spectre humaine occupait le canapé principal de la plate-forme VIP, juste en-dessous du dancefloor. La mémoire eidétique de Sudaj Lenks lui restitua plusieurs images d'archives datant de la dernière Guerre, où l'on pouvait reconnaître Aria T'Loak, la reine officieuse d'Oméga, trônant sur ce même canapé rouge. Une sacrée référence!


    Un nombre difficilement estimable de verres vides, debout ou renversés, étaient rassemblés sur la table lumineuse en face de l'Humaine. Mais celle-ci n'était pas responsable à elle seule d'une si hallucinante consommation d'alcool, puisqu'elle partageait table et beuverie avec un militaire turien d'âge mûr assis en face d'elle, portant sur son uniforme les insignes de colonel. La différence, c'était qu'alors que l'Humaine semblait aussi fraîche que si elle ne venait de descendre qu'un verre d'eau de source, le Turien, lui, gisait ivre mort, face contre la table dans une large flaque de ce qui semblait être la résurgence de son dernier repas. Ayant noté l'arrivée de nos quatre agents, la Spectre se pencha et secoua de la main les crêtes saillantes du crâne du Turien reposant sur la table en face d'elle:

    –- Hé, Tarsius! Il est temps de rentrer te pieuter, colonel chéri... Pff, décidément, tu n'as jamais su tenir l'alcool!

    L'Humaine éleva le bras en direction de l'entrée, et deux videurs butariens vinrent presque aussitôt soulever délicatement sous les aisselles l'épave du militaire turien, avant de l'entraîner hors de l'espace VIP. Alors que le trio passait devant eux, les agents perplexes en étaient presque à se demander si la Spectre n'était pas tout simplement la véritable propriétaire de l'établissement. Verre en main, celle-ci leur fit signe de venir la rejoindre. Alors qu'ils s'assemblaient face au canapé, elle leur lança avec un sourire faussement contrit:

    –- Vous m'excuserez si je ne vous invite pas à vous asseoir, mais comme vous le voyez, mon pote Tarsius a quelque peu salopé l'endroit... Touchez-y pas, c'est du dextro!

    Lenks, Andrak, Feylin et Damon avaient déjà commencé à détailler leur nouvelle patronne, chacun de son côté, afin de mieux la jauger. L'Humaine était vêtue de façon simple et pratique: boots militaires, pantalon de toile à poches multiples, et T-shirt de l'Alliance brodé du sigle N7. Sa taille plutôt menue ne disconvenait pas à une puissante combattante biotique spécialisée dans l'ouverture et la conclusion des affrontements à la plus longue distance possible. Et sa ligne des plus sveltes allait de pair avec son visage émacié, taillé en triangle, bordé de cheveux d'un noir de jais ramenés en une courte queue de cheval. Mais son trait physique de loin le plus notable, c'était ses grands yeux d'un magnifique bleu aquamarin, visiblement naturel: une extrême rareté au sein de l'humanité métissée du 23e Siècle, probablement liée à un gène récessif.

    –- Alors comme ça, reprit la Spectre en les détaillant à son tour, c'est vous l'Unité N°1, la crème des GEIST, les Quatre de Guerdan? Si vous saviez... Elle me parlait de vous à chaque fois qu'on se voyait. Elle était si fière de vous tous, vous n'en avez même pas idée. Il va falloir que je me sorte ses commentaires de la tête, si je veux me faire ma propre impression...
    –- Vous étiez une intime de Dame Qoliad
    , hurla presque Andrak scandalisé, et vous n'avez même pas fait l'effort de venir à la cérémonie en son honneur, juste à côté?! Mais quelle sorte de femme êtes-vous donc?!

    Saïda Keren se leva brusquement de son canapé pour répondre à l'accusation, d'un ton sans doute plus vif qu'elle ne l'aurait voulu, signe que le sujet lui tenait réellement à cœur sous ses dehors désinvoltes:

    –- Pas le genre qui vienne jouer les potiches dans les cérémonies protocolaires asari: trop d'oraisons compassées et de formules creuses à mon goût, trop de pétasses bleues endimanchées, et surtout, pas assez d'alcool! J'ai ma propre façon bien à moi de commémorer mes disparus, en petit comité, ajouta-t-elle en ouvrant le bras vers la table couverte de verres vides: à la manière d'un soldat, pas à celle d'une politicienne! Guerdan et moi, on s'était parfois croisées au Bureau des Spectres. On se connaissait de réputation, et on avait fini par décider de confronter notre puissance biotique en arène virtuelle. Il y aura eu en tout une demi-douzaine de rencontres; avec sa disparition, on en restera définitivement sur un score de 3 partout...
    Quant au Turien que vous venez de voir sortir de la façon la moins digne qui soit, c'était le colonel Tarsius Viik: un héros de guerre couvert de décorations, un modèle chez les siens... Et voyez combien la nouvelle de la mort de votre ancienne patronne l'a anéanti! C'est une connaissance que Guerdan et moi on avait en commun. Durant la guerre contre Cerberus et les Moissonneurs, son unité et lui-même avaient été assignés en soutien de ma collègue Spectre sur une de ses missions, alors qu'elle opérait encore en solo; et comme vous pouvez vous en douter, la connaissant, ça avait pas mal clashé entre eux la première fois! Je dis la première, car finalement ils ont été amenés à bosser ensemble sur au moins deux autres missions de ma connaissance... Je crois qu'à la longue, Tarsius avait vraiment fini par apprécier leur collaboration. J'ai même l'impression que le pauvre en pinçait un peu pour elle! Les Turiens ont toujours eu une attirance assez malsaine pour les cicatrices...
    –- Heureusement pour lui que cette idylle ne se soit jamais concrétisée!
    songea Feylin qui ne s'était toujours pas faite à l'idée d'avoir si longtemps travaillé sous les ordres d'une Ardat-Yakshi, sans avoir jamais rien soupçonné.
    –- Bon, poursuivit la Spectre, je crois qu'il est temps maintenant de planter les bases de notre future collaboration. Je me doute que vous avez déjà tous pris connaissance de mon dossier. Rassurez-vous, j'ai également parcouru les vôtres. Ceci dit, je connaissais déjà bien sûr certains d'entre vous, de réputation. Toi spécialement: lieutenant-major Damon da Costa... gradué N7, promotion 2200. Ça fait plaisir de se retrouver en famille, tu ne trouves pas?

    Ce disant, Saïda était venue plaquer de manière provocante le sigle N7 qu'elle arborait sur sa poitrine menue presque tout contre le modèle équivalent exposé sur le large poitrail de son congénère humain.

    –- Oh, mais je crois me rappeler, reprit-elle d'un air faussement innocent, son grand regard bleu plongé dans les yeux noirs du lieutenant au-dessus des siens. Tu préfères les garçons, n'est-ce pas?
    –- Selon les moments, j'aime aussi les femmes de caractère, Madame
    , répliqua Damon du ton le plus neutre qu'il parvint à formuler. Il m'est même parfois arrivé d'apprécier mes supérieurs hiérarchiques, pour autant qu'ils sachent faire preuve d'un minimum de respect... envers les autres, et aussi envers eux-mêmes!
    –- Ne la ramène pas trop, mon petit lieutenant
    , reprit Saïda d'une voix sourde, nettement moins lascive. Je sais que tu es parvenu à dépasser deux de mes scores lors de tes propres épreuves de qualification N7. Pas mal du tout... Mais pour autant, ne va pas t'imaginer que j'ai accusé de l'âge entretemps. Au contraire, j'ai eu quinze ans pour m'améliorer, pour affiner mes performances. Crois-moi, si on devait à nouveau se confronter sur le terrain... je te ferais pleurer, marine!

    Reculant de trois pas pour prendre un peu de champ, la Spectre embrassa du regard les quatre agents figés dans la lumière des stroboscopes. Ses yeux bleu pale s'étaient faits de glace, et un pli peu amène déformait sa lèvre lorsqu'elle s'adressa à eux d'un ton abrupt:

    –- Cela vaut pour vous autres aussi. Croyez-le ou pas, mais je possède peut-être plus d'expérience du merdier que vous tous réunis. Avant de devenir Spectre, j'ai pris la tête des meilleures escouades des Forces Spéciales de l'Alliance dans les opérations secrètes les plus pourries, dans des trous du cul de la bordure galactique dont vous n'avez jamais entendu parler. Certains d'entre eux, vous n'en entendrez d'ailleurs plus jamais parler... Et j'ai également mené au combat à de nombreuses reprises des équipes de contractuels inter-espèces, dans des missions plus crades encore. Eh oui, des mercenaires, auxquels il m'a souvent d'abord fallu inculquer la notion de loyauté à coups de pompes dans les dents!... Quant aux missions de Spectre en solo qui ont suivi, plusieurs d'entre elles feraient passer votre baroud sur Alcastarz pour une démo de l'Armax Arena en mode petit bras!
    –- Punaise!
    murmura Damon. C'est moi, ou la température vient de baisser dans le bar?
    –- L'amiral me surprendra toujours
    , commenta rapidement Lenks à voix basse. Il devait juste trouver remplaçante à Guerdan... Et là, il a carrément mis la main sur nouvelle Guerdan! Avec 600 ans de moins, et cheveux en plus...
    –- ...Et aussi des oreilles de Vortcha, Ingénieur Sudaj Lenks!
    l'interpela Saïda par-dessus la sono tonitruante du Purgatoire. Mais s'il y a bien un domaine où vous, vous savez tout, et moi rien, c'est sur le fonctionnement symbiotique d'une unité des Groupes d'Enquête, Infiltration & Sécurisation Trans'espèces. Pour le peu que j'en sache, cela n'a rien apparemment à voir avec tous les autres commandements – cadors des Forces Spéciales, ou putains de mercenaires! – que j'aie pu assumer jusqu'à ce jour...
    Je suis bien consciente que là, je viens fourrer mes pieds dans les pompes encore chaudes de Guerdan Qoliad, que vous avez toujours connue à la tête de cette unité; alors que moi, vous ne me connaissez pas. Je comprends donc que cela puisse déranger certains d'entre vous, pour dire le moins
    , ajouta la Spectre, qui semblait parvenir de manière assez déconcertante à sonder en même temps le fond des quatre yeux d'Andrak. Mais on a tous ici le même boulot à faire, l'un des plus importants qui soit dans toute cette foutue galaxie. Je compte donc sur vous tous pour m'inculquer bien comme il faut ce que c'est au juste que "l'esprit GEIST", afin que je puisse prendre mes marques au plus vite. Alors n'ayez pas peur de bousculer mes certitudes et de me remettre en question, si c'est pour le bien de tout le monde. J'insiste sur ce point...

    Une fois sa harangue terminée, et le nouveau rapport des forces dûment établi, l'attitude de la Spectre changea très sensiblement. Elle semblait décidément vouloir déstabiliser davantage encore sa nouvelle équipe en soufflant alternativement le chaud et le froid, selon le système éprouvé de la douche écossaise. Ses épaules s'étaient en effet nettement détendues, et ses yeux de glace s'animaient à nouveau d'un pétillement malicieux, lorsqu'elle s'adressa cette fois-ci à sa nouvelle unité avec un large sourire:

    –- Haut les cœurs, mes canards! J'ai le sentiment qu'on va faire de grandes choses ensemble!

    _[ FIN ]_

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