- Épisode 7: Protocole Ground Zero
Anneau du Présidium sur la Citadelle –
Quartier Général du SSC, niveaux techniques
Lorsque Feylin Adamas émergea de la cabine d'ascenseur au niveau des hangars à navettes, en compagnie d'Andrak et de Lenks, ce ne fut que pour apercevoir les dos bleus d'un petit nombre de personnels techniques du SSC, d'espèces variées, qui filaient au grand trot dans la direction opposée à celle vers laquelle l'Omnitech de l'Asari voulait la guider. Le seul être à se diriger dans la direction inverse était un Veilleur, une de ces étranges petites bestioles vertes que ni les alertes, ni rien de ce qui se passait sur la Citadelle ne semblaient vraiment concerner. Le son lancinant et répétitif d'une alarme discrète, mais néanmoins omniprésente, emplissait l'air tout au long de ces couloirs de service.
Les petits groupes de fuyards s'éloignaient déjà, mais Feylin parvint cependant à intercepter un traînard: un Elcor à la nuque et au dos recouverts d'une chasuble aussi vaste qu'une couverture, d'un bleu assorti à celui de ses brassards et de sa culotte, qui le désignaient comme un agent d'entretien des locaux du SSC. Le pachyderme mouvait son énorme masse en se dandinant avec une lenteur empressée sur ses quatre membres épais. Feylin vint courageusement se planter devant la masse intimidante de l'Elcor en fuite, et éleva la main tout en lui demandant:
–- Excusez-moi, citoyen. Pourriez-vous me dire ce qui se passe là-bas?
L'agent d'entretien s'arrêta dans sa course au ralenti. Puis il entreprit de répondre à l'Asari de ce débit lent et monocorde si typiquement elcor, dont l'absence totale d'intonations ne pouvait en aucun cas pallier à l'inexpressivité absolue de son faciès granitique:
–- Perplexe: Je ne sais pas trop. J'ai entendu ce qui ressemblait à des coups de feu, à l'intérieur de la baie pour navettes N°15, là derrière. Informatif: Une patrouille d'agents du SSC déjà présente sur place a procédé à la sécurisation des lieux; ils nous ont intimé l'ordre de nous éloigner du site. Légèrement inquiet: Si cela ne vous fait rien, je préférerais y aller, maintenant. S'il vous plait.
Feylin libéra le passage avec obligeance, tout en remerciant le volumineux civil d'un sourire encourageant. L'Asari se fit cependant presque aussitôt la réflexion que ce genre d'expression faciale ne signifiait généralement pas grand-chose pour les Elcors! Le petit groupe d'agents reprit ensuite sa route droit devant lui, en finissant par bifurquer vers la coursive desservant les hangars pour navettes légères N°13 à 15.
Deux patrouilleurs du SSC avaient effectivement déjà délimité un périmètre de sécurité autour du grand panneau d'accès au hangar N°15, à l'aide de bandes holographiques réglementaires de couleur bleue. Tous deux étaient équipés des mêmes armures légères bleues, des mêmes fusils M-15 Vindicator pointés vers le sol; et tous deux étaient turiens. Rien d'inhabituel en temps normal, mais... Feylin n'eut qu'un bref regard à échanger avec ses deux compagnons, pour s'assurer que tous trois étaient bien sur la même longueur d'onde, en état d'alerte.
Andrak et Lenks évaluèrent rapidement le terrain. Ces coursives de service, relativement étroites, s'élargissaient toutefois sensiblement face aux panneaux d'accès des baies pour navettes, en une sorte de petite place semi-circulaire meublée de quelques bancs et tablettes. En plein centre de chacune de ces placettes, se dressait également l'un de ces gros massifs de plantes vertes qui agrémentaient à peu près tous les lieux plus ou moins fréquentés de la Citadelle. Les agents du Conseil bénirent le fait que l'on trouvât ce genre d'aménagements décoratifs même ici, au fin fond des niveaux techniques les plus reculés: l'épaisse structure bétonnée de l'agencement paysager était en effet susceptible de leur fournir un abri d'urgence tout à fait viable, au cas où une fusillade se déclencherait! Lenks et Andrak notèrent cependant aussi avec regret, à proximité immédiate des deux Turiens suspects, la présence d'une large console technique contiguë à l'entrée du hangar à navettes, et dont la configuration en fer à cheval pouvait fournir un excellent poste de tir, permettant de couvrir en toute sécurité jusqu'à 180 degrés.

- Deux officiers turiens du SSC - Peut-etre amis, peut-etre ennemis.jpg (217.96 Kio) Consulté 1286 fois
Feylin se détacha du groupe, pour s'avancer d'un pas décidé vers le périmètre tenu par les deux flics turiens. Tandis qu'elle attirait ainsi sur elle l'attention de ces derniers, le Galarien et le grand Butarien demeurés en arrière se rapprochèrent imperceptiblement du massif paysager. La bande holographique de confinement émit un bip d'alerte, lorsque l'un des Turiens la traversa pour s'avancer à la rencontre de l'Asari, paume levée vers elle.
–- Sergent Densimus, Madame, s'annonça l'officier de police.
Veuillez demeurer à distance, je vous prie: on a un Code 8-8 en cours à l'intérieur. Une équipe Hazmat est déjà sur place, en train de sécuriser les lieux.
Entre le moment où elle avait quitté ses sœurs chasseresses de la Garde de Serrice, et celui où elle était devenue un agent GEIST au service direct du Conseil, Feylin Adamas avait servi durant quelques années au SSC. C'était à l'époque qui avait immédiatement suivi la victoire sur les Moissonneurs, lorsque les effectifs des forces de sécurité de la Citadelle étaient aussi ravagés que la Citadelle elle-même. La jeune Asari savait donc pertinemment que dans la terminologie du SSC, un Code 8-8 correspondait au traitement d'une fuite d'élément zéro: un risque environnemental majeur, qui justifiait la mise en place d'une procédure prioritaire de confinement, la coupure de tout circuit électrique sur les lieux, ainsi que l'établissement d'un périmètre d'exclusion proportionné à l'ampleur estimée de la fuite. A priori donc, toujours rien d'inhabituel pour l'instant..
–- On nous a rapporté des bruits de coups de feu à l'intérieur, sergent, avança Feylin, toujours sur ses gardes.
–- Simple confusion, Madame, affirma le Turien sur un ton assuré, très professionnel.
Les détonations entendues correspondent à l'explosion en série de trois gros surtenseurs électriques dans le hangar. L'un d'eux a criblé d'éclats une conduite d'ézo à proximité. L'équipe d'intervention du sergent Rutilus, à l'intérieur, doit d'ailleurs également recueillir les éléments qui permettront de déterminer si cette défaillance est de nature accidentelle ou criminelle.
Le regard du sergent Densimus était droit, et sa voix parfaitement calme, dénuée de la moindre note de stress. Feylin aurait donc pu trouver ses explications tout à fait crédibles, si elle n'avait pas été mise en garde contre l'action possible d'agents infiltrés turiens. L'Asari tenta cependant un dernier coup de bluff, lorsqu'elle porta la main à son communicateur et fit mine de passer un appel, avec toute l'autorité d'un authentique agent Spectre:
–- Régulation? Ici Feylin Adamas, affaires SPECiales & Tactiques de REconnaissance. Mettez-moi en contact direct avec le sergent Rutilus, tout de suite! Il me faut un rapport de sit...
Le sergent Densimus – ou quelle que fût la véritable identité de l'imposteur – n'obtint pas l'effet de surprise escompté, lorsqu'il releva brusquement le canon de son Vindicator en direction de Feylin: l'Asari, prête à la riposte, le repoussa d'une violente Projection biotique droit sur son complice, les envoyant tous deux rouler au sol. Puis elle s'empressa de prendre la tangente de toute la vitesse dont son entraînement de chasseresse la rendait capable, de manière à rejoindre Andrak et Lenks déjà postés à couvert derrière leur massif de plantes vertes. Le temps que Feylin dégage le champ de tir, toutefois, les deux faux agents turiens s'étaient déjà relevés et jetés à l'abri de la console d'accès au quai. Seuls quelques tirs isolés avaient frappé leurs barrières cinétiques, sans parvenir à les saturer.
C'est à peu près à ce moment-là que le capitaine Keren, le lieutenant da Costa, et l'Exécuteur Savenus débouchèrent à leur tour depuis l'autre extrémité de la coursive des hangars à navettes, en plein sur le flanc droit des deux Turiens...
Après avoir atteint le hall d'accueil du SSC, les deux N7 et le commandant du SSC avaient en effet pu constater que la menace immédiate était somme toute assez limitée. Les agents du SSC présents sur place avaient déjà mené leurs propres investigations: ils avaient découvert que les feux qui avaient commencé à semer un début de panique, avaient pour origine deux micro-charges thermiques à retardement, dissimulées pour l'une dans une armoire électrique, et pour l'autre dans le terminal d'interaction vocale d'une I.V. d'accueil de modèle Avina. Les dégâts étaient cependant relativement bénins, et aucune victime n'était à déplorer. En outre, les agents du SSC affectés à l'accueil étaient essentiellement des Asari: celles-ci sont en effet traditionnellement considérées comme d'un abord plus agréable, et plus susceptible de mettre à l'aise les représentants d'à peu près n'importe quelle espèce concilienne. En l'occurrence, il y avait donc peu de chances pour que leurs rangs puissent compter des agents infiltrés, ou que des saboteurs turiens puissent encore agir parmi elles sans en être remarqués.
Saïda Keren avait rapidement avancé l'hypothèse, appuyée en cela par Damon, qu'une diversion de portée aussi limitée – même si particulièrement spectaculaire dans un tel endroit recevant du public – pouvait très bien servir à détourner l'attention d'un autre site moins visible, mais sans doute beaucoup plus sensible. La Spectre humaine avait donc insisté auprès de l'Exécuteur, non sans mal, pour descendre rejoindre au plus vite le groupe de Feylin dans les niveaux techniques. Alors qu'elle atteignait le secteur des hangars à navettes, les premiers coups de feu entendus avaient confirmé son intuition, et l'avaient incitée à accélérer sa course...
Bref, toujours est-il que lorsque les trois nouveaux arrivants déboulèrent sans crier gare sur le flanc droit des faux officiers de police turiens, ces derniers les prirent immédiatement pour cible, les obligeant à se jeter aussitôt à couvert derrière les abris les plus proches d'eux: Saïda plongea derrière la silhouette massive d'une borne d'informations publique qui lui faisait face; Damon effectua une roulade qui le plaça derrière une solide banquette de métal adossée à un plot bétonné; quant à Savenus, il se plaqua derrière un angle de mur du corridor. Sans encore relever la tête, Saïda se mit à tonner d'une voix furieuse:
–- Halte au feu! Agent Spectre! Cessez le feu, nom de Dieu! Vous voulez finir mutés sur Tuchanka, à racler la merde de pyjak radioactive?!
En dépit du danger de la situation, et des rafales qui s'écrasaient à à peine cinq centimètres au-dessus de son crâne, Damon ne put s'empêcher de lancer à sa patronne sur un ton railleur:
–- Tu devrais leur faire ton regard qui tue, ô Œil-de-la-Colère!
–- Ta gueule, Damon! râla Saïda.
C'est vraiment pas le moment pour les vannes!
D'où elle se trouvait, Feylin put entendre les deux Turiens échanger sur un ton paniqué:
–- Esprits! Mais combien ils ont donc rameuté de Spectres dans le coin?!
–- Ferme-la et continue d'arroser!...
Les deux imposteurs mesuraient sans doute déjà combien leur situation était désespérée. Pour autant, ils tenaient encore leur position précaire avec la fermeté et le professionnalisme de soldats de métier – ce qu'ils étaient d'ailleurs vraisemblablement. Tous deux tiraient et se replaçaient à couvert en alternance, mitraillant tantôt la position de Feylin qui leur faisait face, tantôt celle de Saïda qui les flanquait, l'un tirant toujours des rafales plus courtes que l'autre, de manière à pouvoir assurer un feu continu sans se retrouver obligés de changer en même temps la cartouche thermique de leur fusil Vindicator.
Saïda héla l'Exécuteur Savenus tapi derrière son coin de mur, depuis sa propre position hachée par les balles:
–- Monsieur! Je vous assure que ce n'est vraiment pas dans mes habitudes d'ouvrir le feu sur des agents du SSC en uniforme... Mais là, on est bien d'accord que ces deux-là ne font clairement pas partie de vos effectifs?!
–- Allez-y! rétorqua le Turien d'un ton hargneux.
Faites donc ce que vous savez faire de mieux, assassin du Conseil!...
Mais avant même que la Spectre humaine eût pu entreprendre quoi que ce fût, Feylin et son équipe avaient déjà réglé le problème de manière radicale. La chasseresse asari n'eut besoin d'étendre le bras qu'un très bref instant depuis sa couverture, pour ouvrir une puissante Singularité juste au-dessus de la position des deux Turiens. Ceux-ci furent aussitôt happés dans le champ d'attraction de l'anomalie gravitationnelle, et soulevés de terre avant d'avoir pu comprendre ce qui leur arrivait. Dès que les deux pseudo-agents se furent élevés au-dessus de leur bastion, Lenks neutralisa leurs barrières cinétiques et les I.V. de leurs armures d'une seule violente Surcharge de zone. Andrak acheva alors le travail à l'aide de son fusil Chasseur: conjuguées aux traumas corporels déjà causés par la Singularité de Feylin, trois courtes rafales bien groupées suffirent à s'assurer que les deux Turiens ne poseraient plus aucun problème à personne.
Le capitaine Keren fut la première à s'élancer hors de son abri, en lançant à la cantonade un puissant:
–- En avant, tout le monde! Go! Go! Go!
Sans le moindre besoin d'instructions supplémentaires de la part de la Spectre ou de l'Exécuteur, les combattants aguerris vinrent s'aligner comme à l'exercice sur les côtés du grand panneau d'accès au hangar à navettes N°15, parés pour une entrée en force. Implicitement, c'est à Sudaj Lenks, l'Ingénieur attitré de l'équipe, qu'il aurait dû revenir de pirater le verrouillage numérique du portail du sas. Mais l'esprit curieux par nature du Galarien avait d'autres priorités: après s'être agenouillé près des corps des deux faux flics turiens étendus au sol, Lenks activa son Omnitech, et le fit circuler au-dessus de ceux des imposteurs. Il put assez vite annoncer d'une voix forte:
–- Identifiants du SSC valides, confirmés: officier Primus Ordem, matricule 94.3312-Tu, et sergent Curnan Densimus, matricule...
À l'énoncé de ce second nom, Septis Savenus écarta vivement le Galarien pour se pencher sur le corps de l'agent turien en question. Ses mandibules s'écartèrent de manière très nette lorsqu'il s'exclama soudain:
–- Par les Esprits! Celui-là n'est pas Densimus! Le vrai Densimus a travaillé un moment sous mes ordres directs, et je n'oublie jamais un visage... Ce type-là lui ressemble de manière incroyablement proche, mais ce n'est pas lui!
En l'absence de Lenks retenu par ses examens macabres, c'est Andrak le Franc-tireur qui prit de lui-même l'initiative de commencer à pirater l'I.V. protégeant l'accès au hangar. La tâche ne représentait pas en soi une difficulté majeure pour le deuxième meilleur Omnitech de l'équipe: le verrouillage holographique qui scellait l'entrée passa bientôt de l'orange au vert. Dès que les volets du panneau d'accès se furent rétractés, Saïda et ses agents, ainsi que l'Exécuteur Savenus, s'engouffrèrent à l'intérieur en couvrant tous les angles potentiellement dangereux. Mais il ne rencontrèrent là aucune opposition – ni plus aucune trace de vie, d'ailleurs...
L'équipe composite venait de déboucher dans un large couloir servant de sas au hangar proprement dit. Des traces d'impacts de tirs, isolés ou en rafales, mouchetaient les murs en plusieurs endroits. Le couloir desservait sur ses côtés plusieurs petites pièces dédiées: entreposage des mécas de servitude, stock de pièces détachées, atelier, armurerie, poste de premiers secours, salle de repos, ainsi qu'un petit centre de régulation du trafic contigu à la baie pour navettes. C'est dans la salle de repos que nos agents découvrirent les dépouilles sanglantes de trois officiers de police turiens et d'un technicien de maintenance galarien. Leurs corps avaient été traînés là depuis le lieu où chacun d'entre eux avait été abattu, en laissant dans leurs sillages un odieux mélange de fluides bleus et verts.
La station de contrôle n'offrit pas un tableau plus réconfortant. Toujours assises devant leurs pupitres, deux opératrices asari avaient été exécutées d'une balle dans la nuque. Les malheureuses n'avaient visiblement pas eu le temps d'esquisser le moindre geste de défense: elles avaient dû être les premières dont les agents infiltrés ennemis se soient débarrassés, vraisemblablement par crainte d'une possible riposte biotique. Leurs consoles électroniques avaient ensuite été consciencieusement mises hors d'usage par des tirs d'armes automatiques.
Le message d'alerte posthume du commandant Javier Best prenait tout son sens: c'était bel et bien le coup de force de Cerberus sur la Citadelle, la trahison depuis l'intérieur du SSC qui recommençait!
Le poste de régulation était immédiatement attenant au hangar, et disposait d'une large baie d'observation qui aurait dû offrir un panorama complet sur celui-ci. Mais le volet d'occultation en avait été abaissé, et coincé mécaniquement en position fermée. De même, les écrans des caméras avaient été vandalisés au même titre que le reste des installations techniques. Il allait donc falloir pénétrer physiquement dans le hangar pour comprendre enfin ce qui était en train de s'y dérouler. Le capitaine Keren se tourna d'instinct vers Andrak Atkoso'dan, dont l'Omnitech disposait du scanner le plus performant de toute l'équipe. Mais le Franc-tireur butarien ne put que hocher la tête négativement:
–- Brouillage, soupira-t-il.
Un camouflage des signatures d'une efficacité à laquelle je n'avais encore jamais été confronté! Pour un peu, je croirais avoir affaire à des Geth...
–- Espérons juste que ce ne soit pas le cas! rétorqua Saïda sur un ton amer.
À dire vrai, la Spectre humaine n'avait encore pas la moindre idée de ce à quoi elle et son unité allaient devoir faire face derrière cette porte... Elle organisa donc avec le plus grand soin le franchissement de ce dernier obstacle avant le hangar, de manière à pouvoir parer à toute éventualité. Comme d'habitude dans ce cas de figure, c'est Andrak qui ouvrirait la marche: de toute l'équipe, le Franc-tireur était en effet celui qui possédait les barrières cinétiques les plus endurantes, l'armure lourde la plus résistante, et la plus solide constitution. Son large gabarit permettrait en outre aux autres agents de se faufiler sur ses arrières tandis qu'il retiendrait sur lui-même le feu ennemi. Positionné juste derrière le colosse butarien, Damon arma son pistolet lourd Carnifex, les dimensions relativement réduites du hangar ne se prêtant vraisemblablement pas à l'emploi de son cher fusil de précision Veuve Noire. Quant à l'Exécuteur Savenus, dont la sécurité relevait maintenant de la responsabilité de l'Unité N°1, Saïda le plaça d'office en serre-file, au poste le moins exposé, en faisant fi des récriminations prévisibles du vétéran turien.
Le panneau d'entrée du hangar n'avait pas été saboté, et il était donc possible d'en forcer l'ouverture – même si la procédure de déverrouillage avait bien sûr été réencodée. Étant le plus proche du grand portail, c'est Andrak qui se chargerait une fois encore d'en pirater l'accès. Derrière lui, Damon et Feylin échangèrent un regard anxieux, serrant les lèvres en se demandant sur quoi ils allaient bien pouvoir tomber. Au bout d'une dizaine de secondes, le verrouillage holographique finit par capituler devant les efforts insistants d'Andrak. Dès que les volets blindés se rétractèrent, les agents se ruèrent en avant à la suite du géant butarien...
...Et pénétrèrent en plein enfer!
Le hangar N°15 se présentait sous la forme d'une grande surface carrée, assez haute de plafond, et suffisamment vaste pour y assurer le stationnement et l'entretien d'une bonne vingtaine de navettes légères de patrouille du SSC, ou d'un nombre moitié moindre de canonnières Kodiak plus lourdes. On y trouvait d'ailleurs un mélange de ces deux modèles d'appareils. Pour le malheur de nos agents, on y trouvait hélas aussi deux tourelles Sentinelle, des plates-formes automatisées de défense statique, déployées et programmées de manière à couvrir l'entrée du hangar. Était également présent le trio d'Humains suspects de Zakéra que pourchassait l'unité du capitaine Keren, tels que les avait décrits le trafiquant volus Tulsan Fornebu qui avait eu affaire à eux: tous trois étaient équipés des mêmes armures techniques de belle qualité, et de casques intégraux dont les visières réfléchissantes dissimulaient leurs traits. Le plus proche d'entre eux s'était retranché à l'abri d'une palette lourde, à exacte équidistance des deux tourelles automatiques. Les deux derniers, quant à eux, étaient postés derrière le canon de portière d'une canonnière Kodiak aux couleurs de la division Intervention du SSC. L'engin était posé moteurs éteints à proximité de la baie d'accès au hangar, de telle sorte que son redoutable canon latéral puisse prendre en enfilade la porte par laquelle l'Unité N°1 venait d'entrer.

- Tourelle automatique Sentinelle, redoutable lors de tirs croises.jpg (225.96 Kio) Consulté 1286 fois
Comme prévu, Andrak encaissa le plus gros de la première salve ennemie; mais cette fois, celle-ci fut si fournie que le grand Butarien aurait très bien pu ne pas y survivre! Ses puissants boucliers furent saturés en l'espace de quelques rafales, et il ne dut qu'à sa vivacité, toujours aussi surprenante au regard de sa robuste carrure, de n'endurer sur son armure lourde que quatre impacts heureusement non pénétrants. Derrière lui, les autres agents se dispersèrent en direction des couverts à leur portée immédiate: Damon et Saïda se jetèrent à l'abri d'un gros tracteur de remorquage, tandis que Feylin, Lenks, et l'Exécuteur Savenus trouvèrent refuge derrière un autre Kodiak du SSC, où Andrak les rejoignit presque aussitôt. Leurs boucliers à tous avaient encaissé de nombreux tirs; mais au final, seuls ceux d'Andrak étaient tombés.
Les rafales continuèrent à s'abattre sur les positions des agents du Conseil, sans que ceux-ci puissent seulement envisager de relever la tête, encore moins de riposter. L'ennemi avait en effet monté une véritable souricière face à l'entrée du hangar, à l'aide de plans de tir parfaitement étudiés: les maillons de ceux-ci se couvraient mutuellement de manière bien trop efficace, pour que l'on puisse s'attaquer à l'un d'eux sans subir en retour le feu de tous les autres. Damon songea un moment à utiliser le gros lance-grenades M-100 toujours arrimé sur le dos de son armure; mais le hangar n'était pas assez haut de plafond pour permettre un tir en cloche depuis son abri...
–- Ben là finalement, je crois que j'aurais encore préféré les Geth! grogna le Sniper N7, à qui la situation ne faisait que rarement perdre son sens de la plaisanterie.
Toujours couvert par le tir de suppression fourni par ses complices ainsi que par les deux tourelles automatiques, l'Humain le plus proche de la position de Damon et Saïda apprêta la grenade avec laquelle il avait l'intention de déloger les deux agents de leur abri. Et il amorçait déjà son lancer, le tronc en pleine rotation, lorsqu'une soudaine explosion localisée juste sous son aisselle gauche vaporisa littéralement son bras! Le torse haché par les éclats en dépit de son armure, l'homme fut violemment projeté du côté opposé à celui de la déflagration qui venait de le tuer sur le coup. Le souffle lui arracha également sa grenade des mains; mais l'engin était heureusement toujours inerte lorsqu'il roula au sol vers la position de Saïda et Damon.
Damon, justement, avait immédiatement reconnu tous les indices caractéristiques du tir d'un Krysae: un excellent fusil de précision de fabrication turienne, souffrant d'une faible vélocité, mais dont les projectiles avaient l'intéressante particularité de détoner avant l'impact en causant d'énormes dommages dans leur aire d'effet. Or, le lieutenant N7 venait tout récemment de recroiser la route d'une vieille connaissance, une tireuse d'élite de l'armée turienne qui utilisait justement ce modèle d'arme peu usité...
–- Ardween? lança-t-il au travers du hangar.
Major Ardween Khallios, c'est bien toi?
–- Présente, lieutenant! répondit brièvement la voix rauque d'une Turienne, qui résonna dans le vaste bâtiment.
Ardween Khallios était la spécialiste en armements lourds de l'unité GEIST du capitaine Ransom, que les agents de l'Unité N°1 avaient dernièrement revue avec plaisir dans la Tour du Conseil – donc, un peu l'équivalente du lieutenant da Costa au sein de sa propre équipe. À l'oreille, Damon aurait juré que ce salut lapidaire provenait de sa droite, et plus précisément de celui des murs du hangar sur lequel se dessinait verticalement la saignée du conduit encastré d'un grand monte-charge. Et le Sniper humain lui-même n'aurait pas pu choisir un poste de tir plus discret et mieux exposé que celui-ci pour flanquer la position ennemie.
Les deux tourelles Sentinelle avaient quant à elles parfaitement détecté l'origine de cette nouvelle menace, et l'une d'elles réorienta aussitôt son canon automatique en direction du monte-charge. Mais l'autre système défensif sembla hésiter dans sa priorisation des cibles, n'en couvrant finalement aucune durant un bref instant. L'I.V. fautive paya cher ce moment d'indécision, dont Damon sut tirer le meilleur profit. Un premier tir de son Carnifex suffit à faire tomber les boucliers de la plate-forme de combat et à faucher son trépied, la faisant basculer sur le côté; le second tir superbement placé ne fit qu'achever le malheureux engin gisant piteusement au sol, qui implosa de manière assez discrète.
À l'inverse, c'est dans une détonation particulièrement marquante que disparut la seconde tourelle, celle qui avait commis l'erreur de détourner son attention des deux agents, lorsque le capitaine Keren libéra sur elle la Déchirure qu'elle avait commencé à charger depuis un moment déjà. L'attaque biotique ne tint pas plus compte des barrières cinétiques et de l'armure de la Sentinelle, qu'elle ne respectait de toute façon les lois de la physique élémentaire: la puissance du phénomène gravitationnel eut tôt fait d'écraser tout ce qui pouvait l'être, jusqu'à ce qu'elle s'attaque au noyau d'ézo du canon automatique. La déflagration qui en résulta projeta débris et fragments jusqu'à des distances inhabituellement grandes, obligeant les agents conciliens à se plaquer de nouveau derrière leurs abris.
Ne restaient plus désormais que les deux derniers Humains masqués, acculés dans leur navette derrière leur canon de portière, avec devant eux six combattants aguerris, plus une tireuse d'élite turienne sur leur flanc. Toute tentative de résistance de leur part était donc illusoire, et vouée par avance à l'échec... Damon était d'ailleurs déjà en train d'armer son lance-grenades pour en finir avec ce dernier bastion, quand soudain, la carcasse blindée du Kodiak fut secouée par une implosion spectaculaire! Une boule de feu d'une blancheur aveuglante, encore que d'un diamètre étonnamment réduit, venait de consumer l'intérieur du compartiment passagers où s'étaient retranchés les deux terroristes! La température devait y avoir atteint plusieurs milliers de degrés, car les réservoirs d'hydrogène de la canonnière ne tardèrent pas à prendre feu à leur tour. Le Kodiak ne fut bientôt plus qu'un brasier inapprochable...
Au mépris de la prudence la plus élémentaire, Sudaj Lenks quitta son couvert pour venir observer de plus près le foyer d'incendie. Les mains posées sur ses hanches plates d'amphibien, l'expert en explosifs de l'équipe put bientôt annoncer:
–- Charges thermiques, portées à même le corps. Vue puissance détonations simultanées, j'estime: au moins une douzaine par tête de pipe! Ces trucs-là carbonisent jusqu'aux implants chirurgicaux. Traces ADN surement aussi irrécupérables que la navette. M'est avis qu'il ne doit plus rien rester d'eux...
–- M'ouaip, convint le lieutenant da Costa.
Moi, m'est avis que c'était justement l'effet recherché: ces filhos da puta devaient vraiment avoir quelque-chose de sérieux à cacher!...
Feylin Adamas releva un visage tendu de derrière son abri, en demandant d'une voix soucieuse:
–- Moi, ce qui m'inquiète, c'est: Pourquoi sont-ils restés ici, à couvrir l'accès à ce hangar au prix de leurs vies, alors qu'ils auraient largement eu le temps de fuir avec leur navette? Qu'est-ce qu'ils cherchaient donc à protéger, par la Déesse?!
Une voix mâle et autoritaire, celle d'un Humain que reconnut aussitôt toute l'équipe, s'éleva en provenance du conduit du monte-charge depuis l'abri duquel Ardween Khallios avait déjà ouvert le feu:
–- Ça, agent Adamas, c'est la question à quinze millions de crédits... Et je crois que la réponse se trouve tout juste là, à nos pieds! Ramenez-vous donc un peu par ici, et en vitesse!
La voix en question était celle de l'agent Spectre Tyler Ransom, le patron du major Khallios, et de l'une des deux cellules d'enquêtes spéciales que le Conseil avait placées sur cette mission en complément de l'Unité GEIST N°1. Saïda Keren et ses agents se précipitèrent donc sans plus de méfiance vers l'origine de l'appel. Ce fut pour y découvrir, réunis sur le plateau abaissé du monte-charge, Ransom, Khallios... et à l'intérieur de la gaine latérale d'entretien, ce qui ressemblait furieusement à une fichue bombe!
Le dispositif se présentait sous la forme six gros cylindres de métal gris, longs de près de deux métres, assemblés en un faisceau hexagonal autour d'un septième tube moins épais qui devait servir d'amorce. L'ensemble était ceint en son milieu par un large anneau d'acier, supportant un mécanisme électronique qui réunissait vraisemblablement minuterie et détonateur. Sur cette sorte de tableau de bord, une lumière clignotante éclairait de manière intermittente l'obscurité du réduit vertical où l'engin avait été placé – ce qui laissait sérieusement supposer que le compte à rebours en avait déjà été activé!
Le capitaine Ransom commença à livrer quelques rapides explications:
–- On a trouvé cette saloperie dès qu'on est arrivés en bas. Malheureusement, ni Ardween ni moi-même n'avions les compétences nécessaires pour commencer à désamorcer un pétard de ce calibre! Dans ton équipe, en revanche...
Tout en parlant, le Spectre humain laissait peser un regard lourdement évocateur sur Lenks, l'Ingénieur galarien de l'unité du capitaine Keren, vétéran du GSI et autorité reconnue en matière d'explosifs et détonateurs en tous genres. Il n'en fallut pas plus pour que Saïda ne désignât d'un geste impératif le redoutable engin de mort à son spécialiste, en lançant un laconique:
–- Lenks, en piste!
L'Ingénieur chevronné courut aussitôt s'accroupir devant ce nouveau défi qui se présentait à lui. Après avoir activé son Omnitech, il commença à scanner les différents éléments du dispositif. Ce dernier ne laissait deviner aucun minuteur qui aurait pu donner à l'artificier galarien une idée précise du temps qu'il avait devant lui. Mais presque dès les premières manipulations de Lenks, une projection holographique apparut soudainement au-dessus de la bombe, illuminant les parois du réduit obscur où celle-ci avait été placée! L'affichage digital commença à s'animer en un sinistre décompte, passant de
02:58 à
02:57, puis
02:56...
–- Oh, que merda! jura Damon dans un souffle.
Lenks demeura quant à lui aussi imperturbable qu'à son habitude, bien trop absorbé par sa tâche pour laisser échapper la moindre parole inutile. C'est dans le même silence que sans s'être concertés, Andrak, puis Feylin et Damon rejoignirent bientôt leur compagnon galarien dans l'espace confiné de la gaine d'entretien du monte-charge. Tous trois vinrent mettre genou à terre, en formant un cercle tout autour de la bombe. Il n'y avait pas grand-chose qu'ils puissent faire pour aider l'expert du GSI, si concentré sur son ouvrage. Mais ils formaient plus qu'une simple équipe: alors ou bien ils triompheraient tous ensemble, une fois encore, ou bien c'est tous ensemble qu'ils disparaîtraient dans un dernier éclair!
Le capitaine Keren demeura quant à elle à l'écart en compagnie de l'Exécuteur Savenus, du capitaine Ransom, et du major Khallios. Ce fut pour demander presque immédiatement à son homologue Spectre, à mi-voix mais sur un ton assez vif:
–- Mais enfin, qu'est-ce que vous foutez là, tous les deux?! Et où sont passés les autres membres de ton unité?
–- Moi aussi, je suis content de te revoir! répartit Tyler avec un sourire narquois.
On a intercepté une série de transmissions qui nous ont orientés à la fois sur le transpondeur de ce bahut, précisa le capitaine en désignant l'épave ardente du Kodiak dans le hangar,
et sur ce niveau-ci du QG du SSC. Alors quand les deux se sont retrouvés au même endroit, forcément, ça a fait tilt! Bref, avec Ardween, on était déjà au SSC quand on a reçu ton message, et que les alertes internes ont commencé à être diffusées. Et on a préféré prendre l'itinéraire de contournement, pour arriver directement à l'intérieur du hangar depuis la gaine d'entretien de ce monte-charge. Admets que ça a plutôt bien marché, non? Quant à mes autres gusses, ben... je les ai malheureusement détachés sur une autre piste en cours!
Tout en prêtant une attention plus ou moins soutenue aux dernières phrases de son interlocuteur, Saïda avait commencé à consulter à la volée sur son Omnitech toute une succession de schémas holographiques. Il s'agissait là rien moins que des plans exhaustifs du Quartier Général du SSC, le genre de données ultra-confidentielles auxquelles seuls peuvent avoir accès une poignée de privilégiés dans le secret des dieux – et dont faisaient naturellement partie les agents Spectres. L'Exécuteur Savenus se rapprocha d'elle, d'abord intrigué, puis visiblement ulcéré lorsqu'il réalisa quel était le contenu de ses recherches. Mais avant qu'il eût pu dire quoi que ce soit, Saïda avait stoppé son défilement d'images sur un modèle holographique tridimensionnel bien précis, qu'elle plaça directement devant les yeux du Turien:
–- Monsieur, lui demanda-t-elle vivement,
vous me confirmez que nous sommes bien situés ici juste au-dessous de votre fameux dépôt d'archives sécurisé "Accréditation-Alpha-Plus", où nous étions censés trouver de quoi confondre les agents infiltrés au SSC?
–- Affirmatif! confirma sèchement l'Exécuteur, en braquant une griffe sur un point précis du modèle 3D.
Tout juste deux niveaux au-dessous... Il n'y a là aucun hasard, évidemment: tout doit disparaître!
–- Eeeeeh ben ouais, soupira Saïda en hochant la tête.
"Protocole Ground Zero", c'est bien de ça qu'il s'agit! 'Fait chier, d'avoir encore raison...
La Spectre humaine consacra encore un moment à détailler les données techniques du plan. Elle ajouta bien vite:
–- Les parois de ce hangar sont censées être entièrement blindées: avec les sas et portes également sécurisables, elles devraient normalement contenir la puissance de l'explosion à l'intérieur de la baie. Mais avec la bombe placée ici, juste au-delà du volet de confinement du monte-charge... La gaine montante va rediriger le plus gros de la déflagration droit vers les étages supérieurs! Et les nombreux conduits de ventilation l'y disperseront sur toute la surface de ces niveaux!
L'Exécuteur turien examinait toujours le plan projeté au-dessus de l'avant-bras du capitaine Keren. D'un seul coup, ses mandibules s'écartèrent lorsqu'il s'exclama:
–- Grand Esprit! Pile à la verticale de cet endroit, cinq niveaux au-dessus, on trouve aussi le central de régulation du trafic de la Citadelle! C'est là qu'opèrent les services d'assistance à l'approche et à l'accostage des gros bâtiments commerciaux ou militaires... Et c'est de là également qu'on gère le guidage des innombrables lignes de circulation sous pilotage automatique pour navettes civiles, inter- et intra-Secteurs. Si le central est mis hors service, on va droit vers des collisions fatales de vaisseaux de plusieurs milliers de tonnes, et vers des successions de carambolages massifs au-dessus des zones habitées! Il y aura au moins des centaines de victimes! Peut-être des milliers, en l'espace d'à peine quelques secondes!
–- N'y a-t-il donc pas moyen de réorienter la gestion de ces flux vers d'autres sites? demanda Saïda, bien consciente de l'urgence de la situation.
–- Le poste de contrôle principal est toujours situé dans la Tour du Conseil, soupira Septis Savenus.
Mais nous n'aurons jamais le temps d'y rediriger l'essentiel du trafic...
Damon observa un moment le débat animé entre la Spectre humaine et l'Exécuteur turien, dans leur section du hangar à navettes. D'où il se trouvait, il était trop loin pour saisir les propos qu'ils échangeaient. Le lieutenant N7 redirigea donc son attention sur le travail de Sudaj Lenks, juste devant lui, observant le silence le plus pieux tandis qu'il se concentrait sur les gestes rapides et précis du Galarien. Lorsque l'affichage holographique marqua
01:30, cependant, Damon s'humecta nerveusement les lèvres, puis finit par suggérer avec une gestuelle éloquente:
–- Enfin quoi, on pourrait pas juste transporter ce foutu bazar ailleurs?! Je veux dire, le déplacer là juste à côté, à l'intérieur du hangar, puis resceller le volet blindé du monte-charge, et nous barrer d'ici en confinant le volume du hangar derrière nous avant l'explosion...?
Lenks hocha la tête en signe de dénégation, tout en pointant de son long doigt une petite sphère d'un noir mat sans reflets, qui pulsait comme un cœur au creux de la machinerie:
–- Là: gyroscope activé. Détecterait la moindre instabilité. Modèle expérimental GSI, toute dernière génération: je connais juste assez pour savoir pas moyen de déplacer la bombe sans provoquer détonation prématurée.
–- Peut-être qu'en emprisonnant le dispositif dans un champ de Stase...? risqua Feylin dont les paumes crépitaient déjà de petits éclairs bleus.
Je devrais pouvoir maintenir...
–- Surtout pas! hurla Lenks, pour une fois presque paniqué.
Module justement calibré pour réagir également aux champs gravitationnels d'origine organique! Mesure secrète du GSI, spécifiquement conçue pour piéger chasseresses biotiques asari: détonerait avant même que Stase soit effective! Hum, serait mieux si tu t'écartais, d'ailleurs, ajouta l'Ingénieur en considérant avec inquiétude les avant-bras de Feylin toujours parcourus d'ondes d'énergie noire.
Sans vouloir te commander....
Feylin recula avec un rictus de dégoût. La paranoïa des Galariens, une seconde nature chez ce peuple, les conduisait à développer continuellement de nouvelles armes spécialement destinées à contrer les points forts des autres espèces connues, même celles de leurs alliés pluriséculaires, au cas improbable où ceux-ci finiraient par se retourner contre eux. C'était là un secret de polichinelle dans l'espace concilien, et ce gadget malsain du GSI en était une nouvelle preuve flagrante. Une autre preuve, plus blessante encore à titre personnel pour Feylin, était le fait que Lenks ait été au courant de cette "avancée" technologique, et n'ait jugé utile de l'évoquer en présence d'une Asari – d'une amie! – qu'une fois mis au pied du mur.
Entretemps, les deux Spectres humains et les deux militaires turiens, toujours à l'écart du monte-charge, avaient pu constater que leurs communications ne parvenaient pas à transiter vers l'extérieur – conséquence de l'épaisseur des murs d'acier du hangar, et de la défaillance des relais de transmissions internes consciencieusement mis hors service par les terroristes. Saïda Keren finit par saisir vivement le bras du capitaine Ransom, en argumentant d'une voix que le sentiment d'urgence faisait monter dans les aigus:
–- Tyler, sors d'ici tout de suite, et tâche de passer le plus d'appels possible, sous ton autorité de Spectre, pour faire évacuer les étages supérieurs du SSC, et pour suspendre d'urgence toute opération d'appontage du trafic lourd! Emmène Ardween avec toi; sécurisez le sas blindé du hangar derrière vous. Et si tout ça doit mal finir... alors restez en vie pour nous venger!...» Devant la réticence visible du Spectre humain à abandonner ainsi ses collègues face au danger, Saïda justifia avec brusquerie:
«...Bon Dieu, Ty, il faut bien que quelqu'un le fasse! Allez, grouille!
Le capitaine Ransom n'hésita pas plus longtemps, et commença à courir vers la sortie du hangar. La Turienne Ardween Khallios fit rapidement de même, ne mettant guère de temps à rattraper son supérieur humain au sprint. Saïda Keren se tourna ensuite vers l'Exécuteur Savenus, sachant par avance qu'il lui faudrait faire appel à toutes ses ressources en matière de diplomatie:
–- Quant à vous Monsieur, tenta-t-elle de le convaincre,
je vous prierais de rejoindre le capitaine Ransom et le major Khallios: si cette bombe doit exploser, il n'y a aucune raison pour que vous fassiez nécessairement partie des victimes. Quels que soient les dommages que pourra subir le SSC aujourd'hui, il est préférable d'éviter d'en décapiter également le commandement, alors que la Citadelle s'apprête à vivre des moments critiques...
Le Turien recula son buste évasé en un mouvement de dignité outragée, tandis qu'il s'exclamait d'une voix tonnante:
–- Mais pour qui me prenez-vous donc, Spectre?! Est-ce que vous vous imaginez que je vais fuir mes responsabilités et sauver ma peau, quand des dizaines de mes agents, et des centaines de civils que le Conseil a placés sous ma protection, vont peut-être mourir dans les minutes qui viennent? Non, rien à faire: je reste ici, quoi qu'il arrive!
Le capitaine Keren étouffa un soupir d'agacement. Oh, elle ne s'était guère fait d'illusions, sachant par expérience combien les militaires turiens peuvent se montrer de sacrées têtes de mules, dès lors que leur sens étriqué de l'honneur et de la loyauté entre en jeu. Au moins, elle aurait essayé... Plantant là l'Exécuteur qui demeurait les bras croisés, elle se dirigea alors d'un pas rapide vers son équipe, toujours à l'œuvre autour de la bombe. En se rapprochant de la gaine d'entretien, la Spectre put avoir une vue plus nette sur l'affichage holographique, dont le décompte numérique défilait toujours imperturbablement vers une issue fatale:
00:26...
00:25...
00:24...
–- Hum, Lenks? demanda prudemment Saïda, qui ne souhaitait pas nuire à la concentration de l'artificier, le seul ici à pouvoir encore tous les sauver.
Une note de stress de bien mauvais augure perçait dans la voix du Galarien, lorsqu'il établit son rapport sur un débit plus précipité encore qu'à l'ordinaire:
–- Assemblage élaboré, redondances inattendues. Dispositif contre-mesure du GSI me prive de nombreuses options classiques, me force à me rabattre sur contournements aléatoires. Solutions empiriques, résultat insatisfaisant. Trop court... Ce sera trop court...!
Tandis que l'Ingénieur luttait contre la montre, s'échinant à faire passer et repasser son Omnitech sur les nœuds de câblages, l'affichage digital continuait à égrener les quelques secondes qu'il restait encore à vivre aux agents, et à toute cette portion des bâtiments du SSC:
00:13...
00:12...
00:11... Lenks gémit de découragement:
–- Trente secondes... Me faudrait encore au moins trente secondes!... Trop court... Ce sera trop court...!
...
00:07...
00:06...
00:05... De rage impuissante, Damon finit par se relever d'une détente, tira son pistolet lourd Carnifex, et en poussant un rugissement de désespoir, cribla l'engin de mort à ses pieds jusqu'à ce que la cartouche thermique de son arme crie grâce! L'éclat des impacts fusa au ras du visage de Lenks, qui recula précipitamment ses mains. Contre toute attente, le dispositif soumis à si rude épreuve ne détona pas... En fait, la minuterie s'éteignit même brusquement, lorsque tout l'appareillage tomba hors tension! Lenks, Damon, Feylin, Andrak et Saïda restèrent figés de stupeur devant ce miracle totalement improbable. Et bien qu'il fût généralement plus vif à la détente que ses compagnons, le Galarien mit un certain temps à admettre qu'il était toujours en vie. Ses grandes paupières papillonnaient encore lorsqu'il s'adressa à l'Humain sidéré à côté de lui:
–- Euh, peut marcher aussi!... Rappelle-moi quelles divinités tu pries?
D'où il se tenait, l'Exécuteur Septis Savenus semblait tout aussi médusé, tandis qu'il fixait d'un œil incrédule l'énorme pistolet fumant qui pendait toujours au bout du bras de Damon. Il fut bientôt rejoint par le capitaine Ransom et le major Khallios, prudemment revenus dans le hangar après avoir entendu une série de coups de feu au lieu de la déflagration attendue. Le commandant du SSC se tourna vers sa congénère Ardween Khallios, aussi stupéfaite que lui, et lui demanda sur un ton désabusé:
–- Comment dit-on déjà chez les Humains, major? «Il y a un dieu pour les imbéciles»?
–- Quelque chose comme ça, Monsieur, confirma la tireuse d'élite turienne.
Ceci dit, j'ai déjà eu l'occasion de constater que leur audace insensée peut parfois déjouer les pronostics les plus négatifs, ajouta-t-elle en considérant son propre supérieur humain qui se rapprochait à son tour.
Pendant que tout le monde se remettait plus ou moins bien de la tension dramatique de ces dernières minutes, et de leur dénouement inattendu, Andrak Atkoso'dan se dirigea vers la dépouille du dernier terroriste encore à peu près examinable: celui qui avait été abattu par le major Khallios, et que dans l'urgence du moment, on avait un peu oublié derrière son abri au milieu du hangar. Presque toute la moitié supérieure gauche de son corps avait été réduite en charpie par le redoutable fusil Krysae de la tireuse d'élite turienne; toutefois, sa tête semblait avoir été protégée pour l'essentiel par son casque intégral. L'écran réfléchissant de celui-ci paraissait même à peu prés intact, et occultait toujours le visage de l'homme. Mais Andrak avait le sentiment diffus que c'était justement au-delà de cet ultime voile que se trouvait une partie de la clé du mystère. Inexplicablement, le géant butarien avait aussi une vague intuition de ce qu'il allait découvrir derrière cette visière opaque...
Rompu aux pièges les plus vicieux tels qu'on les pratique dans les Systèmes Terminus, l'ancien chasseur de primes commença par procéder à un examen visuel très approfondi du corps, en s'abstenant soigneusement d'y toucher. Il était en effet vraisemblable que le fanatique en mission ait été équipé des mêmes dispositifs d'autodestruction qui venaient de réduire ses deux comparses à l'état de cendres inexploitables. De fait, le regard quadruplement affûté du Butarien ne tarda guère à déterminer la présence de plusieurs micro-charges thermiques, dissimulées sous les plaques d'armure du tronc et des membres du macchabée, alors même leurs connexions filaires étaient à peine devinables au niveau des jointures.
Andrak siffla vivement son collègue Sudaj Lenks, toujours accroupi devant la bombe désormais inerte, afin qu'il vienne mettre à nouveau à contribution ses compétences en matière de désamorçage. L'Ingénieur flageolait encore un peu sur ses longues jambes; mais Andrak savait pertinemment que les Galariens ont la réputation de gérer leurs émotions plus rapidement que les autres espèces – et aussi, que le vétéran du GSI était bien plus résilient encore que la moyenne de ses congénères. Sa frayeur ne serait donc bientôt plus qu'un mauvais souvenir rémanent...
L'artificier de l'équipe se mit rapidement à l'ouvrage, comme pour mieux oublier l'amertume de son échec récent sur la bombe du monte-charge. Les dispositifs piégeants disséminés sur le corps du terroriste semblaient toutefois d'une facture assez classique, plus classique en tout cas que l'engin trafiqué qui avait causé tant de difficultés à Lenks: ce dernier finit en effet assez vite par lever ce qui tenait lieu de pouce chez les Galariens, sans avoir laissé échapper la moindre parole. Andrak put alors entreprendre de détacher le plus délicatement possible la visière du casque de l'inconnu.
Même si le Franc-tireur s'était plus ou moins attendu à ce qu'il allait découvrir, la première vision lui causa un sérieux choc! Il s'agissait certes bien là d'un Humain, mais totalement défiguré par les nombreux câblages courant sur la majeure partie de ce qui avait été son visage. L'ensemble laissait la douloureuse impression que ses greffes cybernétiques, posées sans art par un véritable boucher, avaient continué à croître d'elles-mêmes avec le temps! Quant à ses yeux laiteux et inexpressifs, remplacés depuis l'intérieur par ce même type d'implants invasifs, ils ne laissaient plus aucun doute quant à la catégorie à laquelle rattacher l'étrange individu...

- Les Implantes, le retour !.jpg (113.29 Kio) Consulté 1286 fois
Cette vision d'horreur fit sursauter Lenks, qui recula de deux pas en battant des bras: lui qui d'ordinaire se montrait si flegmatique en toutes circonstances, semblait encore un peu sur les nerfs depuis l'épisode de la bombe et du pétage de plombs de Damon. La voix d'Andrak, par contraste, demeura très calme lorsqu'il énonça comme un simple fait:
–- Eh bien voilà: ça y est... Nous venons de retrouver la trace de Maya Brooks!
Intriguée par le manège du Butarien et du Galarien, Saïda vint les rejoindre afin de comprendre ce qui retenait ainsi leur attention. Mais lorsqu'elle aperçut le visage torturé de l'homme étendu au sol, elle ne put s'empêcher de porter la main à sa bouche par réflexe, en étouffant bruyamment un renvoi d'écœurement:
–- Bordel! parvint-elle enfin à articuler.
Mais c'est quoi, cette horreur?! J'avais encore jamais vu un truc aussi dégueu!
–- Nous si, proféra Andrak d'une voix sombre.
Et des paquets, qu'on en avait vus alors... C'était sur Alcastarz: la dernière mission de Dame Guerdan Qoliad!... (1)
[...]
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(1) Lire
Unité N°1: Saison 2, Épisodes 9 & 13: rencontre et affrontements avec les "Implantés". Ces anciens commandos de Cerberus, cybernétiquement améliorés et asservis par la technologie des Moissonneurs, avaient été regroupés après la Guerre sur la colonie pénitentiaire d'Alcastarz, dont Maya Brooks était parvenue à prendre le contrôle.